Un bouton facile à manipuler est gage d’autonomie pour des personnes en situation de handicap, voire des seniors. Un projet a réinventé fermetures éclair, boucles et sangles à ouvrir et fermer d’une main, et parfois d’un seul doigt.

TEXTE | Marco Danesi

Vêtements et accessoires tels que sacs, ceintures ou montres peuvent s’avérer un casse-tête pour les personnes dont les capacités motrices et la mobilité sont réduites. Boutonner une chemise, manier une fermeture éclair, fixer un bracelet, serrer une ceinture avec une seule main ou des doigts limités par l’arthrose tiennent souvent de l’exploit avec les systèmes courants d’ouverture et fermeture.

Décidée à améliorer la vie de ces personnes en renforçant leur autonomie au quotidien, l’Association suisse d’aide au handicap mental, basée à Genève, a sollicité l’ECAL/École cantonale d’art de Lausanne – HES-SO pour trouver des solutions. En un mot, comment faciliter l’usage des boutons, zips et autres boucles, sources de maladresses, d’énervements, voire d’un sentiment d’exclusion de la part de ces personnes ? La filière Bachelor en Design industriel et de produits de l’ECAL s’est emparée de la question en y associant le senior-lab, plateforme interdisciplinaire d’innovation et de recherche appliquée avec et pour les seniors (lire encadré ci-dessous). En effet, aux yeux de Laurent Soldini, chef de projet recherche et développement et représentant de l’ECAL au senior-lab, « certaines limitations sont communes aux deux populations ». Concrètement, un atelier a été organisé, sous l’appellation Inclusive Soft Goods Hardware, destiné aux étudiant·es de deuxième année lors du semestre 2022-2023. Il était dirigé par la designer berlinoise Friederike Daumiller sous la supervision de Stéphane Halmaï-Voisard, responsable de la filière.

Les propositions des participant·es ont foisonné. Une simple pression de l’index suffisait pour fermer les boutons d’une chemise. Une bride serrait d’autres boutons transformés en coquilles. Une boucle aimantée d’un sac s’ajustait d’un geste léger de la main. On rabattait un portemonnaie en tirant sur une courte ficelle. La sangle d’une banane se nouait au moyen d’un crochet s’emboitant sans peine. Les travaux ont été exposés au Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne. Bleues et noires, les trouvailles équipaient des vêtements et des accessoires entièrement blancs. La sobriété fonctionnelle primait au service de la recherche d’inclusivité à l’origine du projet, non sans toutefois une pointe d’humour à l’image de boutons à la couture décentrée pour mieux les glisser dans les passants.

Le projet Inclusive Soft Goods Hardware avait deux objectifs : créer des accessoires tenant compte de ressources motrices ou cognitives diminuées, tout en proposant des interactions humaines fortes entre des designers, des seniors et des personnes en situation de handicap. | ECAL/JASMINE DEPORTA

Un projet qui vise un marché étendu

Inclusive Soft Goods Hardware a été mis sur les rails avec deux objectifs. « Le premier, explique Stéphane Halmaï-Voisard, était de travailler pour la communauté des seniors et des personnes en situation de handicap en promouvant une attitude inclusive à travers les vêtements et autres accessoires en lien avec le corps. » Plus largement, les étudiant·es étaient appelés à trouver des dispositifs accessibles au plus grand nombre, suivant les principes du design inclusif. Si certains objets exigent un traitement spécifique, comme « des accessoires de plage pour enfants ou un déambulateur pour seniors, détaille Stéphane Halmaï-Voisard, la grande majorité des produits d’usage courant doivent être imaginés en tenant compte des personnes aux ressources motrices et cognitives diminuées. En même temps, il est important de ne pas stigmatiser qui que ce soit. Les produits pensés exclusivement pour les personnes en situation de handicap ou pour les seniors sont rarement bien acceptés par ces derniers. » Il s’agit en somme de marier la quête d’autonomie avec la volonté d’intégration. En ce sens, le projet visait un marché plus étendu et comptait « séduire un industriel ». Espoir pour l’heure douché. Mais les démarches vont se poursuivre dans le but de valoriser l’originalité des créations estudiantines.

