Religieuses ou laïques, collectives ou individuelles, manifestes ou encore diffuses, de multiples croyances soutiennent nos existences. Un ostéopathe, un guide de montagne, une tatoueuse et des sociologues nous racontent les leurs.

TEXTE | Anne-Sylvie Sprenger
IMAGES | Hervé Annen


«La méditation reste ma meilleure alliée»

«À chacun ses croyances» // www.revuehemispheres.com
© Hervé Annen

Federica Zilli, tatoueuse, Port (BE)

«‹La force des croyances›? La première chose qui me vient à l’esprit, c’est la détermination à réaliser ses rêves. D’avoir un rêve sur le long terme, qui devient un projet pour lequel on va ensuite concentrer tous ses efforts.» Federica Zilli sait de quoi elle parle, elle qui s’est lancée dans des études de bijoutière – pour «rassurer» ses parents – avant de se diriger vers sa passion de toujours, l’art du tatouage.

Côté spiritualité, cette Italienne installée dans la région biennoise a passé onze ans – «de mes 3 à 14 ans» – dans une école catholique, avant de s’en distancier: «J’ai très vite réalisé que ce n’était pas ma place. Les règles strictes, ce n’est pas pour moi!» L’artiste n’en est pas moins habitée par sa propre forme de spiritualité.

«Je ne suis pas religieuse à proprement parler, mais j’ai trouvé ma propre voie spirituelle à travers la méditation. Je crois en les énergies, qui connectent les êtres humains et tous les autres êtres vivants avec l’univers.»

Au quotidien, cette croyance se manifeste par une volonté «d’essayer de dégager le plus possible une attitude positive, explique-t-elle. Je suis consciente que tout ce que je fais aura des conséquences sur les gens que je côtoie et sur moi-même, à court ou moyen terme. Donc même si je suis de nature impulsive, j’essaie de toujours garder cela à l’esprit.» Federica Zilli essaie également de se préserver de la négativité que peuvent dégager d’autres personnes: «Cela représente une lutte quotidienne, mais je suis convaincue qu’à la fin cela paie, et que l’on peut toujours s’améliorer.» La méditation constitue alors «sa meilleure alliée».


«La force des croyances réside dans l’espérance»

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Claude Bovay, ancien responsable de la filière Master of Arts en Travail Social de la HES-SO, Lausanne

«La croyance fait partie de mon bagage, professionnel, intellectuel et aussi existentiel», pose immédiatement Claude Bovay. Ses études en théologie, puis en sociologie des religions, prennent racine dans son enfance et adolescence, au cœur «d’un univers familial croyant et paroissial». «J’ai toujours été intéressé par ces dimensions symboliques de l’humain, s’explique-t-il. La dimension croyante représente une donnée anthropologique, elle appartient à notre être humain. Que les croyances s’expriment dans le domaine religieux, politique, idéologique, culturel ou philosophique, elles nous amènent à nous situer par rapport à un certain nombre de valeurs et d’inspirations.» Pour ce spécialiste des religions, la force des croyances réside dans «cette idée d’espérance, cette invitation à ne pas désespérer du quotidien».

Curieux et intéressé par la spiritualité sous différentes formes, cet amateur de la philosophie de Paul Ricœur souhaite aussi vivre sa croyance à travers ses différents engagements associatifs, tournés autour de la question de la solidarité et du vivre-ensemble. Il a notamment participé à la mise en place de l’association Bénévolat-Vaud, visant à développer et soutenir la vie associative du canton. «Pour moi, croyances et engagements vont de pair. Il existe un lien entre ce à quoi on croit – pour ma part le vivre-ensemble – et la qualité des rapports que l’on entretient entre humains.» Chez ce chercheur et formateur, la croyance est avant tout cette ressource mobilisatrice, qui vise à prendre part concrètement à l’existence, tant d’un point de vue individuel que collectif.


«La beauté de la création ne vient pas de nulle part»

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François Perraudin, guide de montagne et photographe, Bagnes (VS)

Après une éducation strictement catholique, le Valaisan François Perraudin connaît un moment de révolte face à la religion. C’est à force de fréquenter les cimes, de par sa pratique de guide de montagne, qu’il renoue peu à peu avec sa foi d’enfant. «Cette beauté de la création ne vient pas de nulle part, clame-t-il aujourd’hui. Il y a bien là-haut quelqu’un qui l’a créée et rendue si admirable!» Cette évolution de son état d’esprit se manifeste d’ailleurs clairement au fil de ses ouvrages de photographies. Purs descriptifs de la Haute Route, puis prétextes à des réflexions philosophiques, ses clichés affichent aujourd’hui ses convictions religieuses.

