Le nouvel âge d’or des mini-séries

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Les mini-séries sont au firmament des productions contemporaines. Le public, qui délaisse les salles de cinéma depuis le Covid-19, plébiscite ces formats que l’on peut visionner rapidement. Décryptage du phénomène avec deux spécialistes.

TEXTE | Albertine Bourget

Quatre épisodes, en quatre plans-séquences, qui racontent les suites de l’arrestation d’un jeune de 13 ans pour le meurtre présumé d’une camarade de classe : nous parlons bien sûr d’Adolescence. Désignée meilleure mini-série de l’année aux Emmy Awards américains, la production britannique a offert à Netflix, plus connue pour l’abondance de son offre que pour sa qualité, une première victoire dans la prestigieuse catégorie.

Pour concourir aux Emmy Awards, une mini-série doit compter au moins deux épisodes totalisant 150 minutes et constituer une histoire complète. Mais « le terme cache en réalité une variation extrême, souligne Olivier Zuchuat, professeur au département cinéma de la Haute école d’art et de design – Genève (HEAD – Genève) – HES-SO. Pour certaines réalisatrices et réalisateurs, il s’agit de proposer un méga-film coupé en morceaux. Pour d’autres, il s’agit d’une série feuilletonnante, avec un nombre restreint d’épisodes. » Sans parler des séries dites anthologiques, dont chaque saison constitue un « module indépendant » relié aux suivants par un thème, un lieu, une époque, comme True Detective (HBO, 2014-) ou Fargo (FX, 2014-).

Après une première vague dans les années 1950-60, le format vit actuellement un nouvel âge d’or. Diffusée sur la chaîne câblée américaine HBO en 2001, Band of Brothers, avec Steven Spielberg et Tom Hanks à la barre, a marqué un tournant majeur. Depuis, le phénomène est devenu une déferlante à laquelle Olivier Zuchuat et Bertrand Bacqué, également professeur à la HEAD – Genève, ont consacré un colloque et sur laquelle ils préparent un ouvrage.

Mini-séries contemporaines ou les puissances de l’entre-deux

Le colloque international « Mini-séries contemporaines ou les puissances de l’entre-deux », organisé en 2023 à la HEAD Genève, réunit des extraits de mini-séries avec des analyses.

https://www.hesge.ch/head/issue/issues/issue-21-mini-series-contemporaines-ou-les-puissances-lentre-deux-bertrand-bacque-olivier-zuchuat

Automne est l’un des trois épisodes de la mini-série The Third Day (2020). Diffusée en direct sous la forme d’un événement de douze heures tourné en plan-séquence, cette partie suit Sam, interprété par Jude Law. Son personnage échoue par accident sur une île au large des côtes britanniques, où les habitantes et les habitants semblent cacher des secrets mystérieux. | © LANDMARK MEDIA / ALAMY

Zones d’expérimentation et diversité des écriture

Pour Bertrand Bacqué, « ces objets sortent du cadre d’une industrie relativement corsetée et constituent des zones d’expérimentation. Dans une économie plus fragile, ils peuvent représenter un galop d’essai et permettent de prendre des risques en dehors des structures de financement classiques. Ils sont, tout simplement, un espace de liberté. Prenez The Third Day, créée par les Britanniques Felix Barrett et Dennis Kelly pour HBO et Sky Atlantic : l’un des épisodes est un plan-séquence de douze heures ! » Cet opus hors normes devait être filmé avec un vrai public, mais l’idée a dû être abandonnée en raison de la pandémie. Les auteurs, venus du théâtre, ne renoncent pas à ce qu’ils dépeignent comme un « événement théâtral immersif majeur » : le 3 octobre 2020, la chaîne Sky Arts et les pages Facebook de HBO et Sky diffusent en direct la captation, depuis l’île d’Osea, de la production, emmenée par l’acteur Jude Law. « Dans tout ce foisonnement, c’est l’extraordinaire diversité des écritures qui frappe. Quand je parle d’écriture, il ne s’agit pas seulement du scénario, mais de la mise en scène, du cadrage, de l’exigence esthétique et formelle », poursuit le chercheur. Une exigence qui ne trouve pas toujours son public : lancée sur la BBC en 2020, Small Axe, du réalisateur oscarisé Steve McQueen, reste méconnue. Au grand dam d’Olivier Zuchuat, admiratif de cette « réflexion singulière sur le racisme systémique vécu par la communauté jamaïcaine à Londres ».

