Une météo capricieuse, des hivers sans neige et des étés torrides auront-ils raison du tourisme de montagne? Ou, au contraire, une nouvelle façon d’aborder nos cimes est-elle en train de se dessiner? Le point avec Dominique Fumeaux, professeur et responsable de la filière Tourisme de la HES-SO Valais-Wallis – Haute école de Gestion – HEG.
TEXTE | Virginie Jobé-Truffer
Quel est l’impact du réchauffement climatique sur le tourisme de montagne?
DF Si on prend le climat dans son évolution, ce qui a été scientifiquement constaté, ce sont les différences d’enneigement. La moyenne montagne a passablement souffert. La saison commence plus tard, se termine plus tôt et il y a beaucoup moins de journées d’enneigement. L’altitude qui garantit cet enneigement a un peu augmenté. Ce mouvement est pratiquement continu depuis dix ou quinze ans et a des effets sur le tourisme.
Que se passe-t-il dans les stations?
DF On doit rentabiliser une saison d’hiver sur un temps plus court ou imaginer comment la prolonger si on veut avoir plus de rentrées. Il y a aussi un aspect moins scientifique, à savoir comment on parle de cette situation. On dit qu’il faut absolument trouver des solutions, alors que la plupart des stations d’altitude ont un enneigement plus ou moins garanti. On a mis en place une production de neige de culture artificielle. Toutefois, la thématique du réchauffement climatique et la peur de ne plus pouvoir skier ont dynamisé les stations qui ont envie de développer de nouveaux domaines et d’investir sur d’autres saisons.
Promouvoir le tourisme d’été vous paraît-il être la solution?
DF Il s’agit d’une redistribution logique. Cela ne signifie pas que l’hiver n’existe plus. On a cependant pris conscience du reste de l’année. Il ne faut pas oublier que le tourisme alpin était au départ axé sur l’été. L’hiver, on s’ennuyait en station. La révolution des remontées mécaniques dans les années 1950 a tout fait basculer.
Et que dire des autres saisons?
DF Maintenant, on parle beaucoup plus du «tourisme quatre saisons». Historiquement, on avait deux saisons, hiver (ski) et été (randonnée). Maintenant, on se rend compte que les clients veulent découvrir d’autres horizons. L’automne est mis en valeur aujourd’hui grâce à la pratique de l’œnotourisme. Les produits du terroir attirent une nouvelle clientèle. Celle-ci cherche de l’authenticité, veut connaître et comprendre une région, et non plus seulement ses remontées mécaniques. La monoculture du ski, c’est terminé. Il s’agit d’un des grands changements, pas uniquement lié au climat, mais aussi aux nouvelles générations de touristes.
Quel est l’état financier des stations de ski?
strong>DF Les deux dernières années ont été très bonnes pour les stations de montagne. Mais de fortes disparités existent entre elles. La grande taille n’est pas une garantie de réussite. Crans-Montana et Saas-Fee ont par exemple eu de gros soucis au niveau des remontées mécaniques. Alors que de petites stations ont le vent en poupe, comme le val d’Anniviers. Celles qui fonctionnent moins bien ont souvent peu évolué dans leur produit ou leur présentation. De nos jours, la fidélité par principe à une station n’existe plus. Si vous ne fournissez pas au client le produit qu’il attend, il s’en va, y compris les propriétaires des résidences secondaires.
Le modèle américain ou russe des stations intégrées est souvent évoqué. Le projette-t-on en Suisse?
DF Cela dépend de la définition du modèle. Si l’on parle des stations dans lesquelles les services sont à disposition dans toute la chaîne de produits (logement, restauration, loisirs), oui. Mais une station qui n’appartiendrait qu’à un seul propriétaire, non. On a souvent une toile d’araignée de prestataires. Les investisseurs étrangers ne vampirisent pas nos stations.
Quel sera l’enjeu majeur de ces prochaines années?
DF La mobilité, probablement, avec deux problématiques : comment on arrive jusqu’à la station et comment on s’y déplace. Le tout transport public n’est pas encore possible partout. On a des modèles hybrides comme à Saas-Fee où on laisse la voiture à l’entrée. Actuellement, d’autres services de transport plaine-montagne sont en discussion, afin d’éviter des allers-retours en voiture…
Le tourisme, secteur sinistré par le Covid-19
Entre mesures de confinement et crise économique, les perspectives sont sombres pour les acteurs du tourisme. Une étude indique que 12% des entreprises hôtelières estiment leur probabilité de faillite à 60%.
