Durant la crise du Covid-19, des humanoïdes ont soutenu les soignants dans des tâches exposées en Chine et en Corée. Des chercheurs lausannois se sont alors interrogés sur les possibilités d’intégrer des robots dans la gestion de la pandémie.
TEXTE | Zélie Schaller
«Dès le début de la pandémie, nous avons exploré la possibilité d’utiliser des robots humanoïdes dans le tri, l’accueil et le bilan initial des patients suspects de Covid-19, raconte Dominique Truchot-Cardot, docteure en médecine et Head of Source Innovation Lab (Silab), une plateforme de l’Institut et Haute école de Santé La Source Lausanne – HES-SO qui soutient l’innovation dans le domaine des soins. Nous avons effectué une revue de la littérature scientifique et technique, qui décrit le rôle que les robots ont pu avoir en Chine et surtout en Corée lors des crises sanitaires. Nous avons pu constater que les robots pouvaient soulager le personnel soignant en période de crise, en effectuant les tâches les plus exposées et les plus répétitives. Ils sont globalement acceptés par les patients avec des attitudes affectives et générales neutres, voire légèrement positives, et une anxiété jugée légère par les chercheurs.»
La phase clinique de cette réflexion sur l’intégration de robots humanoïdes dans les équipes de soins n’a pas pu être enclenchée durant le printemps 2020. Les partenaires avec lesquels travaille habituellement le Silab se trouvaient en tension sanitaire et n’étaient pas disponibles pour intégrer de nouveaux éléments dans leur manière de fonctionner. «Si ce refus est compréhensible en pleine pandémie, il nous a convaincus de réfléchir pragmatiquement sur l’acceptabilité des robots par les professionnels de la santé et les patients car les données de la littérature sont assez pauvres à ce sujet. Et ce point est crucial, car il ne sert à rien de produire des robots ultra-sophistiqués si les équipes sur le terrain ne sont pas prêtes à les accepter.» En attendant que ce projet, qui intégrera notamment des psychologues spécialistes de la relation humain-machine, se réalise, les responsables de deux partenaires cliniques du Silab ont été d’accord de livrer leurs réflexions à Hémisphères sur le rôle et la place que pourraient avoir des robots humanoïdes dans les équipes de soins.
Jean Christophe Gostanian, directeur général de Avatarion Technology, entreprise spécialisée dans les robots humanoïdes :
Quels pourraient être les traits de caractère d’un robot participant aux soins ?
Il existe actuellement différents types de robots humanoïdes. Certains sont pragmatiques et rationnels, alors que d’autres peuvent être sympathiques et transmettre des émotions positives. On peut avoir une conversation avec eux.
Quelle serait sa plus grande qualité ?
Dans le cadre d’une pandémie, il ne peut pas être contaminé, ni devenir contagieux : il peut donc remplacer les êtres humains aux postes les plus exposés afin de les protéger.
Et son plus gros défaut ?
Il peut tomber en panne… Mais l’être humain aussi ! Un autre défaut pourrait être lié à des problèmes de confidentialité : lorsqu’un robot pose des questions à une personne dans une salle d’attente par exemple.
Que disent ses détracteurs ?
Certains professionnels de santé craignent de se voir remplacer par les robots. Je ne pense pas que ce soit le cas. Le rôle des robots consiste à les décharger en effectuant pour eux les tâches les plus dangereuses ou sans plus-value, comme prendre la température des patients ou apporter des médicaments d’un point A à un point B. Malgré tout ce que les robots pourraient apporter à l’hôpital, je constate qu’il existe une certaine rigidité face à leur intégration en Suisse. C’est dommage, car on laisse ainsi d’autres régions du monde innover à notre place.
Daniel Walch, directeur général du Groupement hospitalier de l’Ouest lémanique (GHOL) :
Quels pourraient être les traits de caractère d’un robot participant aux soins ?
Fiable, corvéable et infatigable. Dans notre établissement, nous avons testé « Bob », une sorte d’armoire sur roulettes avec un œil, capable d’amener les analyses de sang au laboratoire. Il se déplace de façon complètement autonome et peut ouvrir des portes sécurisées. Je ne sais pas s’il avait un trait de caractère particulier, mais les équipes l’ont habillé et lui ont dessiné des yeux, pour se l’approprier. Cela l’a rendu sympathique.
Quelle serait sa plus grande qualité ?
Bob n’a encore jamais commis d’erreur et a rempli toutes ses missions. Je dirais que sa plus grande qualité consiste à décharger le personnel soignant et les laborantins,
qui n’ont plus besoin de courir d’une aile de l’hôpital à l’autre avec les échantillons de sang. Ils peuvent ainsi davantage se concentrer sur d’autres tâches prioritaires.
Et son plus gros défaut ?
Durant une pandémie, en plus de déplacer des choses d’un point A à un point B, un robot pourrait accueillir les patients, effectuer un premier tri, voire prendre leur température. Mais j’ai des doutes quant à sa capacité à participer à des soins intensifs. Ces derniers ont certes déjà intégré de nombreuses technologies liées à l’intelligence artificielle, mais de là à ce qu’un humanoïde y joue un rôle, il y a un grand pas.
Que disent ses détracteurs ?
Je pense que lorsque les soignants comprennent en quoi le robot peut les aider au quotidien, lorsqu’on les rassure sur le fait qu’ils ne seront pas remplacés par lui, ils l’acceptent très bien au sein de leur équipe. Par contre, je ne suis pas convaincu que les hôpitaux suisses soient prêts à accueillir des humanoïdes en masse ces prochaines années, contrairement à ce qui se passe en Asie. C’est une question culturelle, avant d’être technique.