De nouvelles méthodes placent l’autonomie du patient·e en ligne de mire. L’une d’elles s’inspire d’une célèbre pédagogie basée sur la participation active pour l’adapter aux personnes atteintes de troubles cognitifs.
TEXTE | Maxime Garcia
Environ 153’000. C’est le nombre de personnes atteintes de démence en Suisse, dont 60% sont touchées par la maladie d’Alzheimer1Maladie neurodégénérative irréversible, Alzheimer est souvent décrite avec sept stades de développement compris dans une « échelle globale de détérioration ». Ces étapes vont de « Tout va bien » à « Fin des interactions » en passant par « Troubles qui perturbent le quotidien ». Cet instrument est toutefois critiqué car il ne prend pas en compte la diversité des trajectoires des personnes malades.. « Ces personnes, généralement âgées, perdent graduellement la mémoire, le sens de l’orientation, des compétences communicationnelles et leur autonomie au quotidien, explique Alexandre Lambelet, professeur à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne – HETSL – HES-SO. Leur relation avec leurs proches ou avec le personnel si elles sont en institution se transforme alors en une forme de dépendance. »
Depuis plusieurs années, l’adaptation de la pédagogie Montessori offre une alternative prometteuse pour sortir de la pure relation de dépendance entre les soignant·es et les personnes présentant des troubles cognitifs sévères, en favorisant l’autonomie de ces dernières. Comment cela fonctionne-t-il ? « La méthode Montessori a été développée par la pédagogue italienne Maria Montessori2Docteure en médecine spécialisée en anthropologie et en psychiatrie, Maria Montessori a développé sa méthode dans un cadre particulier : en 1906, elle a accepté d’accueillir une cinquantaine d’enfants issus de familles ouvrières à Rome pour les éduquer. Elle crée pour cela La Maison des Enfants, qui deviendra son laboratoire de pédagogie où elle expérimentera le libre choix de l’activité et l’apprentissage par l’expérience. (1870-1952) au début du XXe siècle. Durant les années 1990, le psychologue américain Cameron Camp l’a adaptée aux personnes atteintes de troubles cognitifs, indique Alexandre Lambelet. Ce n’est pas exactement le même procédé que celui proposé aux enfants. Mais le principe de base reste le même avec des préceptes tels que ‹Aidez-moi à faire seul, parce que chaque chose que vous faites à ma place est une chose que vous m’enlevez›. »
Faire « avec » plutôt que « à la place »
Plutôt que de faire « à la place » de la personne dépendante, ce qui peut aggraver la dépendance, le personnel va donc essayer de faire « avec », afin de favoriser l’autonomie. « Il s’agit d’un changement de paradigme, poursuit Alexandre Lambelet. On passe d’une relation de dépendance à une relation d’aide, beaucoup plus compatible avec la notion d’autonomie. » De nombreux EMS, notamment en Suisse romande, ont adopté la méthode Montessori pour la prise en charge de leurs résident·es. « Les études tendent à montrer que son emploi permet non seulement de maintenir les capacités des résident·es, mais aussi d’améliorer la satisfaction du personnel », souligne Alexandre Lambelet, lui-même coauteur, avec Anne Jetzer et Fabienne Malbois, respectivement maître d’enseignement et collaboratrice scientifique à la Haute école de Santé Vaud (HESAV) – HES-SO, d’une enquête ethnographique au sein de cinq EMS vaudois utilisant Montessori.
