HEMISPHERES N°23 Besoins essentiels, désirs superflus // www.revuehemispheres.ch

Chauffeurs de poids lourds: la fin d’un mythe?

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Autrefois archétypes de virilité et de liberté, les chauffeurs de poids lourds ont vu leurs conditions de travail se dégrader. Une recherche tente de comprendre comment ils composent avec ces contraintes.

TEXTE | Geneviève Ruiz

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Le chercheur Patrick Ischer explique que les chauffeurs de poids lourds représentent plus de 55’000 personnes en Suisse et qu’ils assurent les deux tiers du transport de marchandises. Leur identité professionnelle historique est sur le déclin, même si elle reste forte. | © GUILLAUME PERRET | LUNDI13

Plaque à son nom bien visible sur le tableau de bord, fanions des pays traversés, photos de femmes nues: la cabine de certains chauffeurs de poids lourds reflète une identité professionnelle qui a longtemps été associée à celle d’un mâle alpha libre et aventurier sur les routes. «Ce mythe s’est forgé entre les années 1950 et 1990 et il correspondait à une certaine réalité», explique Patrick Ischer, professeur assistant à la Haute école de gestion Arc – HES-SO, qui travaille actuellement sur un projet du Fonds national suisse (FNS) consacré aux enjeux de la profession de camionneur en Suisse. Cette dernière a connu de profonds changements depuis 20 ans: «L’écologisation de la société – qui a terni l’image des chauffeurs – a conduit à la mise en place d’une forte taxe poids lourds qui limite leur liberté de mouvement. De plus, la libéralisation du marché du travail à l’échelle européenne a amené un afflux de personnel étranger, avec lequel les chauffeurs helvétiques se trouvent désormais en concurrence.» Pour finir, des technologies embarquées de plus en plus sophistiquées, couplées à des exigences de sécurité concernant le temps de conduite et de repos, ont eu pour conséquence un contrôle accru. Terminé, les détours librement choisis pour admirer le paysage ou pour retrouver ses collègues dans des relais de légende. La forte solidarité qui prévalait au sein de la profession – on s’arrêtait facilement pour aider un collègue en panne – s’est effritée. Cerise sur le gâteau, certaines entreprises interdisent désormais à leurs chauffeurs de personnaliser leurs cabines, ces petites maisons portables dans lesquelles ils pouvaient exprimer leur identité, mais aussi se reposer ou manger. Pour saisir cette évolution, certains chercheur·es désignent désormais les routiers comme des «agents de véhiculage».

Il va sans dire, la plupart des conditions du métier se sont durcies ces dernières années, même si les chauffeurs suisses ont désormais plus d’opportunités de rentrer chez eux le soir et le week-end. Les perspectives d’augmentation du salaire médian, qui oscillerait actuellement aux alentours des 5’200 CHF mensuels, sont plutôt faibles. Face à cette situation, l’association Routiers suisses a lancé en décembre 2021 la récolte de signatures pour une initiative populaire dont l’objectif principal consiste à améliorer leurs conditions de travail. Les routiers sont sympas de la RTL, une émission radiophonique à succès diffusée de 1972 à 1983, sontils en voie de disparition? Décriés, jugés polluants, voire dangereux, les chauffeurs sont-ils condamnés à travailler avec une image dégradée? C’est ce que Patrick Ischer, lui-même chauffeur professionnel à temps partiel, tentera de comprendre dans sa recherche financée par l’instrument d’encouragement Practice-to-Science du FNS. Ce dernier vise à valoriser les parcours qui associent une expérience pratique avérée à une expérience académique. L’objectif du projet sera également de fournir des recommandations aux entreprises et aux conductrices et conducteurs. Les résultats sont prévus pour 2024.

Le photographe lucernois Fabian Biasio a réalisé en 2018 le reportage multimédia «Vivre en cabine» avec la journaliste Susan Boos.
Le reportage «Vivre en cabine», dévoile les conditions inhumaines qui règnent dans le secteur du transport à travers l’Europe, en particulier parmi les chauffeurs originaires de l’Est. Travaillant loin de chez eux, ils sont contraints de dormir sur des aires d’autoroute pour un salaire dérisoire.

Le chercheur dévoile quelques pistes en attendant: «L’identité professionnelle historique des chauffeurs de poids lourds, qui représentent tout de même plus de 55’000 personnes en Suisse et assurent les deux tiers du transport des marchandises, est sur le déclin, même si elle reste forte. Les camionneurs se défendent face aux élites ou face à un certain racisme de classe dont ils peuvent être la cible.» La profession se féminise, pendant que ses hiérarchies internes évoluent: autrefois, les distances parcourues et la taille du véhiculent donnaient du prestige. Avec l’arrivée des GPS et des dépôts proches des autoroutes, ce sont plutôt les conducteurs qui transportent des convois exceptionnels sur le territoire régional qui l’emportent. Quant aux livreuses et livreurs en camion solo, ils demeurent les moins considérés.


Les policiers en quête d’identité

Comme les chauffeurs de poids lourds, les policiers sont sujets à divers stéréotypes. Du héros en action au médiateur social, ils sont parfois éloignés de leur réalité quotidienne.

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L’affiche de la campagne de recrutement de 2016 de la Police cantonale vaudoise valorise l’image héroïque d’un policier «au coeur de l’action». | © DR

L’image des policières et des policiers véhiculée dans la société – grandement influencée par le cinéma et les séries – ne correspond pas beaucoup à la réalité quotidienne du métier, selon David Pichonnaz, professeur assistant à la HES-SO Valais-Wallis – Haute École et École Supérieure de Travail Social – HESTS et auteur de l’ouvrage Devenirs policiers: «L’image héroïque du policier toujours en action, qui effectue des courses-poursuites en voiture, traque les grands délinquants et a la gâchette facile ne correspond pas au quotidien de la majorité des professionnel·les. Ils sont la plupart du temps confrontés à des situations relationnelles complexes de détresse sociale, de troubles psychiques, de conflit domestique ou de voisinage, dans lesquelles il n’existe pas forcément de délit clair. Pourtant, lors des campagnes de recrutement aussi bien que durant la formation, la répression, l’usage de la force et les arrestations demeurent en bonne place.»

D’où la frustration de nombreux agentes et agents, dont les tâches professionnelles ne correspondent pas à la vocation. «On constate deux pôles marqués chez les policiers, poursuit le sociologue. Ceux qui ont une conception conservatrice et ceux qui valorisent le côté relationnel du métier. On trouve davantage de femmes dans ce dernier groupe. Comme dans les métiers des soins, on constate que les compétences techniques sont toujours davantage valorisées que les compétences relationnelles.» Des représentations conciliables? «Elles le sont difficilement car, pour les policiers orthodoxes, ce qui ne relève pas de la répression ou de l’arrestation ne fait pas partie de leur métier.»