Des curatelles qui visent la protection plutôt que le contrôle // www.revuehemispheres.com

Des curatelles qui visent la protection plutôt que le contrôle

publié en

,

La révision du Code civil a entraîné un changement de paradigme dans la gestion des curatelles. Le droit a abandonné l’ivrognerie ou l’inconduite. L’approche se focalise sur l’assistance et la gestion du patrimoine. Mais les disparités entre cantons restent grandes.

TEXTE | Stéphane Herzog

Protéger le patrimoine d’une famille quand la maladie ou la folie risquait d’entraîner sa dilapidation: ancienne, la notion de tutelle remonte au droit romain. Définie dans le Larousse comme un «régime de protection de la personne et des biens des mineurs et des incapables majeurs, qu’il importe de représenter dans les actes de la vie civile», la tutelle a longtemps visé le contrôle du comportement. Cette notion a disparu du droit en ce qui concerne les adultes, remplacée par celle de curatelle. Il existe différentes formes de curatelles, mais de façon générale, les tâches concernées comprennent l’assistance personnelle, la gestion du patrimoine, ainsi que les rapports juridiques avec des tiers.

Entrée en vigueur en 2013, la révision du Code civil a notamment entraîné une profonde refonte de ces mesures. Ainsi, Noémie Helle, présidente de l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte au Tribunal régional des Montagnes et du Val-de-Ruz (NE), rappelle que «si la curatelle reste une mesure de contrôle social, elle vise néanmoins à protéger une personne qui se trouve dans une situation de faiblesse». Peter Voll, qui enseigne la curatelle au sein de la HES-SO Valais-Wallis – Haute Ecole de Travail Social, corrobore ces propos: «La protection des personnes a pris beaucoup d’importance.» Le langage même attaché aux décisions de protection de l’adulte et de l’enfant a muté. Les notions d’«ivrognerie» ou d’«inconduite» ont ainsi été remplacées par des indications plus objectives. C’est désormais le trouble psychique ou une situation de faiblesse qui peuvent entraîner la mise en place d’une curatelle. Celle-ci est devenue une mesure, qui va d’une simple décision d’accompagnement à une curatelle de portée générale. La personne touchée par cette dernière est tout de même privée de l’exercice de ses droits civils. «On ne peut plus régler que les affaires mineures de la vie quotidienne, par exemple s’acheter un paquet de cigarettes», résume Peter Voll.

Les décisions en matière de protection de l’enfant ou de l’adulte sont soumises depuis 2013 à une autorité interdisciplinaire, comprenant au moins un juriste. Exit donc les décisions prises par un exécutif communal. L’application de cette nouvelle approche, plus indépendante, a d’ailleurs révélé des grandes disparités entre la Suisse romande et la Suisse alémanique. Dans l’espace francophone, l’institution d’une curatelle est le fait d’une autorité judiciaire. Outre-Sarine, c’est une autorité administrative qui est saisie. La proximité avec le politique s’avère plus grande dans le deuxième cas.

Malgré la refonte légale, la distribution du nombre et du type de curatelles varie sensiblement d’un canton à l’autre. «Certains trouvent cela scandaleux», souligne Peter Voll. Un exemple? Les fortes variations du taux de curatelle de portée générale. En 2017, il était de 46% dans le canton de Vaud, contre 7% à Berne, où cette proportion a chuté. «La raison est liée à la culture juridique locale», estime le spécialiste. Autre exemple, le cas de Neuchâtel. En 2018, le taux de curatelles pour 1000 adultes s’y élevait à 20.05, soit nettement au-dessus de la moyenne suisse. Pourquoi? «Le canton cumule certains indices de risques: revenu moyen par habitant bas, population âgée, fort recours à l’aide sociale et nombre élevé de divorces», pointe en substance Noémie Helle. La juge estime en outre que le filet social s’est détendu, laissant plus de personnes en difficulté.

Les curatelles modernes recèlent-elles encore une volonté de dicter la conduite du citoyen? «La Suisse ne se distingue pas par un régime de contrôle différent de celui des autres pays européens», juge Peter Voll. C’est plutôt la perception de la curatelle par certaines institutions qui demeurerait biaisée. Par exemple, lorsqu’un EMS demande une curatelle dès qu’un usager cesse de payer ses factures.


Variation des taux de curatelle par canton

Le pourcentage des adultes sous curatelle varie d’un canton à l’autre. Les spécialistes expliquent ces différences par les cultures juridiques locales ou par l’accumulation de certains indices de risques, comme le revenu moyen bas ou l’âge 
de la population.

Source: Statistiques COPMA 2018

Des curatelles qui visent la protection plutôt que le contrôle // www.revuehemispheres.com