Il est une matière qu’on aimerait rendre un peu plus circulaire. C’est le plastique, dont près de 10 millions de tonnes finissent chaque année dans les océans. Des solutions existent, mais exigent une profonde remise en question, notamment de la part des industriels.

TEXTE | Martine Brocard
IMAGE | Mandy Barker

Près de 10 millions de tonnes. L’équivalent d’un sachet plastique jeté chaque jour à la mer par chaque être humain. Voilà la quantité de plastique qui a terminé dans les océans l’an dernier. Des matériaux qui étouffent les animaux marins, souillent les paysages et dont les particules se retrouvent dans la chaîne alimentaire, contaminant aussi les humains.

«Il est temps de colmater la fuite de plastique»1Formulation originale en anglais: Close the plastic tap, clame l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). Autrement dit, de mettre un terme à la trajectoire linéaire si prévisible de ce matériau, allant du puits de pétrole dont il est issu à sa transformation en objet ou autre emballage, puis à sa dissémination dans l’environnement sous forme de microparticules ou de déchet mal éliminé. Au contraire, il s’agit de donner au plastique une plus grande circularité, en le recyclant plus systématiquement et en limitant ses pertes dans l’environnement.

Autant de plastiques que de défis

Cette tâche comporte d’immenses défis. «On parle de plastique, mais dans les faits, il s’agit d’une centaine de polymères et d’additifs différents, ce qui rend la chose très complexe non seulement en termes de flux de matières, mais également d’acteurs concernés», explique l’expert en cycles de vie Julien Boucher, chargé de Recherche appliquée et développement à la Haute école d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud – HEIG-VD et auteur d’un récent rapport à ce sujet pour l’IUCN2Boucher, J. and Friot D. (2017). Primary Microplastics in the Oceans: A Global Evaluation of Sources. Gland, Switzerland, IUCN..

Chaque plastique possède des propriétés uniques en termes de production, d’usage industriel et de possibilités de recyclage. Le PET, éminemment recyclable, est l’un des rares plastiques à être complètement transparents, mais émet une importante quantité de CO2 lors de sa production. Le célèbre formica des années 1960 résiste, quant à lui, à l’usure et la chaleur, mais n’est pas recyclable, tandis que le polyéthylène, utilisé notamment pour les sachets ou les tubes de cosmétiques, se caractérise par sa souplesse et peut être recyclé. Chacun de ces types doit donc être pris en compte individuellement.

De même, la pollution plastique comprend en fait deux problématiques. «Il s’agit principalement de déchets mal gérés qui terminent dans les océans, à raison de 8 millions de tonnes par an, pointe Julien Boucher, également à la tête d’EA Shaping Environmental Action, une structure de recherche et de conseil en éco-circularité. Dans ce cas, ce n’est pas le fait d’utiliser du plastique qui cause problème, mais bien la mauvaise gestion des déchets.» Une dizaine de pays à forte croissance, mais aux infrastructures défaillantes comme la Chine, l’Indonésie ou les Philippines, sont responsables de 70% de cette pollution, selon une étude publiée en 2015 dans la revue Science.

Les microplastiques des Occidentaux

HEMISPHERES no15 Le cycle du plastique contenu
Mandy Barker est une photographe mondialement reconnue pour ses travaux sur la pollution plastique dans les océans. Dans sa série Beyond Drifting: Imperfectly Known Animals réalisée en 2017, elle présente des débris plastiques dégradés comme des échantillons microscopiques. Elle imite ainsi le travail du scientifique John Vaughan Thompson (1779-1847), à l’origine de la découverte du plancton. Présenter ces débris comme de nouveaux spécimens opère comme une puissante métaphore de l’ubiquité du plastique au XXIe siècle.

A l’inverse, l’autre volet de la pollution plastique est causé par des microplastiques primaires, des particules invisibles, qui s’échappent lors de l’usage normal d’un objet. Bien que toutes les régions du monde contribuent à cette pollution, les rejets par habitant sont particulièrement importants dans les pays d’Europe et d’Amérique du Nord.

«Ces microplastiques primaires – par opposition aux microplastiques secondaires issus de la dégradation de plus gros déchets – représentent plus d’1,5 million de tonnes de plastique rejetées dans l’océan chaque année, soit 15% de la pollution totale», poursuit Julien Boucher. Le lavage des textiles synthétiques est à l’origine d’environ 35% des pertes, l’érosion naturelle des pneus de 28% et le rinçage des microbilles contenues dans les cosmétiques comme les shampooings – pour donner une texture agréable au cheveu – ou les produits exfoliants de 2%.

«Environ 77% des pertes ont lieu lors de l’utilisation des produits par les ménages», précise Julien Boucher. Comme quoi, effectuer scrupuleusement son recyclage et refuser les sacs plastiques ne suffit pas à se donner une bonne conscience écologique, puisqu’il suffit de rouler en voiture, de faire sa lessive ou de se laver les cheveux, pour contribuer à la pollution plastique.

Se réapproprier la circularité

Les solutions passent par un changement radical dans l’approche des industriels, appelés à se réapproprier la responsabilité de l’ensemble du cycle de vie de leur produit. «Mettre en œuvre la circularité dans une entreprise est un réel défi qui implique un changement de paradigme: d’abord adopter une vision large de ses activités depuis l’extraction des matières premières chez les fournisseurs jusqu’à la fin de vie qui peut avoir lieu à des milliers de kilomètres du site de production ou d’utilisation du produit, détaille le spécialiste. Il s’agit ensuite de travailler en synergie avec de nombreux acteurs, parfois externes à l’entreprise, et ceci depuis la phase de conception du produit. En quelque sorte c’est une nouvelle façon d’innover.»

