Malgré ses avantages, la capsule à vis souffre de sa mauvaise réputation. Une récente étude l’atteste : le liège reste synonyme de bon cru pour les consommatrices et les consommateurs.
TEXTE | Marco Danesi
On peut faire preuve d’ouverture. Mais la tradition, l’histoire, sinon les préjugés tenaces ou l’inconscient collectif exercent toujours un poids. Prenons le vin. Plus précisément, le bouchon des bouteilles de vin. Malgré une trajectoire plus que cinquantenaire – elles sont apparues à la fin des années 1960 en Suisse –, les capsules à vis traînent toujours derrière elles une mauvaise réputation : elles seraient synonymes de vins de qualité médiocre. Une étude de CHANGINS – Haute école de viticulture et d’œnologie – HES-SO, actuellement en cours de finalisation, confirme ce défaut d’image.
Fort d’un passé quasi mythique, qui plonge ses racines dans l’Antiquité, en tout cas chez les Grecs qui bouchaient les amphores avec du liège recouvert de plâtre ou de résine, le liège résiste aux attaques de la modernité et de la capsule à vis, trop terre-à-terre par rapport à la noblesse de son devancier. Même si les capsules, selon les professionnel·les, feraient aussi bien l’affaire que le liège tout en étant recyclables. Elles seraient même plus performantes, du moins pour les blancs.
Autrement dit, le liège, à la barbe de quelques défauts – dont la fâcheuse tendance à bouchonner le vin –, consacre toujours l’excellence vinicole en Europe. La Suisse romande suit cette tendance, même si la capsule arme tout de même 60% des bouteilles produites dans le pays. La situation s’avère d’ailleurs différente aux États-Unis, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, où la capsule est mieux acceptée et bouche huit bouteilles sur dix.
Prêt à payer plus pour le liège
La recherche de CHANGINS a été réalisée courant 2022. Un questionnaire en ligne a suscité quelques 200 retours exploitables. Des tests consommateurs ont également été organisés. Les participant·es – une septantaine, issus essentiellement du canton de Vaud – devaient apprécier la qualité des vins et indiquer le prix qu’ils étaient prêts à payer pour telle ou telle bouteille dégustée.
Sans trop de surprise, les premières analyses des résultats documentent la perception très positive, presque inconditionnelle pour certain·es, à l’égard du bouchon tiré du chêne-liège, cet arbre qui aime bien la douceur des pays méditerranéens, surtout le Portugal. Plus des trois quarts des personnes interrogées à ce sujet préfèrent les bouchons en liège aux capsules. Et ceci, tous vins confondus. Pour le chasselas, c’est moitié-moitié. Preuve que les blancs sont peut-être considérés comme moins prestigieux que les rouges ; la capsule suffisant à leur garde, plus courte, et finalement à leur bonheur.
Les tests consommateurs vont dans le même sens. « Lors des dégustations où l’on pouvait voir le type de bouchon, les vins à capsule ont été moins bien évalués que les vins avec bouchon en liège », détaille Pierrick Rébénaque-Martinez, maître d’enseignement en analyse sensorielle à CHANGINS qui a mené l’étude. Examinés à l’aveugle, en revanche, tous les vins ont obtenu des notes similaires.
Un accessoire qui influence les comportements d’achat
Autrement dit, l’aura du liège ne pâlit pas, ou si peu. La tradition et les a priori favorables au liège influencent largement les comportements des consommatrices et des consommateurs de vin, ainsi que leur jugement. C’est dire l’importance de cet accessoire qui, dans la réalité, n’a rien d’accessoire, car il va jusqu’à modifier l’appréhension de la qualité du vin, et, par là, influencer les comportements d’achat.
Pierrick Rébénaque-Martinez note que près de 50% des participant·es seraient même prêts à payer un prix plus élevé pour les bouteilles bouchées avec du liège. Oui, car confectionner des bouchons en liège coûte plus cher que mouler des capsules. C’est d’ailleurs l’objectif de ces recherches, explique Pierrick Rébénaque-Martinez : « Renseigner les professionnel·les de la filière vitivinicole afin qu’ils puissent adapter leurs pratiques, notamment dans les secteurs du packaging et du marketing. » Dans cette optique, et au vu des résultats, les fabricant·es de vins pourraient même songer à renoncer à la capsule à vis. Ce qui confirmerait que le client·e est roi – attaché au rite d’ouverture au tire-bouchon et au « plop » qui s’ensuit – et que la perception de la qualité des vins n’est pas qu’une affaire de palais.