Dans les EMS, le passage aux principes Montessori demande néanmoins des modifications qui concernent l’ensemble de l’établissement. D’abord, tout le personnel doit suivre une formation de trois jours, afin de changer certains réflexes. Par exemple, au lieu de demander « Savez-vous encore faire votre lit ? », le personnel dira plutôt « Voulez-vous m’aider à faire le lit ? » « Avec ce genre de question, on sort du registre de l’incapacité. La méthode Montessori invite la personne à participer aux activités de la vie quotidienne, au lieu de faire à sa place ou de la forcer », explique Alexandre Lambelet. Le professeur cite un autre exemple : « Imaginons une personne qui ne sait plus se laver les dents. Cette tâche est une succession d’actions simples, mais leur accumulation la rend complexe : se rendre dans la salle de bains, prendre la brosse à dents, ajouter le dentifrice, etc. Dans ce cas, le personnel va essayer de découvrir quelle partie de la séquence la personne ne sait plus faire, plutôt que d’effectuer l’ensemble du brossage à sa place. » Le personnel va également se concentrer sur les activités qui ont un sens. Par exemple, il insistera sur la lecture avec les résident·es qui aiment lire.
Maintenir la possibilité de choisir
En ce qui concerne la restauration, les EMS appliquant la méthode Montessori privilégieront les buffets plutôt que le service à table. « L’idée consiste à laisser la possibilité de choisir aux personnes, ce qui représente une forme d’autonomie, explique Alexandre Lambelet. De manière générale, les EMS ont été conçus pour faciliter le travail des professionnel·les. Ils doivent être repensés pour les résident·es. Toutes les portes, par exemple, sont blanches, ce qui rend l’orientation difficile. Peindre les portes des toilettes d’une autre couleur ou suspendre des photos des résident·es devant leur chambre facilite leur orientation autonome. » Si les résultats de l’application de la méthode Montessori avec les personnes atteintes de troubles cognitifs sévères semblent prometteurs, Alexandre Lambelet souligne qu’il existe d’autres dynamiques semblables visant à maintenir l’autonomie de ces patient·es le plus longtemps possible, notamment dans le cadre plus large des approches dites « centrées sur la personne » (lire ci-dessous) : « Montessori est une méthode parmi d’autres permettant d’atteindre ces objectifs. »
Soutenir l’autonomie décisionnelle en fin de vie
Des équipes de recherche développent des outils permettant aux patient·es de déterminer leur parcours thérapeutique jusqu’à la fin, en intégrant leurs proches et les professionnel·les de santé.
Les directives anticipées, des instructions concernant les traitements médicaux que l’on souhaite – ou pas – recevoir en cas d’incapacité de discernement, existent depuis les années 1960. Mais, en Suisse, elles demeurent peu utilisées. Dans un contexte de vieillissement de la population, d’augmentation des maladies chroniques et neurodégénératives, ainsi que de complexification du système de soins, réfléchir de manière consciente aux types de traitements qu’on souhaiterait à certaines étapes clés prend pourtant une importance croissante. C’est dans ce cadre que Francesca Bosisio, professeure à la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud – HEIG-VD – HES-SO, a travaillé sur le Projet de Soins anticipés dès 2018.
« Notre objectif consistait à former des professionnel·les de la santé à l’accompagnement des personnes souhaitant formuler des directives anticipées, explique Francesca Bosisio. La littérature montre qu’il est difficile de les formuler seul. » La réalité est en effet plus nuancée que les extrêmes que représentent l’acharnement thérapeutique ou le renoncement à tout traitement. Il s’agit plutôt de clarifier ses valeurs, de comprendre les scénarios auxquels on pourrait être exposé, puis de formuler ses souhaits et ses choix pour chaque étape. « Pour y parvenir, le professionnel·le effectue plusieurs entretiens avec la personne. Il l’amène à clarifier sa vision et ses objectifs en termes de qualité de vie avant d’aboutir à la rédaction de directives anticipées. Il est essentiel que ce processus intègre aussi ses proches. » Le patient·e est invité à collaborer avec eux, puisque lorsqu’il aura perdu sa capacité de discernement, ils devront prendre des décisions existentielles le concernant.
