HEMISPHERES no28 Pour les PME suisses l adoption de l IA est une question de survie teaser

« Pour les PME suisses, l’adoption de l’IA est une question de survie »

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Pour nombre de petites et moyennes entreprises, rater le train de l’IA serait se condamner à l’obsolescence. Maisce n’est pas facile sans les budgets enrecherche et développement des multi­nationales. C’est pourquoi le Centre suisse d’intelligence artificielle pour les PME (CSIA-PME) les soutient. Selon son directeur Jean Hennebert, également professeur à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg – HEIA-FR – HES-SO, l’adoption de l’IA n’est pas toujours aussi coûteuse et complexe que le craignent les entrepreneur·euses.

TEXTE | Lionel Pousaz

Le CSIA-PME fournit une aide de proximité à des centaines d’entreprises suisses. Avec quels types de besoins les PME frappent-elles à votre porte ?

Sur ce point, on peut parler de grand écart. Certaines entreprises ont des besoins de base. Elles veulent comprendre ce qu’est une IA, quels en sont les risques et les opportunités. Nous avons mis en place à leur intention des formations courtes d’une journée environ. D’autres sociétés sont plus avancées. Certaines ont déjà créé des IA, elles les ont entraînées sur leurs propres données. Mais elles se posent des questions de mise en production ou de bonnes pratiques. Pour elles, notre centre a déployé des formations très pointues. Cette variabilité des besoins, c’est précisément ce qui fait la complexité du travail avec les PME.

Les entrepreneur·euses sont-ils toujours au fait des possibilités ouvertes par l’IA ?

Souvent, ils se demandent simplement ce qu’on peut en faire. Ils imaginent des opportunités au niveau du marketing, de la gestion des ventes ou des relations clients. Par contre, ils ne comprennent pas toujours les limites de la technologie. Ils envisagent parfois d’utiliser l’IA dans la prise de décision de très haut niveau, par exemple sur les enjeux stratégiques, alors que ce n’est pas vraiment possible – en tout cas pas maintenant. Mais certaines de leurs questions sont aussi plus pointues. Nombre d’entre eux se heurtent aux problèmes de confidentialité des données, ce qui les amène par exemple à se demander s’ils doivent faire tourner leur IA en local ou sur un cloud hébergé en Suisse. Nous travaillons un peu comme des consultant·es sur les questions de régulation. En ce moment, nous nous intéressons à la fameuse loi européenne sur l’IA (l’IA Act, en vigueur depuis le 1er août 2024, vise à garantir une IA respectueuse des droits fondamentaux et des principes éthiques, ndlr).

HEMISPHERES no28 Pour les PME suisses l adoption de l IA est une question de survie Jean Hennebert
Jean Hennebert observe qu’une des limitesde ChatGPT pour les PME réside dansle traitement des données confidentielles.  Pour surmonter cet obstacle,il les aideà mettreen place des moteurs detype ChatGPT en local, sur leurs propres serveurs. | © Dimitri Känel

Par rapport aux multinationales comment les PME se positionnent-elles face à l’IA ?

Les plus grosses entreprises ou organi­sations y vont à fond et elles disposent des ressources nécessaires. Pour les
PME, c’est une autre histoire. Certaines manquent de connaissances, comme on l’a déjà évoqué. Par exemple, elles s’imaginent que le coût d’adoption est très élevé, alors que ce n’est pas forcément vrai. Et s’il est élevé, elles n’ont souvent pas les moyens. Dans ce cas, nous pouvons les aider à réduire le coût d’adoption ou de prototypage. Une autre caractéristique des PME, c’est qu’elles apprécient de collaborer avec un réseau local. Et là, la HES-SO a son rôle à jouer avec ses écoles d’ingénierie à Genève, Yverdon-les-Bains, Neuchâtel, Fribourg et Sion. À travers ces cinq sites, nous avons grosso modo 150 ingénieur·es en IA qui travaillent à quelques kilomètres de la plupart des PME de Suisse romande. Nous pouvons fournir de l’expertise locale pour des entreprises qui agissent à l’échelle locale.

Vous fournissez également une aide concrète au développement…

Le CSIA-PME a mis sur pied des chèques de prototypage. La PME finance 100 heures et le centre 200 heures, soit un paquet de 300 heures de travail d’ingénieur·es, mis à disposition de la PME pour réaliser un prototype. Nous avons également développé un outil de prototypage rapide. Ce sont des IA déjà configurées que l’on peut relier entre elles, comme des maillons d’une chaîne, pour créer des pipelines de traitement automatisés. 

Qu’est-ce qu’un pipeline d’IA ?

Imaginez un système d’extraction automatique de l’information à partir de courriers ou de factures entrantes. C’est ce que nous avons réalisé pour une PME suisse. On commence avec une première IA toute bête, mais essentielle : elle va simplement détecter si le document a été scanné dans l’orientation correcte et, si ce n’est pas le cas, elle le remet dans le bon sens. Ensuite, une autre IA extrait les caractères. La suivante identifie la langue, puis on repasse par une autre IA de reconnaissance de caractères un peu plus fine pour réduire la possibilité d’erreurs. Ensuite, une IA détermine le type de document, soit une facture, une lettre ou autre. Et si c’est une facture, on récupère les informations et on les insère directement dans le système comptable de l’entreprise. Voilà un exemple de pipeline. On parvient à construire rapidement ce genre de systèmes, simplement en assemblant des modules d’IA préconfigurés.

Il y a aussi le domaine assez porteur de l’IA prédictive. Est-ce que vous avez des demandes dans ce sens ?

Nous recevons passablement de requêtes de ce genre. Nous avons par exemple créé un système pour analyser les courbes de consommation d’énergie électrique. Notre client voulait prédire cette consommation avec quelques jours d’avance pour configurer ses systèmes de production. Un autre type de demandes, ce sont les chatbots. On peut les augmenter avec la documentation de la société. Bien sûr, ChatGPT, c’est génial ! On peut même lui fournir des documents pour entraîner l’IA. Mais la société ne va pas transférer des données confidentielles à OpenAI, l’entreprise américaine à l’origine de cet agent conversationnel. Pour l’éviter, on peut assez facilement mettre en place des moteurs de type ChatGPT en local, sur les serveurs de l’entreprise. 

Des « large language models » (LLM) privés, donc.

En effet. D’abord on sélectionne un LLM (modèle d’IA entraîné pour comprendre, générer et manipuler du texte en langage naturel, ndlr) open source, par exemple celui de la société française Mistral. Ensuite, on augmente sa connaissance en lui injectant de la documentation pertinente par rapport à la question que se pose l’utilisateur·trice.

Une crainte récurrente est que l’IA concentre les activités économiques dans les grandes entreprises. Les PME sont-elles conscientes du risque ?

C’est effectivement une crainte des PME. Et à raison. Je pense à une petite entreprise parmi nos clients, spécialisée dans la comptabilité des bureaux d’avocats. Elle doit inclure de l’IA dans ses produits, parce qu’elle se trouve en compétition directe avec des groupes comme SAP (multinationale allemande qui fournit des solutions pour gérer la comptabilité, les finances, les projets ou les RH d’entreprises de toutes tailles, ndlr). Ces derniers sont en train de se convertir massivement à l’IA. Pour de nombreuses PME suisses, la question de l’adoption de l’IA ne se pose même plus. C’est une question de survie.