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Les personnes LGBTIQ+ davantage exposées au cyberharcèlement

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Arnaques aux sentiments, révélations publiques d’infor­mations intimes ou insultes : comme d’autres personnes appartenant à des minorités, les personnes LGBTIQ+ vivent davantage d’expériences négatives en ligne, parfois sans s’en rendre compte. Comment les soutenir et améliorer la prévention ? Une étude a creusé la question.

TEXTE | Patricia Michaud

Sophie (personnage fictif) utilise une plateforme de rencontres en ligne pour faire connaissance avec des femmes. Elle y échange des messages avec une personne qui, après un certain temps, lui annonce être en fait un homme, et non pas la femme sur les photos accompagnant son profil. Cet individu tente alors de convaincre Sophie qu’elle n’est « peut-être pas si lesbienne que ça » et qu’elle devrait « essayer » avec un homme. Devant le refus de Sophie, il profère des insultes portant sur son orientation sexuelle.

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La chercheuse Cristina Cretu-Adatte relève que la vulnérabilitédes personnes LGBTIQ+ en ligne augmente lorsqu’elles sont jeunes, qu’ellesappartiennentà une minorité, qu’elles manquent de soutien familial ou qu’elles sont fortement exposées sur les réseaux sociaux.

Les personnes LGBTIQ+ (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, intersexes, queers ou appartenant à une autre minorité sexuelle ou de genre) présentent davantage de facteurs de vulnérabilité face à la cybervictimisation. Telle est l’hypothèse de départ d’une étude menée à la HE-Arc Gestion (HEG Arc) – HES-SO par Cristina Cretu-Adatte et Olivier Beaudet-Labrecque, de l’Institut de lutte contre la criminalité économique (ILCE). Le questionnement de l’équipe a notamment été inspiré par plusieurs exemples d’expériences négatives vécues en ligne par des personnes LGBTIQ+. On peut citer les raids cyberhomophobes en groupes organisés, durant lesquels des internautes, sous le couvert de faux profils, tissent des relations amoureuses avec des hommes sur des applications de rencontre homosexuelles, leur donnant rendez-vous dans l’objectif de les détrousser et de les agresser. Ou encore l’affaire Grindr durant les Jeux olympiques : des athlètes gays, repérés en tant que tels via l’installation sur leur smartphone de cette application de rencontre entre personnes du même sexe, ont subi des discriminations.

« Le but de notre recherche est, d’une part, de reconnaître et comprendre les expériences vécues en ligne par les personnes LGBTIQ+ en Suisse, d’établir une typologie des cyberphénomènes subis et de repérer les facteurs de risque de la victimisation, rapporte Cristina Cretu-Adatte. D’autre part, nous souhaitons analyser les stratégies de réaction et de protection mises en place par les personnes concernées, notamment avec l’intention d’accompagner les associations et autres organismes intéressés dans la création d’ateliers et de programmes de soutien et de prévention. » à noter que le terme « cybervictimisation », utilisé au début de l’étude, a été remplacé par « expériences négatives», car «nous nous sommes aperçus que certains interlocuteur·rices ne se considéraient pas comme des victimes », précise Olivier Beaudet-Labrecque.

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Lors des Jeux olympiques de Paris 2024, la boxeuse Imane Khelif s’est retrouvée au cœur d’une polémique concernantson genre.Elle a fait l’objet d’attaques virulentes sur les réseaux sociaux, où elle a été qualifiée d’« homme combattantdes femmes ». | Instagram @imane_khelif_10

Victimes sans le savoir

Par « expériences négatives en ligne », on entend toutes les situations durant lesquelles « les personnes concernées se sentent lésées ou en insécurité », note Cristina Cretu-Adatte. Il peut notamment s’agir d’arnaques aux sentiments sur des plateformes de rencontre (comme dans le cas de Sophie), de menaces d’outing sur les réseaux sociaux (c’est-à-dire révéler des informations non publiques sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle de la personne) ou encore d’insultes. L’étude s’est dans une première phase concentrée sur des entretiens avec des organismes impliqués tels qu’autorités, associations de défense, représentant·es légaux ou instituts de recherche. Dans un second temps, des échanges avec des personnes LGBTIQ+ ont permis de discuter de leur vécu et ressenti.

« Ces personnes ne s’étaient pas forcément senties “victimes” d’expériences problématiques en ligne et ne pensaient pas forcément l’avoir été », commente Olivier Beaudet-Labrecque. Reste que « chez presque tous nos intervenant·es, nous avons constaté – via leur récit – qu’ils avaient vécu de telles situations, parfois sans s’en rendre compte, par exemple des propos tenus à leur encontre par abus de langage, sans intention de nuire ». Le chercheur et doyen de l’ILCE cite l’exemple de Charlie (personnage fictif), une personne non binaire assignée homme à la naissance. Un jour, alors que Charlie – qui n’a pas encore fait son coming out – vient de poster une nouvelle photo sur Instagram, son cousin commente : « Coupe-toi les cheveux, p’tit pédé ! » Charlie contacte son cousin pour lui signaler le caractère blessant de ses paroles. Ce dernier minimise la situation, la considérant comme une simple blague sans importance. « Dans de nombreux cas, cette banalisation du vécu empêche les personnes touchées de porter plainte, voire même d’aller demander l’aide et le soutien psychologiques dont elles auraient besoin. »

Maîtriser son exposition en ligne

Alors que la deuxième phase de leur étude touche à sa fin, les deux membres de l’ILCE peuvent déjà en tirer une série d’enseignements. « En ce qui concerne les facteurs de risque d’être confronté·e à des expériences négatives en ligne, la vulnérabilité semble découler d’un cumul d’éléments : être jeune, appartenir à une minorité, manquer de soutien familial, ne pas pouvoir s’appuyer sur une “famille choisie” (ami·es, communauté, etc.), ou encore être fortement exposé sur les réseaux sociaux », analyse Cristina Cretu-Adatte. Elle met néanmoins en avant la variabilité des expériences – et donc des facteurs de risque – vécues par les personnes représentées par les différentes lettres de l’acronyme LGBTIQ+.

Du côté des facteurs et stratégies deprotection, la chercheuse et le chercheuren citent deux qui sont souvent utilisés:la maîtrise de l’exposition en ligne etl’appartenance à un réseau ou unecommunauté. « De nombreuses personnes­ ­LGBTIQ+ nous ont indiqué contrôlerplus ou moins strictement ce qu’elles diffusent sur le web, observe Olivier Beaudet-Labrecque. En outre, les familles “choisies”, les familles arc-en-ciel, leréseau communautaire et associatifsemblent constituer des facteurs de protection particulièrement forts face àla cybervictimisation. » Le hic ? « De nombreuses personnes LGBTIQ+ – qu’elles aient ou non fait leur coming out – ne connaissent pas les ressources à leur disposition, telles que des lieux sûrs oudes espaces de parole », note Cristina Cretu-Adatte. D’où l’idée de développer des ateliers et des programmes deprévention ad hoc.

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Figure de l’activisme féministe et lesbien, Barbara Butch, DJ, publie de nombreuses photographies sur Instagram où elle prend position contre l’homophobie et la grossophobie. Elle a été victime d’une campagne de cyberharcèlement à la suite de sa prestationà la cérémonie d’ouverturedes Jeux olympiques de Paris en 2024. | © Charlotte Abramow