Une recherche donne à entendre le vécu des couples parentaux valaisans de même sexe. Entre défis et espoirs, elle démontre notamment les limites des lois anti-discriminatoires.
TEXTE | Anne-Sylvie Sprenger
Comme il est bon, parfois, de sortir à la lumière du jour! C’est en substance ce qu’expriment les témoins de l’enquête intitulée Capacity Building for Rainbow Families in Switzerland and Beyond, menée par la HES-SO Valais-Wallis – Haute Ecole et Ecole Supérieure de Travail social – HESTS. Financé par le Fonds national suisse, le projet visait en effet à rendre compte des expériences personnelles vécues par les familles arc-en-ciel en Valais, dans le but de cartographier tout aussi bien leurs challenges quotidiens que leurs profonds désirs.
«Les familles dont au moins un des parents se définit comme lesbienne, gay, bisexuel, queer ou trans (orientations qui peuvent être représentées par le sigle LGBTQIA+, ndlr) sont confrontées à des défis spécifiques, qui peuvent se manifester aussi bien par des difficultés juridiques, institutionnelles que sociales», selon la présentation faite par les chercheures Christiane Carri de la HESTS et Stefanie Boulila de la Haute École spécialisée de Lucerne dans leur rapport. Christiane Carri précise: «Il n’y a jamais eu d’enquête participative sur le sujet. Or il nous semblait important de donner enfin la parole à ces personnes.» L’initiative a été bien accueillie par les familles concernées. «Nous avons été surprises par cet intérêt», témoigne Cindy Giroud, participante à l’enquête et co-présidente de l’association valaisanne Alpagai. En général, par pudeur, les familles arc-en-ciel n’ont pas trop envie de s’afficher. Chacune vit dans son coin sa petite vie avec ses enfants, pour que tout se passe au mieux, ajoute cette jeune mère de famille arc-en-ciel. Nous essayons de faire le moins de vagues possible.»
Dans son ouvrage intitulé «Dads» (2021), le photographe belge Bart Heynen saisit des instants quotidiens – et parfois émouvants – dans la vie d’une quarantaine de familles homoparentales aux États-Unis.
Au détour des témoignages récoltés par l’étude, loin de toute volonté militante, apparaît précisément ce désir presque instinctif de se fondre dans la masse. «Il est pourtant essentiel que la communauté ne soit pas invisibilisée, formule une des participantes. Que ça devienne finalement quelque chose de normal.» Aujourd’hui encore, beaucoup d’éléments de la vie pratique de ces familles leur rappellent leur «différence». «Cela passe par toute une série de petites choses, comme les formulaires d’inscription dans les crèches, où il est d’office stipulé «Papa» et «Maman», explicite Cindy Giroud. C’est pénible de chaque fois devoir se justifier sur sa vie privée. Et encore, ma génération a beaucoup plus de chances que les précédentes: on ne nous prend plus pour des extraterrestres.»
Les avantages inattendus de la vie villageoise
La première découverte de l’étude se trouve en lien avec le lieu de vie. Contre toute attente, elle a révélé que c’est finalement dans les villages que les familles arc-en-ciel apprécient le plus de s’épanouir. Un constat qui n’a pas manqué de surprendre Christiane Carri et sa collègue. «Spontanément, nous aurions pensé l’inverse, que ces familles préféreraient s’installer dans les grandes villes, souvent moins conservatrices que les zones rurales.» Au final, les villages se révèlent des lieux plus accueillants. «Car on y vit moins avec la peur des violences physiques que peut subir cette communauté», formule en premier lieu la chercheure valaisanne. Par ailleurs, ce cadre de vie réduit le nombre de situations du quotidien où les personnes LGBTQIA+ peuvent se sentir violentées dans leur identité: «Dans les villages, tout le monde se connaît. Tandis que dans les villes, les lieux de rencontres se multiplient entre la crèche, les différentes écoles, le club de sport, les contacts aussi. À chaque fois qu’il y a un changement dans la vie sociale de l’enfant, il faut refaire son coming out.»
«On a toujours cette crainte: comment la maîtresse ou le maître de notre enfant va-t-il réagir face à notre situation?» exprime d’ailleurs une des participantes. Pour autant, les témoignages convergent largement vers une ouverture d’esprit manifeste de la part des enseignant·es ou éducatrices et éducateurs de la petite enfance. Une expérience majoritairement positive qui ne suffit pas à calmer toutes les inquiétudes. «On sait à quel point les enfants peuvent être méchants entre eux», formule Cindy Giroud, qui pointe une forme d’injustice: «Finalement, notre intimité, ça ne devrait concerner personne en dehors de notre cercle familial. On est, de plus, pas tous à l’aise pour parler ouvertement de ces choses.» En écho, une demande se profile lors des nombreux entretiens: «Que d’autres livres scolaires et pour enfants soient proposés, dans lesquels les familles hétérosexuelles ne soient pas les seules à être représentées, mais où la diversité de notre société soit reflétée», expose l’étude. En d’autres termes, que les familles arc-en-ciel soient également présentées comme des «familles standards».
Les limites des lois antidiscriminatoires
Une autre réalité importante mise au jour par la recherche porte sur les limites des lois anti-discriminatoires. «Les plus grandes discriminations vécues par les personnes LGBTQIA+ ont eu lieu au sein de leur propre famille», indique Christiane Carri. Parce que la famille reste perçue comme un endroit privé, où la liberté d’expression est moins réglementée que dans l’espace public, comme dans le cadre professionnel. «Pour beaucoup, ce genre de lois n’a rien à faire au coeur des affaires de famille, relate la chercheure. De plus, comment porter plainte contre un parent qui a des difficultés à accepter l’homosexualité de l’un de ses enfants? Cela paraît peu réaliste. Dans la plupart des cas, la situation s’adoucit après la naissance des enfants. Il n’est pas rare que des réconciliations aient lieu à ce moment-là.»
La plus grande inquiétude des familles arcen- ciel a toutefois été largement soulagée en juillet dernier, avec la mise en vigueur du Mariage pour tous sur le plan fédéral. «Ces familles ont enfin des droits, se réjouit Cindy Giroud. Jusqu’ici, seule la maman porteuse de l’enfant était reconnue sur le plan légal. Or, en cas de dissolution du partenariat enregistré, le deuxième parent ne pouvait prétendre à aucun droit, pas même de visite, sur l’enfant qu’il avait en partie élevé.» Pour l’une des participantes à l’étude, il s’agissait d’ailleurs «d’une grande, grande discrimination, probablement la pire». Une autre participante à l’enquête, engagée dans une longue procédure d’adoption par alliance, s’exaspérait du combat à mener auprès des services officiels: «Ce n’est pas comme si j’étais une simple colocataire qui demandait à adopter un enfant. C’est moi, la mère, qui le demande.»
Si la situation des couples de femmes s’est grandement améliorée avec la nouvelle loi, la situation des couples d’hommes mariés demeure compliquée. C’est d’ailleurs le bémol de cette étude, qui ne compile que des témoignages relevant d’expériences féminines. La raison de cette absence? «Les couples d’hommes ont davantage de difficultés à avoir des enfants, notamment sur le plan légal et financier (une gestation pour autrui coûte beaucoup plus cher qu’une procréation médicalement assistée, même réalisée à l’étranger, ndlr), souligne Christiane Carri. De fait, ces familles existent, mais aucune n’a souhaité prendre la parole.»