La Chaux-de-Fonds, illustration remarquable de l’urbanisme horloger reconnu par l’Unesco, est aussi un corps sonore qui n’a pas son pareil. Une recherche originale dévoile l’âme vibrante de la cité perchée à 1000 mètres d’altitude.
TEXTE | Marco Danesi
La Chaux-de-Fonds, bâtie dans les montagnes neuchâteloises, possède une identité sonore spécifique. Le projet SØØØNS, lancé par la Haute école de musique de Genève (HEM-Genève) – HES-SO, a cherché à la dévoiler, à l’interroger, puis à la scénographier. Comment ? « Nous avons exploré et mis en scène les archives sonores conservées au Département audiovisuel (DAV) du canton de Neuchâtel, indique Orane Dourde, collaboratrice scientifique à la HEM – Genève et à l’origine du projet. Puis nous avons fait dialoguer ces enregistrements historiques 1On doit notamment ces archives uniques en Suisse romande à l’activité des Chasseurs de sons, une société d’amateurs constituée entre 1954 et 1956 qui a enregistré et préservé des sonorités typiques de La Chaux-de-Fonds. avec les réalités sonores contemporaines de la ville. » Le travail a abouti pour l’heure à l’élaboration d’un prototype de plateforme multimédia valorisant l’unicité acoustique de La Chaux-de-Fonds. SØØØNS a également donné lieu à une performance-concert présentée fin 2023 dans la Salle de musique de La Chaux-de-Fonds.
Photographie instantanée de l’essence sonore de la ville
L’ambition de la recherche était de mettre en relation le passé et le présent sonores de La Chaux-de-Fonds. « En même temps, nous voulions faire émerger les relations entre l’espace urbain, en tant qu’espace sonore organique et vivant, et ses usager·ères, à la lumière du concept de ville-corps », explique Orane Dourde. Cette approche permet de dépasser la simple cartographie du lieu. Elle favorise une compréhension globale et nuancée des interactions complexes entre les habitant·es – dont l’équipe de recherche a questionné un échantillon de personnalités représentatives – leur environnement sonore urbain, et leurs expériences sonores intimes et collectives.
Enfin, poursuit Orane Dourde, « nous souhaitions que le travail sur l’identité sonore de la ville devienne une source de création artistique et esquisse la possibilité de mondes sonores inédits. Le concert-performance a matérialisé un espace de dialogue entre les archives sonores et les créations contemporaines d’artistes. En explorant les continuités et les ruptures sonores liées à la ville, à travers des comparaisons auditives directes, des rappels de sons oubliés comme ceux des dentellières, et une immersion dans les archives, l’événement a offert une photographie instantanée de l’essence sonore de la ville. »
Des cloches toujours très présentes
Mais qu’est-ce qui constitue la particularité sonore de La Chaux-de-Fonds ? « Le passé industriel de la ville, construite par et pour l’horlogerie, et le fait qu’elle se trouve à 1000 mètres d’altitude », note Patrick Lehmann, responsable du Département des instruments de l’orchestre à la HEM-Genève, qui a mené la recherche conjointement avec René Michon, responsable du site neuchâtelois de la HEM-Genève. « Sans oublier l’élevage de bétail en bordure directe de la ville : tout cela a marqué et marque encore la singularité sonore de la cité montagnarde. » Bien entendu, en soixante ans, les choses ont beaucoup changé. Les manufactures se sont déplacées en périphérie, les bureaux ont remplacé les ateliers, les vaches sont moins nombreuses et éloignées des quartiers habités. Ces sons-là ont disparu, ou se sont faits plus discrets. De nos jours, cependant, si l’on fait abstraction du trafic routier, les cloches sont toujours très présentes. « Elles forment une texture sonore originale, caractérisée par leur timbre et le décalage perçu de leur mécanisme », précise Orane Dourde.
Par ailleurs, à La Chaux-de-Fonds, il n’y a pas de lac, contrairement à Neuchâtel. « La sonorité de la ville s’en ressent », souligne Patrick Lehmann. « Par son architecture urbaine en damier et son implantation dans les montagnes, ajoute Orane Dourde, la ville devient une caisse de résonance lors d’un orage, de telle façon que ce dernier n’a pas la même ampleur qu’ailleurs. » Et puis, il y a la neige l’hiver, rappelle Patrick Lehmann, qui a résidé longtemps en ville. Dans la cité horlogère, la neige fait corps avec le vécu de la population. « Autrefois, on était même capables de distinguer à l’oreille la qualité de la neige : mouillée, sèche, lourde, etc. Mais aujourd’hui, en raison du réchauffement climatique, on entend parfois des goélands à La Chaux-de-Fonds, c’est nouveau. »
Explorez nos contenus sonores
Extrait 01 du concert SØØØNS, avec la performance de l’ensemble Loud Lace, enregistré le 8 décembre 2023 à la Salle de musique de La Chaux-de-Fonds.
Extrait 02 du concert SØØØNS avec l’Ensemble de musique de chambre (classe de Lise Berthaud et Gerardo Vila), enregistrement idem.
Conçu dans une démarche collaborative et transdisciplinaire, SØØØNS a impliqué différentes institutions régionales et suisses romandes. Après cette première étape, les chercheur·euses envisagent de développer la plateforme multimédia à partir de son prototype, puis de la mettre en ligne tout en poursuivant l’exploration d’autres territoires sonores de Suisse.