Quatre instituts de recherche sont liés au domaine Travail social, qui réunit quatre hautes écoles. Les thématiques de recherche se focalisent notamment sur les politiques sociales, l’inclusion ou les inégalités. Le Travail social a rejoint la HES-SO en 2004 dans le cadre de l’intégration de la Haute école spécialisée santé-social dont il faisait partie.


Haute école de travail social Fribourg

« Le harcèlement de rue reflète les mécanismes de domination de la société »

Myrian Carbajal et Emmanuel Fridez, professeur·es à la Haute école de travail social Fribourg – HETS-FR – HES-SO, ont mené une étude sur le harcèlement de rue dans la ville de Fribourg, entre 2019 et 2021. Le taux de participation élevé à l’enquête a souligné un intérêt public certain pour cette problématique.

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PHOTO : GUILLAUME PERRET

Le harcèlement de rue est une thématique ancienne. Pourquoi n’en parle-t-on que depuis une dizaine d’années ?
MC Bien que les mouvements féministes dénoncent le harcèlement de rue (HdR) depuis les années 1940, ce n’est que récemment que la question a pris de l’ampleur dans l’espace public. Cela est dû en grande partie au mouvement GUILLAUME PERRET #MeToo, qui a permis à de nombreuses femmes de s’exprimer. Le HdR comprend une série d’actes s’étendant sur un continuum qui va du coup de klaxon au viol en passant par les insultes et les attouchements. Il s’agit de mécanismes de contrôle sociaux basés sur les normes dominantes de genre et de modèles de binarité. Suivant ses formes, le HdR n’est pas toujours perçu comme problématique. Seules les violences physiques et sexuelles sont considérées comme graves. D’autres formes de HdR, sous prétexte de la drague, sont relativisées. Cette situation peut entraîner un risque de banalisation, non seulement par les personnes concernées, mais aussi par les témoins.
EF Cette invisibilité du HdR est frappante encore à l’heure actuelle. Beaucoup de personnes qui le subissent, majoritairement des femmes et des minorités LGBTQIA+, l’ont intégré comme quelque chose de normal. Elles développent des tactiques de comportement afin de le prévenir : éviter de marcher seul·es dans certains lieux en soirée, s’habiller de manière à ne pas attirer l’attention, etc. Les conséquences de ce harcèlement que nous avons analysé comme continu sur toute la journée, et ce, tant durant la semaine que le week-end, sont importantes pour les personnes concernées : elles sont de l’ordre psychologique comme l’anxiété ou la perte d’estime de soi, ou de la restriction de la mobilité et de l’utilisation des espaces publics. Il y va de l’exercice même de la citoyenneté !

Quel était l’objectif de votre étude sur le HdR à Fribourg ?
EF Nous avons été mandatés par la Ville de Fribourg en 2019 afin de procéder à un état des lieux du HdR et d’émettre des propositions. Mon expertise du travail social de rue complétait celle de Myrian Carbajal sur les questions de genre. Nous avons mené un sondage en ligne ouvert à tous les usagères et usagers de l’espace public pour analyser l’ampleur, les formes, mais aussi les endroits où s’exerce le HdR. Pour promouvoir le sondage, une campagne d’affiches visant à sensibiliser le public a été menée. Plus de 6000 personnes ont répondu et 4290 questionnaires ont pu être validés : cela indique à quel point cette problématique touche du monde ! Il faut cependant souligner que notre échantillon, composé en grande partie de jeunes femmes et d’étudiant·es, n’était pas représentatif de la société.

Vos résultats se rapprochent-ils de ceux des autres villes, en Suisse et à l’étranger, où des enquêtes similaires ont été menées ?
MC Tout à fait. Ils indiquent que 79% des personnes sondées ont déjà subi des actes inappropriés au moins une fois dans leur vie. Nous avons constaté aussi qu’un nombre important de personnes ne sont pas en mesure d’identifier les manifestations du HdR. S’il est plus facile de reconnaître une scène de violence physique, il n’en va pas de même pour les formes plus subtiles telles que la drague, les regards insistants, les remarques sur le corps, etc. Alors que les lieux publics sont des espaces où il y a souvent foule, le HdR ne s’en trouve pas pour autant découragé.

Vous avez également mis en valeur le rôle que pourraient jouer les témoins dans la prévention du HdR.
MC Ce que nous avons trouvé intéressant, c’est qu’une majorité de répondant·es ont été eux-mêmes témoins de HdR. Parmi eux, 41% des femmes et 31% des hommes n’ont rien fait, car ils ne savaient pas quoi faire. Il s’agit ici des personnes qui, tout en ayant reconnu des scènes de HdR, considèrent ne pas posséder de ressources pour intervenir. Il y a là un important levier d’action pour prévenir le HdR, afin qu’il cesse de se dérouler sous les yeux de toutes et tous sans que rien ne se passe. Il s’agit de proposer des outils afin d’intervenir dans ces situations sans s’exposer à la violence. EF L’un des objectifs de ce mandat consistait précisément à émettre des propositions pour lutter contre le HdR. Nous avons notamment réuni les parties prenantes qui travaillaient de près ou de loin sur cette thématique à Fribourg. Nous considérons que la formation de personnes clés comme les agent·es de police, les chauffeuses et chauffeurs de transports publics ou encore les travailleuses et travailleurs sociaux à des outils d’intervention efficaces pourrait contribuer à prévenir le HdR. Il s’agit d’être capable d’identifier le HdR, puis d’intervenir de manière appropriée. Il faut savoir que, souvent, les harceleurs ne se rendent pas compte de la portée de leurs propos. C’est en discutant avec eux qu’ils peuvent en prendre conscience.