Bande-annonce Small Axe

Bande-annonce de la mini-série Small Axe, qui se focalise sur la communauté jamaïcaine de Londres des années 1960 aux années 1980 en cinq parties de 63 à 128 minutes.

https://www.arte.tv/fr/videos/RC-026072/small-axe

Chernobyl (2019, HBO/Sky) arrive fréquemment en tête de classement des meilleures mini-séries contemporaines, preuve qu’une mini-série n’a pas besoin de sortir du cadre pour séduire. « De facture très classique, elle arrive à proposer différentes narrations sur l’effroi planétaire qu’a été l’explosion de Tchernobyl, l’incurie post-soviétique, les rouages du KGB, les souffrances des irradiés… Le tout tissé dans un ensemble de six épisodes extrêmement cohérent », salue le chercheur.

Combien de fois déjà avons-nous cité HBO ? Connue pour les séries cultes que sont Les Soprano et Sur Écoute/The Wire, la chaîne, devenue la plateforme de streaming HBOMax, a longtemps été le terrain de jeu idéal, « le lieu de cette prise de risque, résume Bertrand Bacqué. En 2022, ce n’est plus possible pour David Simon de refaire une série comme The Wire. Mais dans We Own This City, il arrive à concentrer son récit sur les affrontements avec la police de Baltimore en six épisodes, par le biais d’une structure complexe, des analepses (flashbacks) et des prolepses, et c’est très efficace. » C’est HBO, encore, qui a permis au réalisateur français Olivier Assayas de revisiter son film Irma Vep (1996), hommage à Louis Feuillade et à son film muet en dix épisodes Les Vampires (1915). « Assayas a disposé d’une totale liberté. Le résultat final, Irma Vep (2022), est un film de 8 heures, une réflexion métadiscursive sur ce qu’est la série. Et c’est, estime Bertrand Bacqué, souvent plus réussi que certains de ses longs-métrages. »

Un public plus friand depuis le Covid-19

De manière générale, le public est friand de ces productions. Tout d’abord parce que, « à l’inverse de séries qui s’étirent sur des années, vous pouvez les visionner très rapidement, indique Bertrand Bacqué. La tendance s’est renforcée pendant le Covid-19.1À noter que c’est durant la pandémie que sont apparus, en Chine, les « micro-dramas » : des productions filmées à la verticale pour être visionnées sur smartphone, dont chaque épisode dure une à deux minutes. Des studios américains et français s’emparent désormais de ce marché en pleinessor. » Et puis, pour appâter ce même public qui délaisse les salles de cinéma depuis la pandémie, il est fréquent « d’inviter sur des mini-séries des réalisateurs et des acteurs stars, qui y trouvent leur compte car ils ne vont pas s’engager des années durant ».

Les noms de Jane Campion à la réalisation (Top of the Lake) et des actrices oscarisées Nicole Kidman et Reese Witherspoon au générique de Big Little Lies, lancée comme une mini-série en 2017, ont largement contribué à leur succès. Depuis, l’actrice australienne multiplie les incursions sur le petit écran, jusqu’à l’overdose. Le prestige lié aux noms de l’actrice Cate Blanchett et du réalisateur Alfonso Cuarón n’ont pas empêché la tiède réception de Disclaimer (Apple TV) l’année dernière. À l’inverse, remarqué pour sa performance dans la mini-série irlandaise Normal People (2020), l’acteur Paul Mescal se consacre désormais au cinéma.

Signe des temps, HBO a resserré son contrôle créatif. David Simon a récemment indiqué ne plus parvenir à faire ses mini-séries, ni chez HBO ni ailleurs. Mais la tendance reste bien vivace. Ces dernières semaines, le nom du réalisateur Jean-Stéphane Bron a largement été mis en avant pour promouvoir The Deal, coproduction de la RTS inspirée par les négociations américano-iraniennes sur le nucléaire en 2015 à Genève. « Aujourd’hui, les plateformes peuvent étudier de manière extrêmement précise la manière dont les productions sont visionnées, afin de déterminer ce qui plaît au plus grand nombre. Mais, veut croire Olivier Zuchuat, ce succès est beaucoup plus difficile à anticiper pour les mini-séries, qui échappent encore à cette volonté d’optimisation industrielle et restent un espace d’auteurs. »