Longtemps passée sous silence, la question des violences obstétricales fait désormais débat. Analyse avec la sociologue Solène Gouilhers.
Texte | Nina Seddik
Photographie | Guillaume Perret, Lundi13
Manque d’empathie, actes médicaux intrusifs non consentis, sentiment de viol: les victimes de violences obstétricales ont vécu leur accouchement comme un cauchemar. Cette question reste parfois controversée au sein du corps médical, qui insiste sur les risques potentiels liés à des cas d’urgence vitale. Une prise de conscience semble cependant s’opérer dans le milieu hospitalier, qui reconnaît la limite de certaines pratiques et la nécessité d’écouter les besoins des parturientes. Le point avec Solène Gouilhers, sociologue et chercheuse à HESAV – Haute école de santé Vaud – HES-SO.
La parole autour des violences obstétricales s’est libérée après avoir été taboue pendant longtemps. Pourquoi?
SG Cette question s’inscrit dans la vague féministe que nous vivons actuellement. Des femmes prennent la parole pour rendre visibles des expériences corporelles, ainsi que leurs conséquences. Elles dénoncent des actes commis sur leur corps et cela touche également l’accouchement. Elles ne revendiquent plus uniquement de décider si et quand faire un enfant, mais aussi comment. Elles ont le besoin d’être considérées et informées.
La question du consentement lors de l’accouchement réside au cœur des revendications des victimes. Comment y répondre favorablement dans la pratique?
SG Lorsqu’on discute avec les médecins, la notion d’urgence revient souvent. Or, dans les faits, les cas de vie ou de mort, lors desquels quelques secondes sont déterminantes, sont très rares. Le consentement n’implique pas forcément de signer un document. Il s’agit plutôt de prendre le temps d’expliquer chaque acte à la patiente et de l’écouter. Il s’agit d’une obligation légale. Ce que les patientes demandent, au fond, c’est d’être engagées dans une relation de soin.
Certains médecins considèrent cette question comme une attaque envers leur profession.
SG Les professionnels rencontrés pendant ma thèse s’engagent pour la vie des mères et de leurs bébés. Ils pensent faire ce qui est juste. Cependant, les dénonciations de ces femmes impliquent que les professionnels se remettent en question. Les réactions particulièrement virulentes que l’on peut lire de la part de certains soignants dans les journaux montrent une grande difficulté à écouter ce qu’elles racontent de leur expérience et à prendre au sérieux cette parole. Au lieu de cristalliser les tensions, ces prises de parole des patientes pourraient pourtant être vues comme une occasion de dialoguer et de repenser l’organisation des soins. Par ailleurs, l’accouchement est envisagé comme un événement a priori dangereux et risqué. Cette notion de «risque» peut constituer un moyen puissant pour limiter les décisions des femmes qui accouchent. Il est nécessaire d’y prêter attention.
Justement, votre thèse de doctorat portait sur la prise en charge de l’accouchement en Suisse romande et la notion de risque dans ce contexte. Comment votre travail s’est-il articulé?
SG J’ai assisté à des naissances pendant sept mois dans un hôpital universitaire et trois mois dans une maison de naissance. J’ai également conduit plus de 70 entretiens avec des femmes, des médecins et des sages-femmes dans le contexte de l’accouchement en hôpital, à domicile et en maison de naissance.
Qu’avez-vous pu observer?
SG J’ai été surprise par la notion de danger extrêmement marquée dans le milieu hospitalier, notamment au niveau judiciaire. La peur d’un procès pour erreur médicale est très présente chez les soignants. Ils souhaitent se protéger au maximum en prenant le moins de risques possible. Pourtant, la césarienne, un acte loin d’être anodin, est pratiquée une fois sur trois. Sachant que le taux idéal fixé par l’OMS se situe entre 10% et 15%, c’est paradoxal.
Outre les risques judiciaires, cette peur du corps médical s’explique-t-elle par la très forte valorisation
de la naissance?
SG En effet, cela représente souvent un moment majeur pour les couples. La charge émotionnelle est grande. Une émotion partagée d’ailleurs par les professionnels avec lesquels je me suis entretenue. Il existe une tension forte entre cet instant supposé magique et la potentialité de mort imminente, si on ne se prémunit pas contre tous les risques. Cette dualité influence fortement les pratiques, surtout en milieu hospitalier.
L’anticipation des risques est-elle différente selon les structures?
SG A l’hôpital, l’accouchement reste considéré comme un événement a priori risqué.
Il ne peut être qualifié de normal que lorsqu’il est terminé. à domicile et en maison de naissance, il est perçu comme quelque chose de physiologique et d’a priori normal. Il est reclassé comme à risque ou pathologique si des événements particuliers surviennent. Cela constitue une grande différence dans la prise en charge.
L’accouchement serait-il trop médicalisé?
SG Il est intéressant de constater qu’il s’agit d’une question que les soignants se posent désormais eux-mêmes, par rapport aux taux de césarienne trop élevés, entre autres. De nombreux médecins prennent conscience de la limite de certaines techniques et réfléchissent à des alternatives, avec la mise en place de pôles physiologiques, notamment. Cela s’inscrit plus largement dans le mouvement du less is more en médecine. C’est-à-dire l’idée que la limitation de certaines interventions et de médicaments peut avoir des effets bénéfiques selon les situations.
Ces images ont été réalisées par le photographe Guillaume Perret. Celle de gauche montre un accouchement en maison de naissance en 2013. Celle de droite se situe dans un contexte hospitalier et date de 2018. Dans les deux cas, il s’agit de commandes «carte blanche».
«La naissance représente un moment d’une incroyable intensité, raconte le photographe. Lorsqu’on m’a proposé de le capter, j’ai sauté sur l’occasion. J’ai essayé de raconter le côté poétique qu’il peut y avoir durant ces instants dans les regards échangés, dans les gestes des proches ou des soignants. L’accouchement reste un moment très marqué par le protocole médical, aussi en maison de naissance. J’ai essayé de m’éloigner de cette perspective pour m’attarder sur les personnes.»