Entre 15 et 25 ans, les comportements sexuels demeurent marqués par les stéréotypes de genre. Et restent plutôt «sages», loin d’une hypersexualité supposée par de nombreux adultes.
TEXTE | Geneviève Ruiz
Elle reste indémodable, même en 2019. La figure de la «pute» représente toujours un enjeu considérable pour les jeunes lorsqu’on aborde avec eux des questions de sexualité. C’est l’un des constats d’Annamaria Colombo, responsable du Département Recherche appliquée & Développement à la Haute école de travail social Fribourg – HETS-FR – HES-SO, qui a mené avec Myrian Carbajal, professeure à la HETS-FR, une enquête sur les transactions sexuelles des jeunes entre 2015 et 2017. «Notre recherche, basée sur des questionnaires en ligne et des entretiens individuels de jeunes entre 15 et 25 ans des trois régions linguistiques de Suisse, s’est intéressée aux représentations en lien avec les comportements sexuels. Elle partait d’une inquiétude relevée par certains professionnels à propos d’une augmentation supposée des transactions sexuelles.»
Par transaction sexuelle, il faut comprendre «une expérience sexuelle en échange de quelque chose», qu’il s’agisse d’un avantage matériel ou symbolique. Les services obtenus peuvent aller de l’ami qui ramène une jeune fille chez elle alors qu’elle a manqué le dernier train, à l’intégration dans un groupe de pairs. «Par essence, toute relation sexuelle comporte un échange, notamment de plaisir ou de bien-être, précise Annamaria Colombo. Notre enquête nous a permis de questionner les représentations des jeunes sur cette notion dans le domaine de la sexualité. Elle s’est montrée riche en enseignements sur plusieurs aspects.»
Condamnation des transactions sexuelles
Première observation: la plupart des jeunes condamnent fermement la sexualité contre l’échange de quelque chose, qu’ils associent à de la prostitution. Ces pratiques ne seraient d’ailleurs pas en augmentation. «Elles ont toujours existé et restent assez taboues. Mais elles permettent d’observer des différences intéressantes entre les genres», relève Annamaria Colombo. Notamment le fait que les jeunes filles se sentent davantage redevables à l’autre, notamment suite à un service rendu. Et qu’elles sont plus centrées sur le désir d’autrui. «Il s’agit de comportements profondément intériorisés. Ils sont aussi basés sur certaines croyances, comme celle que les hommes auraient des besoins sexuels plus importants que les femmes. Ces dernières considèrent alors que ces rapports sexuels sont nécessaires pour les hommes et que l’on attend cela d’elles. «Durant leurs entretiens, les chercheuses ont observé que les jeunes hommes pensaient davantage la sexualité en termes de conquête personnelle et qu’ils étaient souvent moins attentifs au ressenti de l’autre.
De façon générale, pas grand-chose n’a radicalement modifié la manière dont les jeunes découvrent la sexualité par rapport aux générations précédentes. «L’âge du premier rapport sexuel se situe depuis des années aux alentours de 17 ans, explique Annamaria Colombo. Le rapport aux pairs ou la comparaison restent importants dans ces étapes. Une majorité des jeunes interrogés souhaite s’initier à la sexualité avec la bonne personne, en prenant son temps. Le langage parfois abrupt ne reflète pas les pratiques, somme toute très ‹sages›.» Voilà qui se trouve bien loin du discours ambiant tenu par de nombreux adultes sur une génération qu’ils considèrent comme «hypersexualisée», notamment grâce à son accès presque illimité à la pornographie.
Sexting et expérimentation
«Ces discours ne reflètent pas la réalité, affirme Annamaria Colombo. Certaines choses ont certes changé, mais pas dans ces dimensions. Je pense notamment à la transmission de photos par téléphone, le sexting 1. Il est important de comprendre que les nouvelles technologies ne modifient pas les logiques de comportement des jeunes. Se montrer des parties intimes a par exemple toujours fait partie de la découverte de la sexualité. Ce qui change maintenant, ce sont les risques associés à ces pratiques, en lien avec la protection de la sphère privée.» L’autre changement observé est en lien avec l’expérimentation. «Nous encourageons maintenant beaucoup les jeunes à expérimenter pour devenir des adultes. Il faut essayer différents métiers, avoir différents partenaires avant de se fixer. Forcément, ils vont également expérimenter davantage dans le domaine sexuel, il s’agit même d’une injonction.»
Mais cette injonction à l’expérimentation ne pèse pas de la même manière sur les filles que sur les garçons. Alors que ces derniers sont libres d’aligner les conquêtes, les jeunes filles se trouvent prises dans toute une série d’attentes contradictoires. «Elles doivent expérimenter, mais pas trop, doivent se montrer séduisantes, mais pas trop… Elles s’adaptent constamment à ce que l’on attend d’elles et c’est compliqué, observe la chercheuse. Alors que le discours ambiant se veut libéral, la sexualité féminine reste en lien avec de nombreux interdits.» D’où la prévalence de la figure de la «pute» dans le discours des jeunes sur la sexualité, qu’elle serve à se distancier de certaines pratiques «je ne suis pas comme elles» ou à qualifier des consœurs qui s’écarteraient de la norme.
1 La pratique du «sexfie», soit le selfie sexuel, représente également une tendance en vogue. Il s’agit le plus souvent d’un autoportrait suggestif envoyé à son ou sa partenaire via une messagerie privée. Dans la presse féminine, des articles intitulés «Comment réussir son sexfie» ou «10 trucs pour réussir ton selfie sexy sans ruiner ta réputation» indiquent que cette pratique est très codée chez les jeunes filles.