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Pour promouvoir le sondage lié à l’enquête sur le harcèlement de rue, une campagne d’affiches bilingues visant à sensibiliser le public a été menée en ville de Fribourg. | ALAIN WICHT / LA LIBERTÉ

Haute école de travail social et de la santé Lausanne

« Le travail social est confronté à des croyances »

Professeur honoraire à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne – HETSL – HES-SO, Jean-Pierre Tabin raconte comment les préjugés sur certains thèmes, tel le tourisme social, perdurent malgré les recherches.

Le tourisme social existe-t-il ? L’exemple des cantons de Suisse latine est une recherche menée entre 2002 et 2003 par les quatre hautes écoles de travail social de Suisse romande. « Nous étions animés par une forte volonté de travailler ensemble pour développer la recherche en travail social », raconte Jean-Pierre Tabin, professeur honoraire à la HETSL. La thématique du tourisme social se prêtait alors particulièrement bien à l’exercice. Au début des années 2000, les conseillers d’État latins pensaient que certains cantons attiraient des ressortissant·es d’autres cantons en raison de prestations sociales jugées généreuses. Ils avaient lancé un appel d’offres pour enquêter sur le problème. « Nous les avons convaincus en leur disant que nous étions une équipe pluricantonale et que nous serions ainsi mieux à même d’étudier ce phénomène », se rappelle le professeur honoraire. Le « tourisme social » constitue une thématique aussi récurrente qu’ancienne dans le débat public. Elle est virulente dans les États fédéraux comme la Suisse ou les États-Unis, dans lesquels la notion d’« aimant social » est mobilisée par le politique. « Elle repose sur une préoccupation, soit le contrôle du déplacement des populations pauvres, et sur la volonté publique de définir qui sont les ‹siens›, qui ont droit à l’aide en cas de besoin, et les ‹autres›, qui doivent être renvoyé·es. » Cela permet d’expliquer la persistance de ces discussions et surtout leur résonance dans l’espace public.

Avec ses collègues, Jean-Pierre Tabin avait souhaité documenter le phénomène en l’examinant sous plusieurs angles. L’équipe a tout d’abord mené des dizaines d’entretiens avec des personnes à l’aide sociale ayant récemment déménagé. Parallèlement, des profils types fictifs de bénéficiaires ont été créés : la personne célibataire, la famille monoparentale avec un enfant, le couple avec deux enfants, etc. Les chercheur·es ont fait déménager chaque type afin d’estimer le montant des prestations perçues. « Nos résultats étaient sans appel, les différences étaient minimes », souligne Jean-Pierre Tabin. Quant aux entretiens, ils ont montré que les personnes n’avaient qu’une connaissance vague des prestations sociales de leur nouveau domicile, et que les motivations pour déménager étaient les mêmes que dans la population générale, soit des raisons familiales, concernant l’emploi ou le logement.

Suite à la publication des résultats, Jean- Pierre Tabin se souvient de politicien·nes qui contestaient les résultats de l’étude : « On ne lutte pas contre des croyances et des préjugés seulement avec des rapports scientifiques. La recherche en travail social est constamment confrontée à cette problématique, d’où l’importance d’inventer de nouveaux moyens de communication des résultats, via le développement de serious games par exemple. » Et malgré cette étude, la question du tourisme social continue de ressortir dans les communes, les cantons ou sur le plan fédéral, notamment en 2014 lors de la votation sur l’initiative Contre l’immigration de masse, ou en 2016 lors de l’introduction de l’ordonnance interdisant aux ressortissant ·es étranger·ères d’acquérir la nationalité suisse en cas de perception de l’aide sociale. Pour Jean-Pierre Tabin, cela illustre l’importance de la recherche en travail social, qui permet d’offrir un point de vue critique sur les politiques publiques. « Nous sommes là pour montrer les conséquences réelles de certaines modifications législatives, ajoute celui qui se dit « fasciné par le fonctionnement des sociétés humaines, des inégalités qu’elles génèrent et des actions prises pour les conforter ou les atténuer. Ces dernières reflètent des croyances profondément ancrées sur la mendicité ou la pauvreté. »


HES-SO Valais Wallis – Haute École et École Supérieure de Travail Social

Des îles Fidji à la paysannerie de montagne

L’anthropologue Viviane Cretton a commencé sa carrière avec l’étude des chefs coutumiers aux îles Fidji avant de se spécialiser dans les populations alpines.

