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Le rêve d’une production flexible et épurée

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Importé du Japon, le lean management a intégré des secteurs entiers de l’industrie. Cette approche, parfois détournée à des fins de «dégraissage», propose un idéal du travail bien géré. Pour ses défenseurs, elle pourrait sauver des emplois.

TEXTE | Stéphane Herzog

L’organisation du travail «lean» («maigre» en français), en vogue en Occident à partir des années 1990, est un produit de la culture japonaise. Développée par les usines Toyota dans les décennies d’après-guerre, cette philosophie de gestion a pour but de «continuer à produire sans moyens supplémentaires, grâce notamment à l’observation, qui permet de réduire les ‹ muda › (formes de gaspillage en français, ndlr) et diminuer la part de la non-valeur ajoutée dans le travail», résume Philippe Liscia, spécialiste en microtechnique et en robotique, ainsi que responsable de la formation en lean management à la Haute École Arc Ingénierie de Neuchâtel, lancée dans le cadre de la plateforme Agile Academy, issue d’un partenariat avec le groupe Richemont. « En moyenne, la production d’un produit industriel totalise 5% de valeur ajoutée sur le temps d’écoulement, soit du début du processus de fabrication jusqu’à sa livraison, poursuit Philippe Liscia. Cela permet d’imaginer le potentiel d’amélioration.»

En Europe, le lean management a beaucoup été appliqué dans l’industrie automobile. «Celle-ci est relativement avancée dans ces processus», commente Thomas Straub, professeur à la Geneva School of Economics and Management de l’Université de Genève. Dans les années 1990, ce spécialiste du management du changement avait déjà travaillé sur une chaîne de montage de Mercedes, avec un système visant le «zéro faute». «Mais le lean reste d’actualité et les nouvelles technologies permettent d’optimiser cette approche», juge-t-il.

Une vision holistique de la production

Le management maigre propose une vision holistique des processus de production de biens au sein d’une structure. Il est susceptible d’être appliqué dans n’importe quel type de travail répétitif. «Cet ensemble d’outils ne constitue pas une recette toute faite qui s’applique aveuglément à toutes les situations, précise Philippe Liscia. Du boulanger au constructeur automobile, les contraintes et les situations humaines seront très différentes. Mais en gros, on n’essaie plus de vendre ce que l’on produit passivement, mais on cherche à produire ce que l’on vend.» C’est pourquoi le lean est particulièrement prisé des industries qui font le saut dans l’ère 4.0: «Les nouvelles technologies permettent aux clients de personnaliser leur produit, dit Philippe Liscia. On peut désormais choisir la couleur du toit ou des rétroviseurs de notre voiture. Or la méthode lean permet, précisément, d’améliorer l’efficacité des processus de production complexifiés par cette personnalisation.»

Dans l’optique de ce management, tous les collaborateurs de l’entreprise, jusqu’au niveau opérateur, doivent être impliqués dans l’amélioration continue des processus. Des solutions sont ainsi trouvées grâce aux connaissances du personnel de production et au support d’équipes spécialisées dans la résolution de problèmes. Dans le cadre de ses cours, Philippe Liscia soumet ses étudiantes et étudiants aux exigences de la production et met en lumière les situations de blocage. Charge alors à l’équipe de résoudre le problème collectivement.

Les mots clés sont «confiance» et «solidarité». Ce processus continu permet de libérer du temps pour procéder à des améliorations. «Il existe des parallèles entre le développement durable et le lean, estime Thomas Straub. Dans le sens où cette approche ne vise pas à mettre la pression sur les gens, mais à permettre un rythme de travail sain. Et donc à préserver des emplois durant de longues années.»

Éliminer tout ce qui ne sert à rien

Le socle du lean peut rappeler le haïku ou le tir à l’arc: il est fondé sur l’observation minutieuse de toutes les phases d’une chaîne de travail afin de déceler et éliminer tout ce qui coûte et ne sert à rien. La démarche traque tout mouvement inutile. Elle détecte toute production d’une qualité qui irait au-delà de ce qui est demandé. Elle tente d’aligner les flux des commandes avec la production, mais sans que le resserrage des opérations ne bloque les flux ou, inversement, ne crée des stocks surnuméraires. Le lean management peut recourir à des capteurs ou des indicateurs, mais il implique d’aller sur le terrain, car il existe des contraintes que seul l’opérateur maîtrise. Ces tournées ont aussi pour but de cerner l’ambiance qui règne dans l’entreprise et déceler ce qui ne fonctionnerait pas.

Pour les défenseurs de cette approche, son utilisation par des entreprises à des fins de dégraissage des postes et de délocalisation dès les années 1990 aurait corrompu le message initial. En outre, ces délocalisations auraient abouti à une perte de compétitivité dans certaines entreprises suisses, en provoquant une séparation entre production, recherche et développement. «Ce mouvement a miné l’innovation», estime Suzanne de Treville, professeure à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne. «Le coeur de cette méthode repose sur la confiance, insiste Philippe Liscia. Sans elle, les opérateurs ne pointeront pas les difficultés rencontrées. Il faut trouver le moyen d’impliquer les gens et de créer une certaine sérénité dans le travail.»


Les futurs as de l’industrie 4.0

Comme dans les autres secteurs de la société, l’information numérique se généralise dans l’industrie. C’est ce que l’on nomme «industrie 4.0», qui engendre une connectivité toujours plus grande au sein des outils de production. Pour s’adapter, les entreprises doivent non seulement être extrêmement bien organisées, mais aussi disposer de nouvelles compétences. C’est pour répondre à ces évolutions qu’un nouveau Bachelor HES-SO en Ingénierie et Gestion industrielles sera proposé dès septembre 2018 à la Haute École Arc Ingénierie de Neuchâtel – HE-Arc Ingénierie et à la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud – HEIG-VD.

«Cette formation apporte des outils permettant de gérer l’organisation d’un système de production avec l’ensemble de son environnement, explique Jean-Marc Buforn, professeur à la HE-Arc Ingénierie. Elle facilitera l’accompagnement vers la digitalisation. Par ailleurs, l’implantation du lean management dans une entreprise y sera aussi abordée.»

Professeur à la HEIG-VD, Jean- Michel Schulz ajoute: «Il existe une demande forte de l’industrie pour améliorer la performance industrielle et trouver des marges de productivité en rapport avec le franc fort et la concurrence internationale accrue.»

Jusqu’à présent, si l’ingénierie de gestion était enseignée au sein des HES, elle ne faisait pas l’objet d’un cursus spécifique. «Le résultat est que la place industrielle suisse recrutait ces profils à l’étranger, observe Jean-Marc Buforn. Mais il leur manquait souvent des spécifications propres au marché suisse, comme la maîtrise de certains savoir-faire ou la culture du swiss made


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