La période de fin de vie fait aussi l’objet d’un autre projet mené par Francesca Bosisio, Confidence in end-of-life caregiving. Il part du constat que 82% des Suisse·sses souhaiteraient décéder à domicile. Mais leur vœu est rarement exaucé dans la réalité. « Souvent, lorsqu’ils se sentent débordés, les proches appellent le 144. Dans ces cas, la décision d’hospitaliser la personne mourante est souvent privilégiée, alors que ce n’est pas toujours indiqué ou souhaité. » Face à ces défis personnels et systémiques, l’équipe de recherche développe des stratégies pour soutenir les patient·es et leurs proches lorsqu’ils partagent la volonté d’un décès au domicile. Il s’agit notamment de cartographier les offres de soutien qui existent, de renforcer les compétences et la littératie en matière de soins de fin de vie des professionnel·les et des personnes proches aidantes, ainsi que d’améliorer leur partenariat. Par exemple, pour prévenir des hospitalisations non souhaitées, il s’agit d’identifier la personne de contact pour le proche aidant·e. « Dans le canton de Vaud, des équipes mobiles de soins palliatifs peuvent déjà être jointes en journée. Mais elles ne disposent pas toutes d’un système de piquet nocturne ou pendant les week-ends. Avoir des personnes de référence atteignables permettrait aux proches d’une personne mourante d’éviter de recourir aux urgences. Car celles-ci ne sont pas forcément adaptées à ces situations et peuvent même péjorer l’expérience de fin de vie. »
GR
Trois questions à Olivier Walger
Ce professeur à la HE-Arc Santé – HES-SO soutient le développement de l’éducation thérapeutique. Cette méthode permet aux patient·es souffrant de maladies chroniques de reprendre du pouvoir sur leur vie.
À quoi sert l’éducation thérapeutique ?
OW Environ 50 à 70% des patient·es atteints d’une maladie chronique se prennent en charge de manière autonome. Il suffit de leur expliquer la marche à suivre et tout se passe bien. Entre 25 à 30% sont moins autonomes. Il va falloir gérer la mise en place et le suivi du traitement. Les 5% restants requièrent un gros investissement, sinon ils ne parviennent pas à suivre les recommandations des médecins. Lorsque leur état de santé se dégrade, ils génèrent jusqu’à 80% des coûts des maladies chroniques. Leur offrir un accompagnement thérapeutique personnalisé est donc primordial.
En quoi consiste cet accompagnement ?
Un traitement ne se limite pas à une pilule. Si vous commencez à souffrir de diabète à 30 ans, il vous sera recommandé de pratiquer une activité physique ou d’améliorer votre alimentation. Mais lorsque vous vivez dans un milieu précaire, il peut s’avérer difficile de bien manger ou de pratiquer un sport. Parce que cela coûte et que le temps manque. Face à ce genre de situation, certains praticien·nes se disent « Je m’occupe du diabète, c’est mon métier, mais pas du reste ». Mais cela ne fonctionne pas. Pour l’illustrer, je raconte à mes étudiant·es l’histoire d’un patient diabétique qui venait de divorcer, ne pouvait plus voir ses enfants et avait perdu son emploi et son domicile. Dans ce cas, le médecin ne peut pas se contenter de dire : « Monsieur, il faut changer votre mode de vie parce que sinon, dans 10 ans, vous aurez des complications ». Il faut faire preuve d’empathie, prendre en compte ses problèmes et ses priorités. C’est la mission de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) centrée sur la personne : considérer tous les facteurs, sociaux mais aussi psychologiques, qui s’opposent au suivi d’un traitement et à l’adoption de mesures hygiéno-diététiques. L’autonomisation du patient·e peut ensuite être plus ou moins développée en fonction de ses ressources dans le contexte psychosocial qui lui est propre. La finalité de l’ETP consiste à permettre aux malades de reprendre du pouvoir sur leur vie.
Mais l’ETP représente un coût…
Le financement représente la grande problématique, parce que l’ETP a un coût à court terme.Mais plusieurs études menées dans les pays qui l’expérimentent ont montré qu’il s’agit d’un investissement rentable. D’un côté, les patient·es suivent mieux leur traitement, ce qui réduit les complications et donc les coûts. De l’autre, les soignant·es gagnent en satisfaction puisque leur métier retrouve du sens. Dans ce contexte, la Suisse aurait tout intérêt à valoriser davantage l’ETP.