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PHOTO : BERTRAND REY

Son dernier projet de recherche a débuté il y a à peine quelques mois. La thématique est celle des bénévoles qui s’engagent auprès de familles de paysan·nes dans des exploitations à plus de 800 mètres d’altitude. « La précarité des paysan·nes de montagne est moins visibilisée que celle des populations urbaines, explique Viviane Cretton, anthropologue et professeure à la HES-SO Valais-Wallis – Haute École et École Supérieure de Travail Social – HESTS. Nous souhaitons l’analyser sous un angle particulier, celui des bénévoles qui viennent la soutenir. »

Le projet Des bénévoles sur l’Alpe. Une ethnographie de l’aide non monétaire aux paysan·nes de montagne en Valais, financé par le FNS pour une durée de quatre ans, prévoit une immersion ethnographique dans quatre programmes de volontariat existant en Valais, ainsi que des entretiens avec des paysan·nes, des volontaires et des professionnel·les concern·ées. « Les exploitations de montagne n’ont pas toutes les moyens d’engager des employé·es agricoles, mais elles en ont besoin pour survivre, raconte Viviane Cretton. C’est pourquoi certaines ont recours à des bénévoles. Ces derniers n’ont pour la plupart pas de lien professionnel avec l’agriculture et sont plutôt citadin·es. Leur soutien auprès des paysan·nes peut aller du fauchage à la garde d’enfants en passant par des tâches administratives. » Comment ces deux mondes si différents se perçoivent-ils, qu’est-ce qui s’échange et qu’estce qui se donne dans ces relations complexes ? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles l’équipe de recherche répondra.


Haute école de travail social de Genève

Cerner les besoins des requérants mineurs non accompagnés

Une équipe menée par Sylvia Garcia Delahaye, professeure à la Haute école de travail social de Genève (HETS-Genève) – HES-SO, a appliqué une méthode intégrant la photographie pour que des requérant·es mineur·es non accompagné·es s’expriment.

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SYLVIA GARCIA DELAHAYE, VALÉRIE FROSSARD. IMAGE CRÉÉE PAR DES ENFANTS LORS DES ATELIERS « MA VOIX EN IMAGES »

Recueillir des informations sur les besoins d’environ 40 requérant·es mineur·es non accompagné·es (RMNA) était l’un des objectifs de la recherche menée par Sylvia Garcia Delahaye, professeure à la HETS-Genève, entre janvier et mai 2019. Répondant à un mandat du Département de l’instruction publique, elle visait aussi à saisir les besoins identifiés par les professionnel ·les des institutions, ainsi que des membres de la société civile. « Pour réaliser cette enquête auprès des jeunes, nous avons utilisé une méthodologie qui s’appelle ‹Ma voix en image›, explique Sylvia Garcia Delahaye. Développée avec la photographe plasticienne Valérie Frossard, elle permet de poser une question pour que les jeunes y répondent indirectement, par le biais de la photographie. Le but est de contourner la relation habituelle qu’entretiennent les jeunes avec les professionnel·les qui les accompagnent et à qui il faut parfois se raconter, encore et encore. »

Au cours de l’atelier participatif, la question de départ était la suivante : « Comment te sens-tu accueilli·e et soutenu·e à Genève par les professionnel·les qui t’entourent ? » Les jeunes sont alors passés par l’élaboration d’un masque qui exprime leur ressenti. Un autre masque représentait les institutions et les professionnel·les qui s’y trouvent, symbolisés par un dessin d’immeubles.

Chaque jeune a ensuite imaginé une mise en scène : à tour de rôle, elle ou il a fait porter son propre masque à un·e camarade et celui représentant les institutions à un·e autre. Il a ensuite disposé ces corps dans l’espace pour exprimer son sentiment dans cette relation. Colère, injustice ou encore satisfaction ? Le jeune a ensuite pris une photo du tableau créé. « À la fin de l’atelier, nous avons visionné ensemble toutes les photos produites, poursuit Sylvia Garcia Delahaye. Les jeunes ont alors exprimé ce qu’elles et ils voyaient, ce qui participe à l’expression collective de leurs besoins. »

Au cours de cette recherche, le besoin principal exprimé par les jeunes RMNA était d’exister et d’être considérés comme les autres enfants de Genève. Une autre revendication était d’avoir de plus petites structures d’hébergement, à taille humaine. « Suite à la récolte des besoins, nous avons pu émettre des recommandations pour un accompagnement des jeunes au-delà de 18 ans conformément aux politiques de l’enfance et la jeunesse, détaille la chercheure. Elles ont eu un certain impact politique, notamment au niveau de la formation. Les jeunes débouté·es qui sont dans un cycle de formation peuvent désormais rester théoriquement en Suisse pour la terminer jusqu’à leurs 25 ans. En novembre 2022, deux nouvelles structures d’accueil ont été ouvertes à Genève. Malgré tout, un grand travail politique et institutionnel doit encore être réalisé pour améliorer la situation des RMNA à Genève et en Suisse. »