«Quand la croyance sublime le traitement» // www.revuehemispheres.com
Avec sa série de Capsules, l’artiste mexicain Francisco Esnayra explore le thème du placebo. Son travail interroge la connexion entre le mental, les émotions et le corps. Il souhaite montrer à quel point les pensées affectent les corps, comme si l’état mental était un placebo. © Francisco Esnayra

Nos idées peuvent fortement influencer le processus de guérison ou au contraire d’aggravation d’une maladie. C’est l’effet placebo ou respectivement nocebo. Rejeté par une médecine avide de preuves scientifiques, il est néanmoins régulièrement utilisé dans la pratique.

TEXTE | Martine Brocard

Une pilule de sucre à même de berner les esprits crédules, le placebo? Voilà le cliché qui colle à ce mot. Pas étonnant, dès lors, que nombre de médecins veuillent s’en distancier, au risque de passer pour des charlatans. Pourtant, l’effet placebo qui peut en résulter s’avère parfois saisissant. «En médecine, on ne sait pas exactement comment il fonctionne, mais on le constate, résume Rose-Anna Foley, anthropologue et professeure associée à HESAV – Haute Ecole de Santé Vaud – HES-SO. C’est un domaine peu investigué, car on cherche plutôt à le réduire, vu la représentation négative du placebo en général.»

La définition classique du placebo (du latin «je plairai») est celle d’une préparation ressemblant à un médicament, mais dépourvue de tout principe actif. C’est le cas des placebos utilisés dans le cadre de tests pharmacologiques. En revanche, si l’on définit le placebo comme ce qui peut déclencher un effet placebo, qu’on peut à son tour définir comme l’évolution positive d’une maladie ou d’un symptôme, dépassant les effets physiques scientifiquement attendus d’un traitement, sa portée va au-delà des comprimés de sucre.

«Des études ont montré qu’un analgésique injecté par un médecin s’avère beaucoup plus efficace que la même substance administrée par perfusion», pointe Margrit Fässler, éthicienne de la santé à l’Institut d’éthique biomédicale de l’Université de Zurich. Dans ce cas, la présence et l’implication du praticien agissent comme un placebo. «L’effet placebo est causé par tout ce qui peut impressionner le patient, comme des examens médicaux, l’attitude du soignant, ou la réputation d’un médecin ou d’un médicament», estime Margrit Fässler.

La chirurgie, un méga-placebo

Il existe même une hiérarchie entre les voies d’administration des médicaments et l’effet placebo qu’elles induisent. Ainsi, les injections intraveineuses sont perçues comme les plus efficaces, suivies des injections intramusculaires, puis des comprimés, et en dernier lieu des suppositoires, fait remarquer la psychologue Christine Cedraschi, chargée de cours à la Faculté de médecine de Genève, et auteure d’un article intitulé Le placebo, un allié mésestimé…

De même, les actes médicaux ne sont pas égaux de ce point de vue, avec la chirurgie qui remporte la palme du «méga-placebo», selon le même article. «Cet acte est perçu comme important. Il implique qu’on a quelque chose de grave et suscite l’inquiétude des proches, explique Christine Cedraschi. Ce sentiment est renforcé par les appareils sophistiqués qui se trouvent en salle d’opération ainsi que le rituel qui s’y déroule, mené par le personnage prestigieux qu’est le chirurgien… C’est plus impressionnant qu’un comprimé antidouleur!»

Une étude finlandaise publiée en 2013, menée sur 146 patients souffrant d’usure du ménisque, a montré que ceux qui avaient subi une meniscectomie partielle sous arthroscopie ne se portaient pas mieux que ceux qui avaient subi une simulation de l’opération (avec tout le rituel d’une «vraie» opération). Seuls cinq patients sur les 76 à avoir subi la «fausse» opération ont été réopérés plus tard en raison de douleurs persistantes, tout comme deux des 70 patients à avoir subi la véritable opération.

« Par la bande »

S’il semble peu probable que de telles «opérations fantômes» puissent se dérouler à l’insu des patients en dehors du cadre d’études autorisées par des comités d’éthique, il n’en va pas de même pour des actes plus anodins. «Des soignants m’ont confié qu’ils pouvaient, lorsque le patient est connu de leur service, remplacer une dose d’antalgique par une injection d’eau afin de le calmer, glisse Rose-Anna Foley. Mais ces actes se font dans certains contextes et par la bande.»

