L’hypersensibilité au bruit est un handicap invisible qui touche de nombreuses personnes autistes et qui peut restreindre l’accès aux loisirs. Une étude s’est penchée sur le sujet afin de rendre les lieux de divertissement plus accessibles pour ces dernières.
TEXTE | Élodie Lavigne
ILLUSTRATION | Pawel Jonca
Une lumière vive, des odeurs prononcées, un volume sonore élevé… On peut être exposé à ces stimulations sensorielles au détour d’un trajet, d’une sortie, d’une visite. Si la plupart des individus n’y prêtent pas garde, d’autres peinent à y faire face. C’est le cas des personnes autistes qui peuvent être concernées par des particularités sensorielles comme l’hyperacousie, définie comme une sensibilité extrême aux sons et aux bruits. Dans ces conditions, l’accès aux loisirs est problématique à plus d’un titre, expliquent Aline Veyre et Valentine Perrelet, respectivement professeure et maître d’enseignement à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne – HETSL – HES-SO. Toutes deux sont coresponsables d’une étude pluridisciplinaire sur le sujet : « L’idée d’affronter un environnement bruyant, au moment du trajet déjà, est en soi éprouvante. Sur le lieu de l’activité, faire face à des situations imprévisibles, comme l’arrivée d’un groupe d’enfants dans un musée, peut s’avérer épuisant. Il est difficile de se rendre compte à quel point ces stimulations sensorielles peuvent affecter. Car il s’agit d’un handicap invisible. »

Des activités perçues comme énergivores
L’impact, bien réel, des particularités sensorielles sur la vie sociale, est une thématique pourtant peu étudiée par la recherche, quand bien même les loisirs constituent une partie importante de l’existence. Faciliter l’accès aux loisirs des personnes concernées et sensibiliser les organisateurs à leurs besoins spécifiques était l’objectif même de cette étude, rattachée à l’Unité de recherche pour et par les personnes concernées par l’autisme et au réseau « Participation sociale des personnes avec troubles neurodéveloppementaux » de la HETSL. Dans un premier temps, des entretiens ont été menés pour savoir ce qui freinait leur participation à de telles activités et ce qui pouvait, à l’inverse, les favoriser. « Nous nous sommes aperçues que la définition d’un loisir pouvait être différente pour les personnes autistes, explique Aline Veyre. Certaines activités sont en effet vécues comme socialement énergivores.» Aussi, les notions de familiarité et de prévisibilité (possibilité de se projeter) sont apparues comme des critères importants. Or, « les informations données sur l’accessibilité d’un lieu (présence d’un ascenseur, par exemple) font souvent référence à l’accessibilité physique et ne disent rien sur les stimulations sensorielles », poursuit Aline Veyre. De leur côté, les organisateurs ont avoué méconnaître ce type de besoins et se sentir démunis quant aux solutions à apporter.

Une bande-annonce pour anticiper un environnement sonore
Sur cette base, une technologie inclusive a été développée pour permettre aux personnes ayant un profil sensoriel atypique de planifier des activités hors du domicile durant leur temps libre. « Nous avons visité différents lieux avec un ingénieur du son pour voir comment les personnes souffrant d’une hyperacousie percevaient les sons », raconte Aline Veyre. Le prototype mis au point délivre une sorte de bande-annonce sonore. On peut également y entendre des sons « surprises » comme des sirènes, des aboiements, des cris d’enfants : « La quantité d’énergie sensorielle des personnes avec hyperacousie est très fluctuante selon les jours. En leur permettant de se situer par rapport à leur profil sensoriel et d’anticiper les environnements sonores, nous les aidons dans le processus de décision. » Selon la réserve énergétique du moment, une balade en forêt sera préférable à une exposition en présence d’autres visiteur·euses. Ce dispositif a pu être testé lors de la Mad Pride à Lausanne en 2023, un événement consacré à la santé mentale. « Disposer d’une carte du parcours et de son environnement sonore a été jugé utile par les utilisateur·trices. L’information, considérée comme suffisamment détaillée, a permis d’effectuer un choix éclairé en amont », commente la chercheuse.
Avec ce projet, les organisateurs ont aussi été sensibilisés à la thématique de l’hyperacousie et invités à réfléchir à des aménagements : « Comme d’autres études l’ont montré, ce qui peut être apprécié par cette population peut également l’être par celles qui sont moins vulnérables, dans un souci d’inclusivité », relève Aline Veyre. Ce prototype a suscité beaucoup d’intérêt auprès, notamment, des professionnel·les de la santé et de l’éducation. Il pourrait à l’avenir, moyennant un financement, être développé sous la forme d’une application.
Explorez nos contenus sonores
1. Mixage représentant un paysage sonore urbain typique en ville de Neuchâtel : rue en travaux – gare – parc public avec enfants – café. Il a été réalisé par le studio de son Ionison dans le cadre du projet de la HETSL.
2. Concept et réalisation idem, mais parcours à Lausanne : rue en ville – passage sous-voies – métro – supermarché.
3. Réalisation idem, mais il s’agit ici d’un local fermé équipé d’un bancomat. Ce paysage sonore a été identifié comme « refuge » par les participant·es au projet de la HETSL, c’est-à-dire apaisant et prédictif.