La rénovation des bâtiments constitue une étape cruciale pour assainir énergétiquement le parc immobilier suisse. Cette démarche complexe nécessite cependant une meilleure vision d’ensemble, selon la spécialiste Stefanie Schwab.

TEXTE | Clément Etter

HEMISPHERES N°24 Prédire les futurs // www.revuehemispheres.ch
La rénovation a un impact environnemental inférieur à celui de la construction de bâtiments neufs, c’est pourquoi elle devrait être privilégiée, affirme la spécialiste Stefanie Schwab. | © THIERRY PORCHET

Assainir tous les bâtiments d’ici à 2050, en plus d’abandonner les énergies fossiles pour le chauffage: c’est l’ambitieuse et désormais bien connue stratégie de la Confédération. Au-delà des normes énergétiques pour les bâtiments neufs, l’enjeu majeur consiste à rénover le bâti existant. Pour Stefanie Schwab, professeure à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg – HEIA-FR – HES-SO et chercheure à l’Institut Transform, la rénovation est souvent négligée malgré son importance. Il s’agit d’une entreprise complexe qui nécessite une approche globale et un savoir-faire pointu, au même titre que la construction de bâtiments neufs.

À quoi sert la rénovation d’un bâtiment?

Une fois qu’un bâtiment a été construit, il va vieillir dans le temps et se déprécier. Pour pallier ce phénomène, il existe une notion d’entretien régulier, mais tous les trente ou quarante ans, un cycle de rénovation plus important doit avoir lieu afin que le bâtiment conserve sa valeur. Autrefois, il suffisait de rénover à l’identique: un crépi obsolète ou une chaudière cassée étaient simplement remplacés par les mêmes installations. Aujourd’hui, les normes légales thermiques, phoniques ou d’incendie ont changé et sont beaucoup plus contraignantes que dans le passé. En même temps, les exigences et les attentes de la société ont aussi évolué sur les standards d’habitation, en termes de confort par exemple. Pour ces raisons, il est plus compliqué de rénover, car on ne remplace pas simplement une chose à l’identique.

Quelle est la différence avec la transformation?

La transformation va plus loin qu’une simple remise en état d’un bâtiment. Elle intervient dans un cadre légal où des exigences ont changé, au niveau des normes ou des attentes liées à l’habitat. Cela demande une mise à l’enquête avec une demande d’autorisation. Le bâtiment va être transformé au-delà de ce qu’il était à la base: cela peut être, par exemple, un agrandissement, une surélévation, un changement de la taille des fenêtres pour avoir plus de lumière ou une mise aux normes par un standard énergétique.

L’application de ces nouvelles normes sur le terrain est-elle facile?

Aujourd’hui, les exigences et le cadre légal vont très loin dans la rénovation des bâtiments. Mais il existe un décalage entre ces nouvelles normes, la réalité économique, la complexité des travaux et le manque de liens entre les différents corps de métier. Dans le cadre du projet Processus de rénovation – enjeux et obstacles (ProREN), nous avons analysé les enjeux et obstacles à la rénovation énergétique dans le canton de Fribourg. Notre constat est un manque d’accompagnement des propriétaires dans leurs démarches, le besoin d’outils concrets et la nécessité de trouver des stratégies communes avec les services concernés. Nous observons qu’il existe peu de spécialistes en rénovation sur le marché, car il s’agit d’un domaine à cheval entre l’architecture, la physique des bâtiments et l’énergie, ce qui nécessite beaucoup de compétences et d’outils différents. Cela vient aussi du fait qu’il n’existe pas de formation en rénovation pour les architectes, ingénieur·es ou artisan·es, au contraire de la construction de bâtiments neufs. Pour améliorer la situation, la HEIA-FR a choisi il y a quelques années le thème de la transformation comme axe stratégique pour la formation des architectes et la recherche. Elle propose également plusieurs formations continues.

Quelles sont les solutions proposées actuellement?

Pour l’instant, il s’agit de solutions standardisées qui ne règlent que le problème énergétique. Par exemple, remplacer des fenêtres vétustes par de nouvelles en PVC, ou appliquer une isolation périphérique sur les façades. Mais cela se passe généralement sans cohérence ni planification globale des travaux, alors qu’il existe des liens entre certaines installations: si on change les fenêtres, il faut aussi penser à l’aération. Ces changements partiels et sans véritable réflexion d’ensemble peuvent même causer plus de dégâts au final. Ce sont des solutions rapides et efficaces qui répondent aux politiques et exigences actuelles, mais sans forcément répondre aux critères de qualité et de durabilité.

À quelle échelle agir?

Nous devons trouver des solutions à une échelle de quartier, plutôt qu’à un objet précis pour lequel la rénovation est parfois coûteuse, complexe et contraignante pour les propriétaires. Certains quartiers présentent en effet le même type de bâtiments correspondant à une époque, nous pouvons donc trouver une solution commune pour plusieurs propriétaires, par exemple pour le chauffage. Cela ne nécessite qu’une seule étude pour le quartier et permet de regrouper les travaux et les mises à l’enquête, en plus d’assurer une cohérence de l’ensemble.

Vous avez étudié la typicité des bâtiments du XXe siècle. Quel était votre objectif?

Il s’agissait du projet interdisciplinaire Méthodes et outils pour la rénovation énergétique des bâtiments (eREN). Dans ce cadre, nous avons voulu savoir s’il était possible de classer les bâtiments d’habitation selon leurs différentes caractéristiques constructives et architecturales, dans l’idée de trouver une solution de rénovation en fonction de chaque type. Pour cela, nous avons identifié la manière de construire spécifique à cette période, les matériaux utilisés, la composition du mur, etc.

Quelle application concrète cette étude a-t-elle permis?

Selon la nature typique du bâtiment, nous avons pu élaborer une stratégie et des solutions adaptées pour la rénovation. Le projet a donné lieu à des fiches de bonnes pratiques de rénovation de l’enveloppe du bâtiment à destination des professionnel·les, des propriétaires et des services cantonaux. Cet outil a eu un grand succès. En continuant dans cette voie et pour construire une approche plus globale, nous développons actuellement des feuilles de route qui intègrent également les énergies renouvelables et le calcul de l’énergie grise (l’énergie totale requise dans le cycle de vie d’un produit), notamment pour que les propriétaires sachent à quel moment réaliser les différents travaux. Un projet similaire est aussi en cours pour les bâtiments d’habitation à caractère patrimonial du canton de Vaud.

Vaut-il mieux rénover ou construire des bâtiments à neuf?

Il est préférable de rénover: tout d’abord, la loi sur l’aménagement du territoire a réduit les nouvelles zones à bâtir. Nous devons donc densifier là où des bâtiments sont déjà construits. Sur le plan des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d’énergie et des ressources, la rénovation a un impact beaucoup plus faible que la construction à neuf. La tendance des dernières années était toutefois de raser un bâtiment puis de reconstruire. Il faut remettre en question l’idée que tout ce qui est neuf est mieux. L’enjeu actuel est donc de reconnaître ce bâti existant comme une ressource et d’exploiter au mieux le cycle et la durée de vie des matériaux, plutôt que de les jeter automatiquement.