Une étude de l’Institut d’éthique biomédicale de l’Université de Zurich menée en 2009 auprès des pédiatres et des médecins de famille du canton de Zurich a montré que moins de 10% d’entre eux faisaient usage de «placebos purs», de type injection d’eau ou pilule de sucre présentée comme un «vrai» médicament. En revanche, près de trois quarts des répondants ont indiqué avoir recours à des placebos dans le cadre d’un traitement. «Il s’agissait par exemple de suggestions positives de type ‹vous allez guérir›, de bandages simples, de vitamines, d’antibiotiques sans lien avec la condition du patient ou encore d’examens diagnostiques superflus mais sans risque pour le patient, comme des ultrasons, ou de l’imagerie par résonance magnétique», précise Margrit Fässler, qui a piloté l’étude.

Une grande partie des participants ont en outre peiné à se positionner sur l’éthique en matière de placebos. Cette interrogation donne lieu à de grandes divergences parmi les médecins, constate Margrit Fässler. «Certains sont très stricts et considèrent de leur devoir d’utiliser uniquement des techniques scientifiquement prouvées et que l’utilisation d’un quelconque placebo revient à mentir à leur patient. Au contraire, d’autres se forment à des médecines alternatives parce qu’ils réalisent que certains de leurs patients ne peuvent pas être aidés par la ‘médecine universitaire classique’ et veulent donc étoffer leur panoplie de traitements.»

Jouer un rôle dans sa propre guérison

En 2009, le plébiscite de 67% des Suisses en faveur de l’introduction dans la loi sur l’assurance maladie obligatoire des médecines complémentaires comme l’homéopathie ou l’acupuncture, témoigne de l’intérêt de la population pour des traitements non prouvés scientifiquement. «Ces alternatives à la médecine classique séduisent beaucoup de patients, car elles leur redonnent un rôle à jouer dans le processus de leur propre guérison», observe Rose-Anna Foley.

Il n’y a d’ailleurs pas nécessairement besoin de tromper le patient pour le faire bénéficier de l’effet placebo, indique une récente étude de l’Université de Bâle et de la Harvard Medical School de Boston. Dans ce cadre, trois groupes de patients ont reçu une crème placebo pour soigner une douleur. Aux premiers, elle était présentée comme un antidouleur doté d’un principe actif, aux deuxièmes comme un placebo et était accompagnée d’une information de 15 minutes sur l’effet placebo, et aux troisièmes comme un placebo, sans autres explications. Au final, les participants des deux premiers groupes ont dit avoir ressenti une diminution significative des douleurs, tandis que ceux du dernier groupe n’ont pratiquement ressenti aucun effet. Les chercheurs concluent que les placebos peuvent avoir de l’effet même s’ils sont désignés comme tels, pour autant qu’ils soient accompagnés d’explications.

De son côté, après la publication de l’étude sur l’usage du placebo auprès des médecins zurichois, Margrit Fässler a reçu le coup de fil d’une femme lui demandant le contact d’un médecin pouvant lui prescrire des placebos. «Elle m’a dit qu’elle avait besoin de somnifères, mais qu’elle devenait dépendante aux médicaments. Son ancien médecin lui prescrivait ouvertement des placebos, ce qui fonctionnait parfaitement pour elle. Elle se trouvait très ennuyée après son départ à la retraite.»

Effet nocebo

Enfin, si les représentations qu’un patient se fait d’un traitement peuvent jouer un rôle positif dans l’évolution de sa maladie, l’inverse est également possible. On parle dans ce cas d’effet nocebo (du latin «je nuirai»).

