La vallée du Trient, laboratoire d’un tourisme plus durable

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Durant sa démarche d’obtention du label Parc naturel régional, la vallée du Trient a fait l’objet d’une analyse par des architectes paysagistes. Leurs travaux ont inspiré une série de projets, parmi lesquels émergent des propositions pour repenser les pratiques touristiques.

TEXTE | Geneviève Ruiz

Une quarantaine d’étudiantes et d’étudiants en architecture du paysage, avec leurs enseignantes et enseignants, ont débarqué à Salvan dans la vallée du Trient en septembre 2021. Après avoir quitté le Mont-Blanc Express, le groupe s’est dirigé vers les gorges du Dailley pour entamer un arpentage de ce territoire préservé, où certains sommets dépassent les 3000 mètres et offrent des paysages spectaculaires.L’arpentage ? Un concept central dans la palette d’outils des architectes paysagistes : « Il s’agit de s’imprégner de l’environnement, en mouvement et avec tous ses sens, explique Laurence Crémel, professeure en architecture du paysage à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA) – HES-SO. L’arpentage permet de ressentir les paysages au-delà des cartes et des modèles pour en saisir la réalité vivante et humaine. » Au cœur de cette démarche se trouve la rencontre avec les personnes qui habitent ou traversent ces espaces. Chacun y projette en effet son propre regard, façonné par son histoire, son métier ou son imaginaire. « Prenez le lac du barrage d’Emosson, dans la commune de Finhaut, illustre Molly Fiero, doctorante en architecture du paysage à l’HEPIA. Un gestionnaire d’infrastructures hydroélectriques, une randonneuse, un restaurateur ou même un bouquetin n’en percevront ni les contours ni les enjeux de la même manière. » Le paysage se révèle ainsi comme une multiplicité de points de vue, où se croisent usages, émotions et savoirs.

Appréhender les divers niveaux d’un paysage

Les étudiants de l’HEPIA, qui ont été rejoints dans leurs explorations par une centaine de leurs camarades en février 2022, ne sont donc pas partis comme de simples randonneuses ou randonneurs. Leur démarche s’inscrivait dans le cadre du projet Enjeux paysagers des territoires du Parc naturel régional de la vallée du Trient (2022-2024), mené en partenariat avec le comité du parc, alors en phase de création1Le Parc naturel régional de la vallée du Trient a obtenu, en mai2025, le label Parc naturel régional d’importance nationale décerné par la Confédération. Ce territoire s’étend sur 222 km², répartis sur sept communes: Evionnaz, Finhaut, Martigny-Combe, Salvan, Saint-Maurice, Trient et Vernayaz. Il se distingue par une grande diversité topographique, climatique, culturelle etécologique.. Mais avant d’éprouver les sentiers escarpés et l’histoire glaciaire de ces reliefs, une préparation minutieuse a nourri leur approche : cartes, archives historiques, données géologiques, climatiques, biologiques et sociologiques ont été passées en revue. « L’architecte paysagiste réunit plusieurs disciplines afin d’appréhender les divers niveaux d’un paysage, qui ne se résume pas pour lui à une carte postale, précise Laurence Crémel. Son travail consiste à en décrypter les strates – tensions, dynamiques, liens et fractures — pour en saisir la complexité. » L’objectif ? Proposer des interventions qui stimulent le débat et interpellent les actrices et acteurs concernés, au-delà d’une simple esthétique.

A la rencontre des paysages de la Vallée du Trient

Plateforme de l’exposition itinérante réalisée dans le cadre du projet Enjeux paysagers des territoires du Parc naturel régional de la vallée du Trient (2022-2024).

Vues panoramiques

Vues panoramiques du Parc naturel régional de la vallée du Trient, matériel cartographique et visuel, ainsi qu’accès au site du parc.

https://pnrvt.ch

Les étudiants en architecture du paysage se sont plongés dans le territoire du futur Parc naturel régional (PNR) du Trient dans cette optique : imaginer des projets capables de répondre aux fragilités d’un espace montagnard en tension entre les défis du changement climatique et les pressions touristiques. Il s’agissait de concilier trois impératifs : améliorer la qualité de vie des habitantes et des habitants, préserver la biodiversité et anticiper les mutations du territoire. « Leurs propositions n’étaient pas destinées à être concrétisées, mais s’inscrivaient dans une démarche pédagogique, précise Laurence Crémel. Leur portée a toutefois dépassé le cadre académique avec un projet soutenu par le PNR : en 2024, elles ont été compilées dans l’ouvrage Le Parc naturel régional de la vallée du Trient, de l’Arpille à la Cime de l’Est, avant de faire l’objet d’une exposition itinérante. »

Quel public accueillir et comment

Dans ce territoire de montagne très marqué par l’accueil de visiteuses et de visiteurs, une partie des réflexions s’est forcément tournée vers le tourisme : il a redessiné les infrastructures, reconfiguré les mobilités et, parfois, participé au déclin des pratiques agricoles traditionnelles. Dès le XIXe siècle, les premiers touristes alpins, séduits par les paysages grandioses comme la cascade de la Pissevache ou les gorges du Trient, se sont mis à sillonner les chemins ou à conquérir les sommets de la vallée du Trient. Pour accueillir cette clientèle aisée, des hôtels de luxe, des belvédères et la ligne de chemin de fer Martigny-Chamonix ont vu le jour. Une ère de croissance touristique qui s’achèvera avec la Première Guerre mondiale, laissant derrière elle un héritage à la fois architectural et paysager.

