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Données génétiques: un grand besoin de formation chez les soignants

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L’intimité du patrimoine génétique des patients peut mettre les soignants face à des situations inédites. Rencontre avec Séverine Vuilleumier, vice-doyenne R&D à la Haute école de la Santé La Source à Lausanne – HES-SO, dont les travaux ont étudié ces enjeux.

TEXTE | Stéphany Gardier

Dans le domaine des données génétiques, la législation a-t-elle pris du retard sur la science?

C’est souvent le cas: la science produit des avancées technologiques qui sont transférées dans la société, de plus en plus vite, et la loi doit suivre. Mais cette accélération dans le domaine de la génétique a, en effet, créé un gap qui, dans certains pays, conduit à des situations inquiétantes. En Suisse, le cadre législatif est assez strict sur les analyses génétiques. Les tests dits direct to consumer, c’est-à-dire fournis par un prestataire privé directement au consommateur, ne sont pas autorisés. Aux États-Unis en revanche, plusieurs sociétés, telles que 23andMe, MyHeritage ou AncestryDNA proposent ce genre de service. 23andMe a été la première compagnie privée à recevoir l’accord des autorités fédérales américaines pour délivrer directement des résultats de tests génétiques aux clients, ce qui a représenté une révolution! Il suffit d’envoyer un échantillon de salive par la poste pour recevoir en retour son risque potentiel de développer un diabète, la maladie d’Alzheimer ou un cancer, par exemple. Tout cela est envoyé sans rien savoir sur le niveau de connaissances et de compréhension du consommateur. C’est risqué. Par ailleurs, la plupart des sociétés peuvent disposer des génomes séquencés. Il n’est pas certain que les utilisateurs de ces services soient bien informés sur l’usage qu’il sera fait de leurs données.

Séverine Vuilleumier
Séverine Vuilleumier regrette que tout un pan des professionnels de santé ne soit pas vraiment inclus dans le mouvement de la santé personnalisée, à commencer par les infirmiers et infirmières. © Francois Wavre | Lundi13

Les professionnels de santé sont-ils aujourd’hui à même d’accompagner les citoyens dans l’usage de ces tests et des technologies associées à la médecine personnalisée?

Il existe un gros besoin d’information dans la population en général, ainsi que de formation des professionnels de santé sur ces enjeux. La plupart des personnes qui exercent aujourd’hui ont été formées à une période où toutes ces technologies n’existaient pas. Le niveau de connaissances se révèle donc disparate et dépend surtout de l’intérêt personnel des soignants. Ce qui est dommage: tout un pan des professionnels de santé n’est actuellement pas vraiment inclus dans le mouvement de la santé personnalisée, à commencer par les infirmiers et infirmières. Or, ils pourraient constituer un formidable relais d’information auprès des citoyens et également participer activement au déploiement de cette santé personnalisée, qui présuppose de bien connaître l’environnement des patients. Aux États-Unis, l’American Nurse Association s’est emparée du sujet et a établi une liste des compétences en génétique que les infirmières seraient susceptibles d’acquérir, de même que des interventions de prévention, de soins et éducatives qu’elles pourraient pratiquer.

Concrètement, comment imaginez-vous le rôle des infirmières?

Un des gros atouts des infirmières, c’est leur présence sur le terrain. Elles se trouvent pour ainsi dire partout: dans les écoles, dans les environnements de travail, dans les centres de soins communautaires et, bien sûr, dans les institutions de soins (hôpitaux, cliniques, CMS et EMS). Elles ont accès à toutes les couches de la société et sont impliquées dans le quotidien des personnes et patients qu’elles soignent et accompagnent en continu. Elles passent généralement plus de temps que les médecins auprès des patients et sont en mesure d’observer comment ils vivent, se nourrissent, dorment, réagissent à un nouveau traitement, etc. En plus de soins personnalisés, elles apporteraient des éléments de qualité pour caractériser l’environnement des patients et aussi, par exemple, les accompagner dans l’usage des objets connectés, avec à la clé des données de meilleure qualité. Dans l’autre sens, elles pourraient utiliser les données de la recherche pour développer des interventions de prévention de précision dans certains quartiers.


Faire séquencer son génome: quels enjeux pour (les membres de) sa famille?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, réaliser un test génétique représente une décision qui n’engage pas que soi. Explorer son patrimoine génétique, c’est aussi mettre au grand jour des informations qui concernent ses proches, et partager ses données génétiques revient à exposer – en partie au moins – celles de ses apparentés. Le recours aux tests direct to consumer (DTC) est de plus en plus fréquent: un récent rapport du cabinet KPMG estimait ainsi que ce marché devrait dépasser le milliard de dollars en 2020. Mais, parmi les clients, combien savent que les entreprises peuvent ensuite revendre ou partager leurs données et combien sont conscients d’exposer l’intimité génétique de leurs proches?

Dans le cadre d’un projet soutenu par l’initiative Santé personnalisée & Société de la Fondation Leenaards, des chercheurs de l’Université de Lausanne, du Swiss Data Science Center, de la HES-SO Valais-Wallis et d’UniSanté ont développé un outil disponible en ligne, afin de sensibiliser le grand public à ces enjeux. Il suffit de construire en quelques clics son arbre généalogique, puis d’indiquer quel membre de la famille a déjà eu recours à des analyses génétiques pour obtenir un «score de confidentialité». «Par exemple, à partir des génomes de vos deux parents biologiques, il est possible de déduire 46% de votre information génomique, expliquent les chercheurs. Avoir un seul cousin séquencé ne révèle que 1% de votre information génomique. Cependant, il serait possible d’identifier un lien de parenté entre vos deux génomes avec un indice de confiance élevé.

Des techniques de ce type sont utilisées pour résoudre des affaires criminelles.» En Californie, un meurtrier surnommé le Golden State Killer a ainsi été arrêté grâce à un prélèvement d’ADN qui comportait des correspondances avec celui d’un cousin au troisième degré, qui avait eu recours aux services d’une société de séquençage. Plus simplement, obtenir des informations sur ses origines ancestrales et celles de ses parents peut révéler des secrets jusqu’ici bien gardés. Des risques qu’il convient de bien évaluer avant de sauter le pas du séquençage.