«Il y a, au fil de mon chemin de vie, des pierres qui ont jalonné l’augmentation d’une croyance et d’une pratique religieuse», raconte celui qui a développé une vraie pratique de prière et de méditation quotidienne. «Je suis croyant sans être une grenouille de bénitier», s’amuse-t-il néanmoins. Aurait-il retrouvé sa foi sans la majesté des sommets? Pas sûr. «La montagne force à l’humilité, notamment avec la prise de risque. Plus on avance, plus on se rend compte qu’on ne maîtrise rien, que nous sommes de petites choses face à la nature.» Aujourd’hui, il n’est pas rare d’ailleurs qu’avant de partir en randonnée, «lorsqu’on se trouve dans un passage exposé, d’avoir une pensée vers Dieu bienveillant pour qu’il guide nos pas et qu’il retienne le sérac, la pierre, qui pourrait nous menacer». La gratitude, face à la splendeur de la nature et le secours fidèle dont il a été si souvent l’objet, compose alors le maître mot de sa foi.


«Toute croyance a sa valeur»

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Mallory Schneuwly Purdie, chercheuse au Centre Suisse Islam et Société, Fribourg

«Je suis agnostique, je n’ai aucune foi religieuse», postule Mallory Schneuwly Purdie, chercheuse au Centre suisse Islam et Société. Pour cette Fribourgeoise, «forcément catholique sur le papier», la croyance a plutôt pris des airs humanistes: «Je crois dans le changement. C’est-à-dire que les êtres humains et les situations peuvent changer.»

Qu’on ne s’y méprenne pas, la sociologue n’irait «pas jusqu’à dire qu’elle a foi en l’humanité». Dans le fond, elle… «souhaite la fin du racisme», ose-t-elle formuler, un brin intimidée par l’aspect chimérique de son vœu. C’est précisément ce qu’elle essaie de faire à travers son travail, soit apporter sa «petite goutte d’eau pour que les individus apprennent à mieux se connaître avant de se juger.»

La sociologue ne se méfie pas pour autant des croyances. Au contraire, elle se dit «fascinée par la manière dont certains arrivent à conditionner leurs vies pour elles, dans un sens positif comme négatif. Elle est impressionnée par ceux qui arrivent à s’élever vers une forme de mystique, par ceux qui sont prêts à se faire exploser pour leurs croyances.»

Elle ne saurait être cependant dans 
le jugement. Pour elle, «toute croyance a sa valeur. À condition qu’elle soit critiquable».


«Il vaut mieux croire en soi qu’en quelqu’un»

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Marcel Paturel, ostéopathe, Fribourg

De la force des croyances, Marcel Paturel en est convaincu. »Si on ne croit en rien, c’est assez difficile d’avancer vers un objectif ou un but!» L’ostéopathe, qui enseigne par ailleurs à la Haute école de santé de Fribourg – HEdS-FR, pense cependant, personnellement, «qu’il vaut mieux croire en soi qu’en quelqu’un». C’est ainsi qu’il s’est peu à peu affranchi de son éducation judéo-chrétienne pour développer, au cours de sa formation, la croyance qui soutient aujourd’hui tant sa 
pratique professionnelle que son existence. Précisément? «Je crois en a capacité de chacun de pouvoir choisir son présent et son futur. Je crois qu’on a la possibilité de faire ce qu’on choisit au cours de notre vie.» Une conviction qui découle directement de la philosophie sous-tendant la pratique ostéopathe, soit le concept que le corps humain a toujours la capacité de s’auto-guérir. Cette assertion constitue pour Marcel Paturel un mode de vie: «Si on se lève le matin en s’imposant des limites, on va forcément occulter une partie du champ de vision et du champ de possibilités qu’on va avoir. Le but est de rester le plus ouvert possible chaque jour afin de saisir les opportunités qui se présentent à nous, et qui vont dans le sens de nos vrais désirs.»

L’ostéopathe confie néanmoins que ce n’est pas toujours évident, qu’il s’agit d’une «vraie lutte au quotidien, tant il est vrai qu’on a quand même cette fâcheuse tendance à s’enfermer dans un spectre de vision limité». Finalement, une croyance, ça s’entraîne, comme un muscle, pour ne pas se ramollir…