Margrit Fässler cite encore une étude réalisée sur des personnes allergiques à certains antibiotiques, à qui on avait expliqué qu’ils allaient recevoir en milieu hospitalier des doses d’autres antibiotiques afin d’en trouver un auquel ils n’étaient pas allergiques. «Ces patients ont développé tous les effets secondaires possibles: démangeaisons, urticaire, somnolence, problèmes respiratoires, et même, pour certains, un état de choc», raconte l’éthicienne. En fait, ils avaient reçu des placebos. «Le seul fait de s’attendre à recevoir des antibiotiques avait produit cet effet. Cela montre que nos croyances peuvent avoir des effets très très forts.» L’effet nocebo est d’ailleurs pris de plus en plus au sérieux, du moins dans certaines équipes de recherche s’intéressant à la symbolique des médicaments et certains services comme l’oncologie. «La représentation que les patients, et à certains égards les soignants, se font de la chimiothérapie est très négative. Ces traitements sont autant considérés comme des poisons que comme des médicaments», explique Rose-Anna Foley. Dans ces services, les soignants doivent être conscients que le patient se fait sa propre expérience et idée du médicament, avec laquelle il faudra composer pour faire pencher la balance du côté «cure» plutôt que «poison».


Trois questions à Florence Scherrer

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© Hervé Annen

Les croyances du patient influencent la réussite de son traitement. Ce concept forme la base de l’éducation thérapeutique, spécialité de Florence Scherrer, maître d’enseignement à l’Institut et Haute Ecole de Santé La Source – HES-SO.

En quoi consiste l’éducation thérapeutique?
FS Elle a pour but d’aider le patient à acquérir des compétences pour gérer sa vie avec une maladie. Il se sentira ainsi plus à l’aise et risquera moins de complications et d’hospitalisations. Il améliorera en outre sa qualité de vie et son estime de soi.

Concrètement, comment cela fonctionne-t-il?
FS Nous partons des représentations que le patient se fait de sa maladie pour l’aider à les transformer. Certains patients à qui on a posé un stent à la suite d’un infarctus voient cet épisode comme une fracture et s’imaginent reprendre leur vie comme s’ils étaient guéris. Nous intervenons alors en leur faisant comprendre que leurs artères restent endommagées et qu’il s’agit d’une atteinte chronique appelée l’athérosclérose. Une fois qu’ils comprennent cela, ils sont davantage disposés à bouger plus, manger mieux et arrêter de fumer.

Comment est née cette discipline?
FS Elle a vu le jour dans les années 1990 avec des diabétiques. Avant la découverte de l’insuline, ces derniers mouraient. Après, on a pensé que le problème était résolu puisqu’on disposait d’un traitement. Cependant, le nombre de morts et de complications graves restait très haut. On a alors compris qu’il ne suffisait pas d’avoir un traitement pour que le patient le prenne, mais qu’il était indispensable d’amener ce dernier à le comprendre et y adhérer.


Culture religieuse et relation au médicament

Si nos croyances influent sur le processus de guérison, notre origine religieuse – même pour les non-croyants – joue un rôle dans notre rapport aux médicaments. C’est ce qu’a étudié l’anthropologue Sylvie Fainzang. Elle s’est penchée sur quatre groupes d’origine culturelle religieuse différente en France.

Il en ressort notamment que les patients d’origine protestante valorisent plus l’automédication que les patients d’origine catholique. «Il règne dans la culture protestante l’idée qu’il faut se prendre en charge soi-même», commente Sylvie Fainzang, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale à Paris. Lorsqu’un patient d’origine catholique est guéri, il jette souvent l’ordonnance en se disant que, s’il tombe à nouveau malade, le médecin lui prescrira ce dont il a besoin. En revanche, lorsqu’un protestant est guéri, s’il jette aussi l’ordonnance – de préférence en la brûlant, pour ne pas laisser accessibles aux autres des informations personnelles – il prend généralement soin de la recopier au préalable pour pouvoir lui-même se soigner si les mêmes symptômes réapparaissent, s’appropriant ainsi l’acte de prescription.

Enfin, «tous les groupes religieux craignent les psychotropes, à cause de leurs effets secondaires, mais pas pour les mêmes raisons». Les catholiques ont surtout peur de la somnolence que ces médicaments peuvent entraîner. Les protestants redoutent la dépendance, souhaitant rester maîtres d’eux-mêmes. Les patients d’origine musulmane s’inquiètent souvent des effets délétères sur le cœur, organe qui représente le siège de la vie morale et spirituelle dans l’islam. Enfin, les patients d’origine juive craignent surtout de perdre la mémoire, l’impératif du souvenir étant, dans cette culture, une valeur cardinale.