Le tourisme suisse pourrait perdre 8,7 milliards de francs sur les mois de mars à juin 2020 en raison des mesures liées à la pandémie de Covid-19, selon une étude de l’Institut du tourisme de la HES-SO Valais-Wallis publiée le 1er mai 2020 et menée auprès des acteurs du secteur. Les perspectives ne sont pas réjouissantes non plus pour le reste de l’année, étant donné la timidité des mesures de déconfinement et de l’ouverture des frontières, la crise économique et surtout l’immense incertitude qui retient les clients à effectuer des réservations. Quels pays autoriseront leur accès et à quelles conditions, quelles compagnies aériennes survivront et quand arrivera la seconde vague annoncée de Covid-19?
De leur côté, les professionnels s’interrogent sur la manière de mettre en place les mesures sanitaires, qui vont aussi générer de nouveaux coûts : cela va des infrastructures pour respecter la distanciation sociale, comme des parois en plexiglas dans les restaurants ou sur les plages, au certificat médical obligatoire pour emprunter des transports ou accéder à certaines régions.
Alors que certains tablent sur la clientèle nationale, d’autres espèrent que le tourisme d’affaires reprendra rapidement. Mais la plupart des experts estiment que cela ne suffira pas : les Asiatiques représentent par exemple jusqu’à 70% des visiteurs sur des attractions comme le Jungfraujoch. Les perspectives demeurent donc sombres pour le secteur et en particulier pour l’hôtellerie, qui a connu des taux d’occupation historiquement bas entre mars et juin, à moins de 10%. Avec des pertes qui se chiffrent rapidement en millions de francs, les hôtels helvétiques sont 12% à estimer leur probabilité de faillite à 60% ou plus.
Le voyage de la dernière chance
Aller voir les derniers ours polaires, parcourir les glaciers avant leur fonte ou faire de la plongée aux Galápagos n’est pas sans conséquences pour la planète.
«Ce qu’on appelle « le tourisme de la dernière chance » ne constitue ni du tourisme durable ni de l’écotourisme. Ce serait plutôt de l’égotourisme, constate Rafael Matos-Wasem, maître d’enseignement à la filière Tourisme de la HES-SO Valais-Wallis – Haute école de Gestion – HEG. Cela en jette de dire que l’on va voir les ours blancs ou que l’on monte au sommet de l’Everest.» Si ce phénomène ne constitue pas une nouveauté (on le pratiquait déjà au XIXe siècle) et s’il n’est réservé qu’à une poignée de privilégiés, il connaît aujourd’hui une croissance exponentielle.
Ainsi, l’Arctique, par exemple, croule actuellement sous les bateaux. Les croisiéristes traversant l’Islande sont passés de 7’952 en 1990 à 250’000 en 2016 (selon des chiffres de NBC News). Plus au Sud, les Galápagos ne ressemblent plus au paradis depuis que les visiteurs les ont envahies. A tel point que l’Unesco y a classé le tourisme comme principale menace, à égalité avec la pêche illégale et l’introduction d’espèces envahissantes. «On limite alors le nombre de touristes, explique le spécialiste. Il y a une capacité de charge à ne pas dépasser pour des raisons environnementales, sociales, psychologiques ou physiques. Mais d’un autre côté, les acteurs économiques calculent à court terme et ne permettent pas une limitation assez poussée.»
Et de mentionner le cas du Machu Picchu, dont le nombre de visiteurs a pu être un peu restreint, suite à d’âpres négociations entre l’Unesco et les autorités péruviennes. Chez nous, depuis les années 1980, les glaciers sont pris d’assaut. «Le tourisme de la dernière chance est ambivalent, souligne Rafael Matos-Wasem. Il permet de sensibiliser les populations au réchauffement climatique – on va voir la mer de glace et on se rend compte que les échelles doivent être rallongées de 2 à 3 m chaque année à cause de sa fonte, c’est un choc – tout en accélérant la disparition de sites, par exemple en prenant l’avion pour s’y rendre. En Suisse, 80% des touristes se rendent en montagne en voiture.» Tout en participant à la destruction d’un patrimoine naturel et humain, le touriste de la dernière chance aide aussi, parfois, à mettre au jour de nouvelles richesses. En Suisse, la fonte des glaciers d’ici à 2100 va conduire à l’apparition de 500 nouveaux lacs alpins. «D’un point de vue strictement touristique, cela peut être bien. On pourrait les exploiter pour leur beauté, pour faire du canoë ou nager….»
Certains sites gagnent même à la présence d’importuns humains. C’est le cas du parc national des volcans, au Rwanda, qui abrite encore des gorilles. «Le déboisement est beaucoup plus faible où ils se trouvent, car ils ont une grande valeur monétaire. On attire des touristes de la dernière chance qui, en payant des milliers de dollars, contribuent aussi bien à protéger les gorilles qu’au maintien de leur forêt. En jouant sur la rareté de l’offre, en limitant le nombre de visiteurs, en favorisant les transports publics pour y accéder et en sensibilisant dès l’école au tourisme, on pourra peut-être réussir à cadrer ce type de voyage.»