Les forêts suisses souffrent des étés chauds et secs, devenus plus fréquents à cause du réchauffement climatique. Des économistes prônent une nouvelle manière de les gérer, notamment au moyen de rémunérations pour les propriétaires.
TEXTE | Zélie Schaller
Le réchauffement climatique bouleverse les forêts helvétiques, avec des épisodes de chaleur et de sécheresse qui se multiplient. Conséquences: les sapins meurent de soif, les hêtres brunissent précocement et les chênes voient leurs branches sommitales s’assécher. Une situation qui favorise la propagation d’insectes parasites tels que le bostryche. Des mesures d’adaptation s’imposent pour préserver ces vastes étendues boisées, patrimoine naturel sans lequel le défi du réchauffement climatique ne peut être relevé, car les arbres stockent le CO2.
Pour renforcer sa résilience, la forêt doit se diversifier. Si les scientifiques testent différentes espèces et espacent les plantations pour diminuer la pression exercée par le peuplement sur les ressources en eau, les économistes préconisent, de leur côté, une nouvelle façon de les gérer. Objectif de cette méthode, appelée «gestion globale»: favoriser la multifonctionnalité de la forêt. Car si son rôle de protection contre les dangers naturels est reconnu, ses fonctions économique (production de bois) et sociale (espace de nature et de ressourcement plébiscité par le public) demeurent peu valorisées.
Après plusieurs années de sécheresse, dont un épisode particulièrement intense en 2018, les hêtraies d’Ajoie (JU) subissent d’importants dégâts : certains arbres meurent, pendant que d’autres sèchent par la couronne et perdent leurs branches. // © Valentin Queloz, WSL
L’exploitation du bois suisse pourrait doubler
«Grâce à l’exploitation du bois, la Suisse économise actuellement 2,2 millions de tonnes de CO2 par an. Une utilisation accrue permettrait d’augmenter ce volume d’un tiers», précise Milad Zarin-Nejadan. Ce professeur d’économie politique à l’Université de Neuchâtel est corequérant, avec Andrea Baranzini, professeur et directeur de la Haute école de gestion de Genève – HEG – HES-SO, d’un projet financé par le Programme national de recherche (PNR 66) «Ressource bois». «Les étages ajoutés aux immeubles pour densifier les villes, par exemple, pourraient être entièrement construits en bois, illustre l’expert. Le volume de la forêt ne diminuerait pas, car il s’agit d’exploiter les stocks excédentaires.»
Construire uniquement à partir de bois indigène n’est évidemment pas possible. «Celui-ci ne peut remplacer complètement le béton ou l’acier aujourd’hui, indique Nicolas Borzykowski, docteur en économie et enseignant à la HEG, qui a participé au PNR 66. Les technologies actuelles ne permettent pas de se passer de ces deux matériaux et l’accroissement naturel de la forêt aux endroits accessibles ne suffit pas.» Pour se chauffer, il en va de même: on ne peut se contenter de bois indigène. Une marge de progression importante existe cependant. «En 2019, l’accroissement du volume de bois sur pied dans les forêts suisses culminait à 10 millions de mètres cubes, tandis que l’exploitation atteignait quelque 5 millions de mètres cubes, précise Nicolas Borzykowski. On peut donc théoriquement doubler cette dernière sans diminuer le volume de bois sur pied.»
Des subventions pour la sylviculture
Il importe, en outre, de renouveler et de rajeunir les forêts via les coupes de bois. Or, pour l’heure, les propriétaires préfèrent laisser croître les arbres plutôt que les abattre. En cause: le fréquent manque de rentabilité de la sylviculture, qui s’explique par une concurrence étrangère tirant les prix vers le bas, des coûts de production élevés, une topographie accidentée et des dispositions légales restrictives.
Face à ces difficultés, Milad Zarin-Nejadan souligne l’importance d’améliorer l’efficience générale des exploitations forestières, qui doivent se regrouper pour réaliser des économies d’échelle. Le professeur prône la promotion de labels de qualité attestant une production durable. Ces derniers, en stimulant la demande, pourraient avoir des retombées positives sur les prix. Surtout, les économistes interrogés revendiquent des subventions à l’intention des propriétaires. Car ceux-ci ne peuvent pas assumer seuls un mode de gestion durable, alors que leur parcelle n’est valorisée que partiellement: «Les services écosystémiques forestiers, tels que les activités récréatives ou la biodiversité, n’ont, par définition, pas de prix, relève Andrea Baranzini. Pourtant, ils contribuent au bien-être de la population.» Les spécialistes estiment que ces multiples fonctions doivent être rémunérées par l’État, au même titre que les prestations d’intérêt public fournies par le secteur agricole.