« Le deuxième objectif du projet était de proposer une expérience humaine intergénérationnelle forte, note Laurent Soldini. Dans ce cadre, trois seniors et trois personnes en situation de handicap ont participé aux ateliers et testé les systèmes de fermeture réalisés. » Les étudiant·es ont apprécié ces interactions qui leur ont permis non seulement de mieux comprendre les besoins de leur public cible, mais aussi de donner du sens à leurs travaux.

Donner du sens au design

« Depuis quelque temps, remarque en guise de conclusion Laurent Soldini, on observe que cette dimension du sens prend de plus en plus d’importance chez les étudiant·es. » La folie des années 2000 du design flamboyant, du design pour le design, est révolue. Les jeunes designers s’intéressent à l’écologie, à l’éthique, au développement des liens sociaux. Inclusive Soft Goods Hardware, se focalisant sur l’inclusivité, l’autonomie et l’intégration, illustre à merveille ces préoccupations contemporaines ainsi que leur potentiel créateur.

Ce premier projet pédagogique entre l’ECAL et le senior-lab a été reconduit avec le Master en Design, orientation Design de Produit en 2023. Dans ce cas, le fabricant suisse de meubles Horgenglarus, dont les chaises et les tables sont connues mondialement, a participé dès le début à l’aventure. Les étudiant·es, après avoir visité l’usine, ont eu pour mission de proposer des pièces de mobilier ou des accessoires pour les seniors, en bénéficiant du savoir-faire industriel du partenaire. Les résultats ont été exposés à Lausanne lors des Design Days en juin 2024.


Trois questions à Rafael Fink

HEMISPHERES 27 Mettre les accessoires a la portee de tout le monde Raphael Fink
Rafael Fink | BERTRAND REY

Ce responsable de la communauté senior-lab et collaborateur scientifique auprès de L’Institut et Haute École de la Santé La Source – HES-SO souligne que l’implication des seniors dans les projets les concernant permet de comprendre notamment le sentiment de stigmatisation qu’ils peuvent avoir.

Pourquoi avoir créé le senior-lab ?

RF Dans un contexte où le vieillissement démographique représente désormais une réalité, caractérisée en outre par une forte volonté d’autonomie des personnes âgées dont les profils sont très variés, trois hautes écoles vaudoises (La Source, HEIG-VD, ECAL) ont décidé de créer en 2018 une plateforme de recherche appliquée favorisant la qualité de vie des seniors. L’idée était de les impliquer pleinement dans les projets du laboratoire afin de proposer des solutions innovantes, acceptables et adaptées à leurs besoins ainsi qu’à leur grande diversité.

À ce jour, le senior-lab a concrétisé plusieurs projets, notamment dans le domaine du maintien à domicile. Lesquels ont mis en évidence l’articulation complexe entre autonomie, dépendance et autodétermination. En accompagnant plusieurs entreprises dans le développement de solutions technologiques, nous avons constaté l’importance de placer les seniors au centre du processus de recherche et de comprendre le sentiment de stigmatisation et de contrôle parfois subtil qu’ils peuvent avoir.

L’expérience des seniors participe-t-elle directement à l’innovation ?

Absolument. Les seniors sont certes des expert·es de leur vieillissement, mais ils bénéficient également d’expériences professionnelles et de compétences mises à contribution au sein de la plateforme, qui peut compter actuellement sur 200 membres. C’est la rencontre concrète entre les savoirs tirés de l’expérience des seniors avec les savoirs scientifiques et de terrain des hautes écoles ainsi que des entreprises partenaires qui constitue toute l’originalité de ce projet.

Pouvez-vous indiquer des exemples emblématiques de réalisations du senior-lab ?

La plateforme Digital facile apporte un soutien accessible et modulable aux seniors qui rencontrent des problèmes dans l’utilisation des nouvelles technologies ou qui souhaitent améliorer leurs compétences numériques. On trouve des tutoriels, réalisés par et pour des seniors, un blog d’entraide, ainsi que des annonces de soutien dans le but d’améliorer la maîtrise d’applications telles que WhatsApp ou Mobile CFF et favoriser ainsi l’inclusion numérique des seniors. Dans un autre domaine, un projet réalisé en collaboration avec Curaviva Suisse (faîtière des EMS) nous a permis de développer un outil d’auto-évaluation et d’accompagnement au changement organisationnel afin d’aider les EMS à développer des modèles d’habitat et de soins orientés vers l’environnement social.