La multiplicité des marchés sur lesquels les multinationales sont actives représente une grande difficulté. Dans le cas des déchets plastiques, les pays disposent de systèmes de collecte très différents, parfois performants, parfois inefficaces. Comment trouver un produit dont l’emballage pourra être éliminé dans tous les cas?

«Les entreprises font en général face à trois choix, constate Julien Boucher. Soit elles recourent à l’éco-conception et mettent au point différents emballages adaptés à leurs marchés, soit elles investissent dans les systèmes de traitement locaux des plastiques afin qu’ils puissent prendre en charge leur produit, soit elles abandonnent l’emballage en question.» L’un des géants français des produits laitiers a ainsi transformé une crème vanille liquide contenue dans un emballage plastique difficilement recyclable, en une crème solide contenue dans du carton. Ces trois options valent également pour les microplastiques primaires, poursuit en substance le spécialiste. Dans le cas des cos­métiques, de nombreuses marques vont substituer les microbilles de plastique par des équivalents non polluants. Du côté des textiles, des recherches sont en cours pour déterminer les facteurs influençant les pertes. Il apparaît toutefois qu’une grande partie s’échappe lors des premiers lavages, si bien que des prélavages à échelle industrielle sont à l’étude. Enfin, concernant les microplastiques issus des pneus, les solutions pourraient se trouver en collaboration avec les acteurs du traitement des eaux de ruissellement.

Un matériau à revaloriser d’urgence

En parallèle, une revalorisation du plastique est nécessaire. «Il faut faire en sorte qu’à la fin de sa vie, le plastique soit trop précieux pour être jeté et qu’on veuille le garder dans le système», relève l’expert. Cela implique de supprimer les utilisations à basse valeur ajoutée comme les sachets plastiques ou la vaisselle jetable, et d’inciter les industriels à utiliser du plastique recyclé pour créer de la demande. Celle-ci n’existe guère actuellement, tant le pétrole est bon marché.

A noter que renoncer à ce matériau ne fait clairement pas partie de l’éventail des solutions. «Quelque 335 millions de tonnes de plastique ont été produites en 2017, et les prévisions indiquent que d’ici à 2030 la production annuelle devrait dépasser les 1’000 millions de tonnes», avertit Julien Boucher. Une raison de plus pour améliorer au plus vite la circularité du plastique.


L’économie circulaire, du maïs aux phosphates

Dissocier la croissance économique de la consommation des ressources naturelles et créer des biens et des services à partir de déchets ou d’objets existants. Voilà le fondement de l’économie circulaire.

Le modèle de l’économie circulaire s’oppose à celui dit «linéaire», qui va de la fabrication au déchet.
Bien qu’elle s’inspire notamment de l’écologie industrielle qui veut que les déchets d’une industrie soient recyclés en matière première d’une autre industrie ou de la même, l’économie circulaire ne concerne pas que nos modes de production. Elle touche également nos modes de consommation en promouvant l’économie du partage ainsi que la revente ou la réparation des objets en fin de vie. Ce modèle qui pousse à l’innovation a inspiré des acteurs de la HES-SO, dont voici deux exemples.

Des déchets de maïs pour récupérer l’azote

Intercepter l’azote qui s’échappe des élevages avant que cet engrais ne gagne l’atmosphère, c’est le projet mené par la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg – HEIA-FR. «Les volailles et les porcs excrètent l’azote ingéré dans leur nourriture par leur urine, explique Olivier Vorlet, professeur à la filière de chimie. Lorsque celle-ci entre en contact avec les selles, une réaction chimique libère l’azote sous forme d’ammoniac. Ces émissions représentent chaque année en Suisse une perte de 44’000 tonnes d’azote imputable principalement à l’agriculture. Cet engrais nécessaire aux cultures part alors fertiliser des espaces naturels qui n’en ont pas besoin, tandis que le paysan doit en acheter.»

Un projet a donc été mis sur pied avec la société Sorba Absorber, qui valorise la cellulose des tiges de maïs. Ce déchet agricole imprégné d’acide sulfurique est disposé dans des filtres sur les systèmes de ventilation des élevages. La réaction entre l’ammoniac et l’acide sulfurique produit des sels d’ammonium, l’équivalent d’un engrais industriel, directement utilisable. Ce procédé, qui fonctionne également sur les installations de stockage de lisier et les stations d’épuration, devrait être mis sur le marché en 2019.

Extraire le phosphate des boues d’épuration avec les microbes des eaux usées

Le phosphate constitue un engrais indispensable pour les cultures, tandis que le phosphore, dont il est issu, représente un élément vital pour le corps humain. Mais une pénurie menace, puisque les réserves mondiales devraient être épuisées d’ici 50 à 80 ans.

«Nous avons développé un système de pile à combustible microbienne qui permet de récupérer jusqu’à 96% du phosphate contenu dans les boues d’épuration», explique Fabian Fischer, professeur de biotechnologies à l’Institut des technologies du vivant de la HES-SO Valais-Wallis – Haute école d’Ingénierie à Sion. Les microbes utilisés pour cette «bio‑­électricité» proviennent des eaux usées des stations d’épuration. «La technologie permet aussi de récupérer l’ammonium et le potassium, deux autres engrais indispensables. Elle comporte du potentiel pour l’extraction de métaux lourds», précise Fabian Fischer qui rêve à terme d’utiliser les microbes pour produire de l’électricité à grande échelle. Ce projet pilote pourrait arriver sur le marché d’ici à 5 ans.