Lors de l’essor du ski durant les Trente Glorieuses, la région n’a pas connu de transformations aussi intenses que les vallées attenantes: l’absence de grandes surfaces d’alpages et les ravins abrupts ont représenté un frein au développement de grandes stations. « préservation relative est une chance pour le territoire, souligne Laurence Crémel. Le statut de PNR ouvre aujourd’hui la voie à un tourisme plus durable. Mais cela ne va pas sans contradictions : ce label vise à préserver un patrimoine, mais il permet aussi un certain positionnement sur le marché du tourisme. Or s’il y a trop d’infrastructures, l’aspect sauvage de la montagne disparaît ! Il est donc nécessaire pour les collectivités de réfléchir quel public elles veulent accueillir et comment. L’enjeu est de concevoir un tourisme qui ne sacrifie pas les écosystèmes fragiles de la région. »

Expériences singulières plutôt que consommation touristique

Comment accompagner l’engouement du public vers un tourisme doux par le paysage ? Quelles sont les mesures paysagères à mettre en place pour une meilleure gestion des sites emblématiques face aux pressions touristiques? Quels sont les potentiels paysagers et écologiques des réseaux de mobilité existants au sein du PNR ? Ce sont quelques-unes des interrogations soulevées par les étudiants dans le cadre de leurs projets.

Documents sur la vallée du Trient réunis par les étudiantes et des étudiants en architecture du paysage et publiés dans l’ouvrage Le Parc naturel régional de la vallée du Trient, de l’Arpille à la Cime de l’Est. | LA CASCA DE PISSEVACHE / F. DIDAY / 1852, SERENA BONDI, CÉCILE WALDER, ALOÏS JOLLIET

Leur attention s’est portée notamment sur la valorisation de lieux emblématiques du territoire, comme la route des Diligences, un itinéraire historique entre le village de Vernayaz dans la plaine du Rhône et la commune de Finhaut, quelques centaines de mètres et dizaines de lacets plus haut. Le Finhaut des Diligences, projet de Clara Chaboz, imagine plus de place pour les piétons, une réduction de la vitesse des véhicules et des espaces végétalisés avec des espèces indigènes, afin de rendre cet itinéraire plus accueillant pour les visiteurs et les habitants. Tout près de là, Laura Dunes et Carla Marjollet proposent, avec La chevauchée des Baleines, de valoriser le géopatrimoine local représenté par les dos de baleines, des roches striées par le passage des glaciers : sentier surélevé et aire de jeux font partie de leurs suggestions. D’autres projets souhaitent visibiliser des paysages plus ordinaires ou des friches industrielles. D’autres encore, comme celui de Floriane Jungo, travaillent sur l’intégration paysagère des infrastructures de mobilité comme les gares, souvent laissées pour compte. Avec Marécottes (entre les roches), elle propose de montrer le paysage de roches moutonnées de cette station touristique, alors qu’une nouvelle gare est prévue. Celle-ci doit s’intégrer dans ce paysage caractéristique, alors que l’ancienne gare et ses alentours peuvent faire l’objet d’une réaffectation attractive, valorisant vestiges du passé glaciaire et produits régionaux.

« Ces démarches proposent une approche complexe du paysage, qui mobilise tous les sens et invite à vivre des expériences singulières, analyse Molly Fiero. Elles offrent une alternative à la disneylandisation2Disneylandiser un lieu, « c’est en mettre en scène les singularités locales, exacerbées de façon à les rendre uniques et inoubliables. Peu à peu, dans le monde entier, sur le modèle de l’attraction phare de Disneyland Paris, “It’s a small world”, plus fréquentée que le Louvre, se reconstituent ainsi, dans des périmètres bien délimités, de petits mondes parfaits, conçus pour coller exactement à notre attente : nous rêvons d’animaux sauvages mais gentils, de forêts vierges mais aménagées, de peuples “authentiques” mais accueillants. » (Brunel S., La planète disneylandisée?, Sciences Humaines, 2012) des lieux touristiques, cette tendance à l’artificialisation ou à la surcommercialisation des espaces. » Au final, on accueille tout en préservant : tisseurs de connexions, les architectes paysagistes parviennent ainsi à concilier les objectifs du PNR.