Et si les troubles du langage pouvaient être détectés précocement ?

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Selon plusieurs études, les bébés développent des capacités langagières dès leur première année de vie. Ces résultats suggèrent que les difficultés de communication pourraient être repérées plus tôt. Une équipe neuchâteloise a suivi une soixantaine d’enfants afin de confirmer cette hypothèse.

TEXTE | Céline Garcin

Entre 7 et 10% des enfants à l’école primaire présentent des troubles du développement du langage. Ces difficultés se manifestent sous différentes formes. Elles peuvent concerner autant la prononciation de certains sons ou mots, la construction de phrases que la compréhension générale d’un échange. Dans tous les cas, les enfants touchés ont de la peine à utiliser le langage pour communiquer. Diagnostiqués actuellement entre 4 et 6 ans, ces troubles se révèlent, à ce stade, souvent bien installés. Les mesures à mettre en place pour les enrayer s’avèrent alors lourdes et ne sont pas toujours couronnées de succès. Les résultats de recherches menées dans plusieurs pays au cours des dernières décennies ouvrent néanmoins des perspectives dans le domaine.

Grâce à de nouvelles méthodes permettant d’explorer le développement du langage chez l’enfant dès la naissance, des scientifiques ont mis en évidence la compréhension de certains mots dès l’âge de 6 à 9 mois. Les risques de développer certaines difficultés langagières pourraient-ils donc être dépistés plus tôt dans la vie de l’enfant ? C’est l’hypothèse formulée par Katrin Skoruppa, professeure à l’Institut des sciences logopédiques de l’Université de Neuchâtel. Elle vient de boucler une étude longitudinale sur le sujet avec l’aide de Marco Pedrotti, responsable de recherche à la HE-Arc Santé – HES-SO.

Le chercheur Marco Pedrotti a développé des tests informatiques permettant de mesurer la trajectoire du regard et la vitesse de réaction des enfants. | © GUILLAUME PERRET

Suivi d’enfants monolingues multilingues

Entre 2020 et 2025, la professeure a suivi une soixantaine d’enfants âgés de 8 mois à 3 ans. La participation à la recherche était volontaire et Katrin Skoruppa relève que cela peut impliquer un biais. « Nous avons eu des familles globalement très instruites, des parents qui avaient le temps et l’intérêt pour participer à cette étude malgré l’épidémie de Covid-19 », note-t-elle. Pour tenir compte d’un éventuel impact de la présence de plusieurs langues sous le même toit, la recherche a inclus des enfants issus de foyers monolingues et multilingues.

Plusieurs tâches ont été testées périodiquement auprès des enfants, notamment à travers des tests d’oculométrie. « L’oculométrie, ou eyetracking, est une méthode utilisée depuis de nombreuses années dans la recherche, précise Marco Pedrotti, qui a développé les tests au niveau informatique. La caméra installée sur l’ordinateur prend 120 images par seconde du visage del’enfant en se focalisant sur les yeux. Nous pouvons ainsi mesurer la trajectoire du regard et la vitesse de réaction. » Dans le cas présent, l’enjeu était également de programmer le logiciel afin que la caméra détecte le moment auquel l’enfant détournait son regard de l’écran.

Une autre image devait dès lors apparaître pour attirer à nouveau son attention. « Inventée en 1935, la méthode a été beaucoup utilisée pour mesurer l’attention des pilotes d’avion et de course automobile, ainsi que dans le marketing », ajoute le spécialiste. L’objectif de la recherche neuchâteloise était de mesurer la capacité de l’enfant à comprendre des sons, des mots et des phrases, à les produire, puis à apprendre de nouvelles structures langagières. « Nous l’habituions par exemple à une mélodie, nous observions ensuite s’il remarquait une différence lorsqu’un élément sonore changeait », illustre Katrin Skoruppa. Assis sur les genoux d’un de leurs parents face à un écran sur lequel apparaissaient diverses images, les enfants devaient également reconnaître le plus rapidement possible celle qui correspondait au mot prononcé oralement.

Identification des facteurs de risque

Si les résultats finaux sont en cours d’analyse, Katrin Skoruppa tient à préciser que son approche ne se veut en aucun cas « déterministe ». « L’objectif de la recherche est d’identifier le plus tôt possible les enfants à risque de développer des difficultés de langage », insiste-t-elle. Comme dans de nombreux troubles, il n’y a pas d’indice clinique clair définissant le trouble développemental du langage. « Il s’agit d’un continuum », résume l’universitaire. Si ses causes sont inconnues, des facteurs de risque ont été identifiés. La professeure mentionne notamment les différences individuelles, des éléments génétiques avec une prévalence chez les garçons, ainsi que des facteurs héréditaires et environnementaux. L’exposition aux écrans joue-t-elle un rôle ? « Tout dépend des contenus et si l’enfant les visionne seul ou en présence d’un adulte », répond la spécialiste. L’important est de savoir s’il y a une discussion à ce propos ou si ce temps d’écran remplace des temps d’échange. Dans tous les cas, le lien n’est pas évident. »

Afin d’aller plus loin, Katrin Skoruppa a déposé une nouvelle demande de financement au FNS. Elle souhaite continuer à suivre les participantes et participants lors de leur entrée à l’école et refaire une étude avec une nouvelle volée. Celle-ci serait alors constituée uniquement d’enfants qui commencent à parler tardivement. « L’idée est de confirmer si les actions de prévention préconisées peuvent contribuer au dépistage précoce », avance la chercheuse neuchâteloise. Ces dernières comprennent des activités ludiques en groupe pour apprendre de nouveaux mots ou du coaching parental montrant comment on peut soutenir le développement du langage des enfants. « Ces activité sont fait leurs preuves dans d’autres pays, indique Katrin Skoruppa. La question est aujourd’hui de savoir comment les implémenter et les adapter à notre contexte en Suisse romande. »