Les villes asphyxient les meilleures terres. La société ignore les fonctions des sols et leurs services écologiques comme le drainage des eaux ou l’absorption du CO2. Dans vingt ans, ces problèmes deviendront des priorités lourdes, selon Pascal Boivin, spécialiste à la Haute école de paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève – HEPIA – HES-SO.
TEXTE | Marco Danesi
Les sols suisses se portent-ils bien?
Les terrains agricoles et les sols urbains se trouvent en très mauvais état par rapport à la qualité optimale. Mais ils se portent un peu mieux que dans certains pays environnants. Des mesures de protection plus avancées en Suisse ont amorti leur dégradation.
Si l’on se projette dans vingt ans, quelles sont les menaces liées à des sols dégradés?
La pollution diffuse en est une, mais la lutte contre ce fléau ne représente pas la première priorité. Le risque hydrologique est très important, d’autant plus qu’avec les changements climatiques les phénomènes extrêmes augmentent. Les sols n’aident plus les villes, qui continuent de grandir, à absorber les eaux météoriques. On les équipe de canalisations de plus en plus volumineuses mais les risques ne sont pas maîtrisés.
Quelles sont les principales causes de la dégradation des sols en milieu urbain?
Le bétonnage en premier lieu. Puis la primauté donnée aux travaux de génie civil, qui ignorent totalement les propriétés, le rôle et les besoins des sols. Ils sont tassés, décapés, pollués au nom de l’urbanisation. Il n’existe ni politique de gestion ni protection réelle des sols dans les villes.
En Suisse, 7,5% des terres sont urbanisées. Cela ne semble pas énorme.
La taille représente tout de même un problème, vu que ce sont les meilleures terres qui sont utilisées. Mais l’enjeu principal tient à la capacité du sol à drainer les eaux de pluie et aux graves risques d’inondation des zones urbanisées. Les installations pour évacuer l’eau en cas de fortes pluies aujourd’hui ne peuvent pas suffire. C’est pourquoi il faudrait compter sur des sols susceptibles de ralentir, freiner, tamponner des arrivées massives d’eau. Ce qui n’est pas le cas. Aujourd’hui, à défaut de sols de bonne qualité, on s’intéresse aux toitures végétalisées. Dans le futur, les technosols urbains pourraient être plus efficaces.
Qu’est-ce que le technosol?
Il s’agit d’un sol artificiel construit à partir de matériaux divers. à HEPIA, nous concevons des technosols qui démultiplient certaines fonctions d’un sol naturel en bon état. Ce développement vise principalement à limiter les risques d’inondation, à épurer les pollutions et à créer de bonnes conditions pour les plantations urbaines. De nos jours, l’espérance de vie d’un arbre en ville est d’une dizaine d’années, tant la terre et l’environnement sont mauvais.
Le technosol a donc un rôle à jouer au niveau des plantations urbaines, elles-mêmes soumises à une forte pression amplifiée par le climat qui se modifie. Les technosols que nous concevons permettent d’infiltrer 100 fois plus qu’un sol de prairie, tout en épurant efficacement et en sécurisant la plantation des arbres. à titre hypothétique, si on replantait les 4’300 arbres que compte la ville de Genève avec 10 mètres carrés de technosols, on pourrait infiltrer une très grande partie des pluies qui tombent sur la ville. Et ces technosols, de surcroît, sont produits avec des déchets.
N’y a-t-il pas moyen d’augmenter la production de ces technosols?
La production est artisanale, pour les besoins de la recherche. Le passage à l’application à grande échelle requiert des démonstrations de longue durée, car ce secteur économique et technique est frileux face aux changements. Il est donc difficile de convaincre des investisseurs d’assumer les risques financiers de telles innovations. En dépit de perspectives intéressantes et des impératifs climatiques urgents, sans l’engagement d’acteurs publics, on va rester au niveau de petites initiatives localisées et limitées dans le temps, loin de toute planification globale.
Quelles sont les solutions pour le futur alors?
Il faut agir sur les jeunes générations via la formation des branches professionnelles. Dans vingt ans, ces questions seront des priorités lourdes, on les traitera de façon adéquate et on appliquera ces solutions à la fois efficaces et économiques. Il faut rapidement lancer des projets-pilotes et en diffuser les résultats par de multiples canaux afin d’apporter les bons arguments aux acteurs. Pour ces projets-pilotes, et pour mettre en relation la gestion des déchets et la production des technosols, le soutien des décideurs et des structures publiques est essentiel.