TEXTE | Geneviève Ruiz
IMAGES | Tadao Cern
En 2013, alors qu’il se promenait sur une plage proche de Vilnius avec sa famille, le photographe lithuanien Tadao Cern a été frappé par les codes sociaux implicites régissant les comportements des plagistes. De cette intuition naît le projet photographique Comfort Zone, qui propose une sorte de typologie des postures, rituels ou accessoires. « Il ne s’agit pas de portraits, il n’y a rien de personnel dans cette approche qui tient plutôt du documentaire, explique l’artiste. J’ai volontairement photographié des personnes qui somnolaient avec le visage couvert, à leur insu. C’est une démarche de non-mise en scène. » Le photographe a néanmoins minutieusement préparé son esthétique : prises de vue en plongée, cadrages neutres – loin des clichés qu’on collerait dans un album de famille – et jeux d’ombres. Il n’a opéré qu’en fin d’après-midi, sous un ciel nuageux. Ce procédé a transformé les baigneuses et les baigneurs en sujets anonymes d’une série pour susciter un regard clinique sur leur intimité. L’artiste s’est beaucoup questionné sur l’éthique de son approche : « Légalement, rien ne m’empêchait de photographier ces scènes dans un espace public. Pourtant, il était crucial pour moi de ne pas interférer, de ne créer aucun contact. Mon travail questionne justement cette frontière ténue entre ce qui relève du public et ce qui touche à l’intime. »
La formation initiale en architecture de Tadao Cern a influencé son regard sur le monde et l’humain. « Pour moi, tout fonctionne de façon systémique. Les attitudes des personnes sur la plage, leurs manières de se relaxer ou de disposer leur serviette ne viennent pas d’elles, ne relèvent pas d’un choix, mais sont déterminées socialement. Les gens les adoptent parce que tout le monde autour d’eux fait de même dans cet environnement-là. Je n’y vois aucune liberté, mais un conformisme extrême. »
Publié dans des médias comme The New York Times, The Guardian ou Le Monde, Comfort Zone a eu un écho international qui a surpris Tadao Cern : « On m’a proposé de poursuivre ce travail ailleurs. Mais, lors de mes repérages au Brésil ou en France, j’ai observé que les attitudes des plagistes étaient similaires. Il était donc inutile de poursuivre cette série. Cela indique à quel point les comportements sont désormais le produit d’une globalisation uniforme. Où que l’on se trouve, le temps libre et de loisir obéit aux mêmes injonctions. »


