Réfléchir aux usages de la «partition», aujourd’hui présente dans toutes les disciplines d’art: c’est ce qu’a fait Julie Sermon, professeure en histoire et esthétique du théâtre, avec une équipe d’artistes et de théoriciens.
TEXTE | Jade Albasini
Au départ, un simple constat: de nombreux metteurs en scène, chorégraphes et performeurs emploient le mot «partition» durant la réalisation d’une oeuvre. Une tendance qui, pour Julie Sermon, chercheuse en arts de la scène, dévoile beaucoup sur la volonté de structurer les processus de création. Pendant trois ans, cette intervenante à la Manufacture – Haute École des arts de la scène – HES-SO s’est entourée d’une trentaine d’artistes – metteurs en scène, chorégraphes, interprètes, étudiants et chercheurs – afin de théoriser la notion de «partition». Ce projet a été réalisé en collaboration avec la Haute école de musique de Lausanne – HEMU et la Haute école de musique de Genève – HEM – HES-SO. Le fruit de ce travail a été publié en 2016 en collaboration avec Yvane Chapuis, responsable de la recherche à la Manufacture, sous le titre Partition(s)-Objet et concept des pratiques scéniques (20-21e siècles).
Qu’entendez-vous par «partition»?
Julie Sermon Une définition minimale, mais aussi suffisamment inclusive: une partition est une forme graphique composée de signes qui se déchiffrent dans le but de réaliser une action sur scène.
Pourquoi ne pas simplement parler de système de notation?
JS Toute notation ne donne pas lieu à une partition. Comme toute partition ne mobilise pas un type de notation précis. L’histoire de la partition – d’abord musicale, et in fine théâtrale et chorégraphique – est assez récente. Contrairement aux notations qui existent, elles, depuis l’époque médiévale.
Vous avez défini plusieurs familles de partitions selon des points de vue graphiques et scéniques. Quelles sont leurs différences?
JS Au terme de la recherche, j’ai identifié quatre grandes familles de partitions, définies par le type de notation qu’elles mobilisent, la forme qu’elles prennent, la conception de l’art qu’elles engagent. J’ai proposé d’appeler la première catégorie «partitions-modèles», dans le sens où il s’agit de partitions qui ressemblent au modèle musical et renvoient à l’idée d’une composition virtuose. Elles ont un rôle de référent strict, qui va définir l’interprétation de l’œuvre avec précision et autorité. On les trouve autant dans la pratique d’auteurs que de metteurs en scène.
À quoi ressemblent les autres partitions, moins classiques?
JS Ce que j’ai appelé la «partition-instructions» interroge avant tout le rapport à l’action. Elles recourent au langage ordinaire, et invitent à faire quelque chose dans l’espace et dans le temps. La scène expérimentale américaine des années 1960-70 a beaucoup recouru à ce type d’objets. En Europe, on peut penser aux pièces de Beckett ou de Handke.
Et que dire de la troisième famille de partitions, que vous avez baptisée «matrice»?
JS J’ai rassemblé toutes les partitions qui se proposent de générer non pas une œuvre en particulier, mais une série d’œuvres possibles. Il existe des versions aléatoires, combinatoires, ouvertes à l’improvisation. J’ai aussi inclus tous les objets – photographie, carte géographique, film, etc. – que les artistes décident de considérer comme des «partitions». S’il n’y a alors plus du tout de notations, on retrouve l’idée qu’elles vont structurer la création en donnant aux artistes des règles du jeu, des lois de composition, des principes d’organisation.
De manière plus concrète, vous avez collaboré avec des étudiants de la Manufacture pour mieux comprendre certains enjeux. Qu’avez-vous découvert?
JS Dans le cadre de ces workshops, il s’agissait de faire travailler les élèves sur des partitions élaborées par d’autres artistes, puis de les amener à réfléchir à ce qui pouvait faire partition pour eux. Ce qui m’a le plus surprise, c’est de voir à quel point elles renvoyaient aux poétiques de chacun.
La poétique de chacun, c’est-à-dire?
JS Certains étudiants nommaient les choses factuellement, alors que d’autres optaient pour des voies plus allusives, voire métaphoriques. L’un décomposait une action en 18 segments, tandis qu’un autre la dessinait. Assister à la singularité des approches et des regards artistiques m’a beaucoup éclairée.
Et cette vision personnelle se trouve en lien avec la dernière famille de partitions que vous avez baptisée «invisible»…
JS Oui, celle que les interprètes appellent LEUR partition. À la différence des trois autres familles, cette partition n’est pas forcément tangible. Invisible, elle structure l’ensemble d’un travail.
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