Pour mieux comprendre commentcommuniquent des primates d’Afrique duSud, une équipe composée d’ingénieur·eset de spécialistes du comportement animala mis au point un micro permettant derécolter leurs sons.

TEXTE | Virginie Jobé-Truffer

C’est dans un laboratoire valaisan qu’ont été conçus et fabriqués 30 colliers high-tech destinés à être portés par des singes vervets en Afrique du Sud. Pesant moins de 70 grammes et réalisés grâce à une imprimante 3D, ils sont connectés à un téléphone portable et équipés d’une batterie assurant une autonomie de plusieurs jours. Ces petits bijoux technologiques sont le fruit d’un travail collaboratif réalisé durant huit mois par une équipe dirigée par Benedetta Franceschiello, professeure à la HES-SO Valais-Wallis – Haute École d’Ingénierie – HEI et responsable du Mat-Tech Lab, le laboratoire des technologies mathématiques de l’unité Neurodevices du Centre d’innovation et de recherche The Sense. « À la base, je m’occupe de la santé humaine, des signaux du cerveau et du développement des dispositifs associés, explique la chercheuse. Quand l’éthologue Erica van de Waal de l’Université de Lausanne (UNIL) m’a présenté le projet MonkeyCall, dont le but était de récolter les interactions vocales naturelles des singes sauvages, je me suis dit que le défi était réalisable. » Benedetta Franceschiello précise que les enregistrements des cris des vervets vont non seulement aider à comprendre comment fonctionne leur société, mais aussi fournir des pistes sur l’évolution des humains.

Enregistrer les vocalisations des singes en continu

De son côté, Erica van de Waal avait besoin d’un outil performant pour récolter au plus près les sons des primates : « J’attendais de l’équipe de la HES-SO des colliers qui puissent enregistrer les vocalisations des singes vervets en continu, surtout les vocalisations sociales, dites soft calls, difficiles à capter à distance en tenant un microphone à la main. Il me fallait également des options telles que lancer les enregistrements à distance pour les avoir de manière synchronisée sur un maximum d’individus d’un même groupe, et récupérer les colliers sans devoir capturer les singes, soit un système dit autorelease. » Pour relever le défi, Benedetta Franceschiello a réuni les forces des professeur·es Alexandra Andersson et Medard Rieder, notamment pour l’électronique, ainsi que des docteur·es Murielle Richard (mécanique des matériels) et Patrice Rudaz (informatique), tous membres de l’Institut de recherche des systèmes industriels de la HEI. « Le premier problème à surmonter était de fournir 30 colliers en quelques mois sans sous-traiter, c’est-à-dire en les produisant à l’école, souligne Benedetta Franceschiello. C’était un projet de haute ingénierie, avec des composants très spéciaux, obligeant les professeur·es à souder eux-mêmes les pièces ou à imprimer les boîtiers. »

HEMISPHERES 28 Des colliers high tech pour decrypter le langage des singes
Le vervet, un singe mesurant entre 40 et 60 cm, est présent dans l’est et le sud de l’Afrique.Ce portrait a été réalisé par Michele Bavassano, photographe animalier connu pour ses collaborations avec des ONG et sa participation à des projets de protection des espèces en danger. Ses images se distinguent par des mises en scène qui valorisent l’expressivité animale.

L’équipe a aussi dû composer avec les contraintes de taille et de poids du collier, lequel devait contenir une batterie low power et une carte de circuit imprimé. Pour finir, l’animal devait tolérer le dispositif autour de son cou. Parallèlement, une application pour que les éthologues soient en mesure de suivre l’activité de tous les colliers sur un téléphone portable a été développée. À une distances de 10 à 15 mètres, elle permet d’enclencher ou arrêter un micro, et même de modifier le niveau d’intensité d’un enregistrement. Erica van de Waal précise que « le produit fini était un prototype avec une bonne qualité d’enregistrement des sons et un excellent système d’autorelease pour récupérer les colliers ». Lorsque l’application indique une défaillance de l’objet, il suffit de choisir l’option arrêt. Alors, le collier s’ouvre et tombe. S’il est nécessaire d’endormir les primates à l’installation des micros, aucun contact avec les humains n’est sollicité pour les récupérer.

De la communication des singes à celle des humains

Les premiers tests sur le terrain en Afrique ont bien sûr créé des surprises. « Nous ne sommes pas dans la savane quand nous travaillons dans nos laboratoires en Suisse, rigole Benedetta Franceschiello. Nous avons découvert un certain nombre d’éléments que nous ne pouvions pas prévoir. Les tests effectués à l’école montraient par exemple une autonomie théorique de la batterie de dix jours. Sur place, probablement en raison de conditions environnementales différentes, elles ne tenaient pas si longtemps. » Mais les résultats globaux s’avèrent positifs : la finesse des enregistrements a rendu possible la description détaillée du répertoire vocal de chaque animal. Cela a permis de déterminer son âge, le rang qu’il occupe dans la communauté, le lien de parenté qui l’unit à d’autres, etc. « Les colliers ont permis d’enregistrer de manière simultanée les cris d’alarme des mâles, appelés “barks”, lors d’expériences où l’on introduisait un faux prédateur, à savoir un caracal empaillé, explique Erica van de Waal. Nous avons également pu quantifier la participation des différents singes suivant leur rang. Cela va nous permettre d’établir des schémas des réseaux de communication au sein des groupes. »

Explorez nos contenus sonores

1. Appels agressifs d’une femelle vervet, enregistrement par Erica Van de Waal UNIL

2. Aboiements d’un mâle subadulte, enregistrement idem.

La chercheuse de l’UNIL ajoute que cette avancée technologique ouvre de nouveaux champs d’investigation : « Par exemple, la communication mère-enfant, ainsi que les variations acoustiques des cris sociaux entre groupes au sein de la même population. Cela nous permettrait de savoir si certains groupes de vervets utilisent des dialectes, soit des déclinaisons de leur langue principale. » De son côté, Benedetta Franceschiello y voit aussi une opportunité d’en apprendre plus sur les rapports humains : «S’arrêter sur la façon dont la société des primates se structure pourrait aussi donner des informations sur la société humaine. Pourquoi ne pas envisager des recherches sur l’adaptation de la communication humaine dans des situations difficiles et prévoir comment cela va se développer dans notre cerveau ? » Benedetta Franceschiello n’a qu’un regret par rapport à Monkeycall : « Paradoxalement, il a semblé moins compliqué de réaliser un bon prototype que de trouver les financements pour le développer. Nous n’avons pas encore réussi à récolter les fonds nécessaires pour aller plus loin. » En revanche, ce projet a donné envie à la chercheuse de s’impliquer davantage dans la défense des animaux et la préservation des écosystèmes.