Alors que la population suisse vieillit, le maintien des seniors à domicile se retrouve sur toutes les lèvres. Un projet interdisciplinaire propose des solutions pragmatiques et créatives pour adapter les logements existants.
TEXTE | Patricia Michaud
Marie a 82 ans. Et le cœur lourd. Après plus de cinq décennies passées dans le même appartement genevois, elle vient de déménager dans un EMS. La raison de ce bouleversement? «Une chute bête la nuit en allant aux toilettes», responsable d’une vilaine fracture à la jambe. «Avant, j’avais déjà de la peine à grimper dans la baignoire pour prendre ma douche. Mais là, c’est devenu carrément impossible.» Idem pour la préparation des repas, la minuscule cuisine de l’octogénaire n’étant pas compatible avec un déambulateur. Si le cas de Marie – à savoir un déménagement en EMS alors que la personne âgée ne présente pas de difficulté cognitive majeure – se révèle fréquent en Suisse, il ne constitue pas pour autant une fatalité. En effet, moyennant certains aménagements de leur logement, il est possible de maintenir de nombreux seniors à domicile. Avec pour conséquence une meilleure qualité de vie, une atténuation du déclin fonctionnel et une réponse au casse-tête du vieillissement galopant de la population helvétique.
Alors qu’actuellement le pays compte déjà près de 20% d’habitants âgés de plus de 65 ans, la part devrait grimper à un quart d’ici à 2030, dont environ 700’000 personnes de plus de 80 ans. «A ce rythme, il faudrait doubler le nombre de lits en EMS pour assurer une place à tout le monde en 2040, avertit Lara Allet, professeure à la Haute école de santé – HEdS-Genève – HES-SO. C’est complètement irréaliste.» Interpellée par cette problématique, la Fondation Leenaards a décidé de financer une recherche sur le maintien à domicile des personnes âgées grâce à des aménagements de leur logement, conjointement avec la HES-SO Genève et la multinationale Procter & Gamble.
Trois cantons pilotes
Baptisé Habitat Seniors, ce projet a pour particularité d’être interdisciplinaire, puisqu’il associe deux hautes écoles de la HES-SO, la HEdS-Genève et la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture – HEPIA – Genève. Concrètement, les chercheurs ont pour mission d’identifier – à travers 15 interventions réparties dans les cantons de Vaud, Valais et Genève – quelles sont les meilleures possibilités d’aménagements, en tenant compte des aspects techniques, économiques et sanitaires. «Notre démarche ne vise pas à édicter une liste d’interventions standards, explique Frédéric Wüest, professeur en architecture à HEPIA – Genève. Dans chaque cas, nous commençons par faire un bilan en compagnie de la personne concernée, afin d’évaluer son autonomie, sa santé ou ses attentes. Puis nous réfléchissons ensemble aux aménagements pertinents et nous nous chargeons de piloter leur réalisation. Quelques mois après la fin des travaux, nous retournons évaluer notre action.»
Création d’une plateforme d’échanges
Parmi les défis les plus fréquents pour les personnes âgées en difficulté fonctionnelle figure la toilette. «La solution évidente, c’est la transformation de la baignoire en douche afin d’éviter un bord à enjamber. Mais cette intervention coûte relativement cher et peut se heurter au refus du propriétaire de l’immeuble», souligne Lara Allet. Il faut alors trouver des arguments afin de convaincre la régie et faire des compromis. «Lors d’une intervention de ce type, au lieu d’enlever la baignoire, nous l’avons équipée d’une portière qui permet d’y entrer sans faire de l’escalade», poursuit la chercheuse.
Dans ce même appartement, les responsables du projet ont fait installer un détecteur de mouvement qui entraîne l’allumage automatique des lumières du couloir lors d’une excursion nocturne au petit coin. «Sur internet, on peut acheter ce genre de détecteur pour 25 francs. Une somme d’autant plus modique quand on sait que 50% des chutes des personnes âgées surviennent de nuit, lorsqu’elles se rendent aux toilettes, précise Frédéric Wüest. Les aménagements réalisés dans ce logement ont coûté 3’200 francs.» «A titre de comparaison, ce montant correspond à deux semaines d’EMS ou à trois heures hebdomadaires d’aide à domicile durant quatre mois», commente Lara Allet.
Si l’adaptation d’un logement ne permet pas de répondre à tous les problèmes liés à la vieillesse – notamment aux difficultés cognitives majeures –, elle offre un vaste champ d’action. «Cela va du rabaissement du frigo au déplacement des prises électriques, en passant par la suppression des seuils et la pose de stores électriques», liste Frédéric Wüest. Sans compter les aménagements extérieurs tels qu’une petite rampe d’accès à l’immeuble ou un siège dans l’ascenseur. «Au fond, il suffit de bien connaître les besoins du principal intéressé, d’être créatif et de trouver les entreprises qui fournissent les meilleurs services aux meilleurs prix», avance l’architecte. L’un des principaux objectifs du projet Habitat Seniors consiste justement à faire profiter un maximum de personnes âgées – et de professionnels de la santé et du bâtiment – des expériences engrangées. à terme, une plateforme sera créée pour offrir des informations à tous les milieux concernés.