Un projet en cours connecte l’égalité de genre à la numérisation du monde. Il part du constat qu’il y a à la fois trop peu de femmes dans les professions du numérique et trop de biais qui les excluent en tant qu’utilisatrices.
TEXTE | Nic Ulmi
« Jusqu’ici, la perspective de genre a été négligée dans l’analyse de la transformation numérique. » C’est ce qu’affirmait en 2021 la Commission fédérale pour les questions féminines (CFQF) dans sa prise de position « Pour une transformation numérique équitable du point de vue du genre ». C’est pour combler cette lacune que le projet Égalité de genre et transformation numérique a été lancé en 2021 par un groupe de hautes écoles incluant l’Université de Lausanne, l’EPFL et la HES-SO, avec le soutien de swissuniversities. Professeure à la Haute école de gestion Fribourg – HEG-FR – HES-SO, Maya Dougoud est l’une des responsables de ce projet.
Quels sont les problèmes spécifiques posés par le numérique du point de vue de l’égalité de genre ?
Il y a à la fois trop peu de femmes dans les professions du numérique et trop de biais qui excluent les femmes en tant qu’utilisatrices du numérique. Les raisons sont multiples. Le premier problème concerne la formation, où le poids des stéréotypes pèse sur les femmes qui se sentent peu légitimes à s’engager dans les filières technologiques. Il existe ensuite un déficit de visibilité : les femmes actives dans ce domaine, et qui y font des choses remarquables, restent globalement peu visibles. Il serait pourtant essentiel qu’elles puissent être perçues comme des figures inspirantes.
En quoi consiste le projet Égalité de genre et transformation numérique ?
Il s’agit d’un projet interdisciplinaire, qui part du monde académique, mais qui se veut ouvert sur l’ensemble des milieux concernés par les technologies numériques et par l’égalité de genre. Son ambition est d’être transversal, de sortir des silos. Il s’adresse aux personnes et organisations actives dans ce domaine, mais aussi à l’ensemble des populations impactées par ces questions. Une volonté de rapprocher les enjeux de l’égalité de genre aux questions soulevées par la transformation numérique s’observe aujourd’hui à divers niveaux, dans les organisations internationales (c’était le sujet de la commission de l’ONU sur le statut des femmes en 2023) comme dans les collectivités locales et dans les milieux professionnels.
Comment abordez-vous ces objectifs ?
Notre projet possède un caractère pionnier par son approche, consistant à dresser un état des lieux commun et partagé, à faire un panorama complet des compétences existantes et des leviers d’action, ainsi qu’à tisser un réseau en rassemblant largement les personnes et organisations engagées sur ce terrain. Notre modèle a inspiré l’organisation française Femmes@numérique, que nous avions invitée à notre premier événement en 2022. Depuis, cette dernière a mis sur pied les premières Assises nationales françaises de la féminisation des métiers et filières numériques à l’image des assises que nous avions tenues à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg – HEIA-FR – HES-SO en 2022 et à l’Université de Lausanne en 2023.
Comment votre participation à ce projet s’articule-t-elle avec votre ancrage à la HEG-FR, ainsi qu’avec vos domaines d’enseignement et de recherche que sont le droit de la propriété intellectuelle et le droit des technologies de l’information ?
Le slogan de la HEG-FR est « Create your future ! » Ce futur sera forcément numérique et il doit absolument être inclusif… J’ajouterais que notre haute école met le focus sur l’entrepreneuriat. Or, grâce à des rapports internationaux tels que le Global Entrepreneurship Monitor (une évaluation annuelle du niveau national d’activité entrepreneuriale dans plusieurs pays dont le volet suisse est réalisé par la HEG-FR, ndlr), on sait que les femmes qui créent des entreprises le font majoritairement avec l’intention de changer quelque chose : il s’agit d’un entrepreneuriat engagé. On sait aussi que, là où une femme s’engage en tant qu’entrepreneuse, la rentabilité tend à être légèrement supérieure à la moyenne. Ce fait est notamment une conséquence de la pression de réussir : il faut tellement de temps et de courage aux femmes pour s’engager que, une fois qu’elles le font, les résultats sont meilleurs.
En ce qui me concerne, en tant que juriste et déléguée à la protection des données, mon travail me porte à jeter un regard critique sur le contexte législatif, mais aussi à rencontrer les personnes qui développent les normes et qui veillent à ce qu’elles soient appliquées. Je constate ainsi des modifications et des formalisations des exigences de conformité (compliance) en termes de genre. On peut citer en exemple la modification législative de 2021 qui fixe des quotas de 20% de femmes dans les conseils d’administration et 30% dans les conseils de direction pour les entreprises de plus de 250 employé·es. J’ajouterais que ce projet me concerne personnellement en tant que femme professeure, car je constate que la question de la légitimité est encore et toujours là. Il faut encore et toujours démontrer, en tant que femme, qu’on mérite et qu’on excelle dans le poste qu’on occupe.
Depuis le lancement du projet en 2021, est-ce que quelque chose a changé ?
J’observe une accélération. Le réseau mis en place par ce projet s’auto-alimente et s’élargit, ce qui permet d’aller plus vite et de peser plus lourd. Le projet sera d’ailleurs prolongé jusqu’en 2025. Nous réfléchissons à la manière de le pérenniser pour éviter qu’il reste juste un chouette moment dont on se félicite avant de retourner à son enclume… Nous soumettrons notamment, au nom de la HES-SO, une demande de financement pour un nouveau projet. Et nous envisageons des partenariats durables avec les entreprises et médias concernés par cette problématique.
Quels sont les prochains rendez-vous ?
Avant les assises, prévues à l’EPFL les 13 et 14 février 2025, nous aurons des événements intermédiaires sur le gaming (7-8 septembre 2024, en allant regarder ce qui se passe sur les plateformes de jeux vidéo), sur les médias (24-25 octobre 2024, avec entre autres la problématique des deepfakes) et sur les violences en ligne (25 novembre 2024, avec projections et débats autour du documentaire Backlash : Misogyny in the Digital Age).