Recourir à des implants donnant accès à une forme d’audition, privilégier la langue des signes ou encore scolariser son enfant dans une école spécialisée : comment choisir la bonne solution pour un enfant atteint de surdité alors que les informations sont difficiles à trouver ?
TEXTE | Anne-Sylvie Sprenger
Les difficultés – et responsabilités – rencontrées par les parents d’enfants sourds ou malentendants sont souvent considérables. C’est pourquoi le centre Les Chemain’S à Renens (VD), dont la mission est de renforcer l’autonomie des adultes sourds ou malentendants en difficulté sociale, a mandaté la Haute école de travail social Fribourg – HETS-FR – HES-SO pour réaliser une étude sur les besoins des personnes sourdes et de leurs proches en Suisse romande. Handicap invisible, la surdité se vit de manière très personnelle au niveau psychologique, social, émotionnel ou physiologique. Il existe de plus une grande méconnaissance à son sujet. Les difficultés des personnes touchées s’en retrouvent dès lors décuplées, comme le relève Geneviève Piérart, professeure à la HETS-FR, coautrice de cette étude ainsi que d’autres recherches menées sur cette thématique.
L’une d’elles, consacrée spécifiquement aux défis rencontrés par les parents, est intitulée Expériences parentales de la surdité : convergences et divergences entre le vécu de parents entendants et de parents sourds. « Aujourd’hui le dépistage de la surdité est réalisé de façon quasi systématique dans les maternités, indique Geneviève Piérart. Mais une grande question demeure : qu’est-ce qu’on fait avec ce diagnostic ? » Car pour les parents, le choc de l’annonce de la surdité de leur nouveau-né ne représente qu’un premier défi sur un parcours jalonné de décisions difficiles à prendre.
Informations lacunaires du corps médical sur les enjeux des implants
Ce parcours commence par la question de l’implantation cochléaire, soit une prothèse électronique insérée dans l’oreille lors d’une intervention chirurgicale. Elle permet à une large catégorie de personnes malentendantes d’accéder à une forme d’audition. « Cette opération, loin d’être anodine, doit se faire rapidement, quand l’enfant est encore tout petit », précise Geneviève Piérart. Lors d’un diagnostic de surdité, le monde médical va dans la plupart des cas proposer la pose d’implants cochléaires aux parents. Mais de nombreux aspects liés à cette prothèse ne sont souvent pas abordés avec eux. Le problème, c’est que, d’une part, le corps médical n’est souvent pas assez sensibilisé à la surdité et que, d’autre part, les enjeux autour des implants sont aussi divers que complexes.
Amélie Rossier, collaboratrice scientifique à la HETS-FR et coautrice de l’étude, pointe que « l’implantation constitue une réponse médicale qui ne recouvre pas entièrement la dimension sociale de ce handicap ». Le monde médical aura tendance à croire que la pose d’implants va résoudre tous les problèmes, mais ce n’est pas le cas : « Notamment parce qu’il y aura toujours des moments où l’enfant ne pourra pas les garder (pour la partie externe, ndlr), comme lorsqu’il est à la piscine ou en cas d’otite, ajoute Geneviève Piérart. Par ailleurs, cet outil nécessite tout un travail d’éducation au niveau logopédique. Les parents doivent en être conscients. » Les implants peuvent aussi rendre la surdité moins visible en orientant l’enfant sourd vers une éducation basée sur l’oralisation, plutôt que vers la langue des signes. Selon les témoignages recueillis durant l’enquête, il est ressorti que la majorité des parents estime ne pas avoir été assez informée et soutenue lors de la prise de décision quant aux implants. Ils considèrent qu’ils auraient eu besoin d’en savoir plus sur les différents dispositifs d’appareillage, leurs effets et les démarches pour les obtenir. Les parents sourds ou malentendants dénoncent, de leur côté, l’insistance du corps médical sur le sujet, lorsqu’ils refusent l’implant pour leur enfant. Ils confient se sentir souvent peu reconnus dans leur expertise de la surdité.
Le choix du mode de communication politisé
Il s’avère aussi compliqué pour les parents de s’adresser aux associations dédiées à la surdité afin d’obtenir des informations. Elles ne défendent en effet pas toutes la même posture en ce qui concerne la solution à adopter. « On a d’un côté celles qui défendent la langue des signes, comme la Fédération suisse des sourds, et de l’autre celles qui prônent la langue parlée complétée (soit un ensemble de signes visuels qui complète la lecture labiale, ndlr) comme A Capella », observe Luana Ferracin, directrice du centre Les Chemain’S. Loin de n’être qu’une décision personnelle, cette question se révèle hautement politique : « La Fédération suisse des sourds a un positionnement militant fort, décrit Geneviève Piérart. Ses membres défendent l’identité sourde, sa culture et donc la langue des signes. De fait, interpellés, ils n’auront pas forcément un avis neutre et objectif sur la question. »
Les tensions entre ces conceptions de la surdité et des modes de communication à privilégier prétéritent les parents dans leur quête d’informations. C’est pourquoi l’équipe de recherche a souligné « l’importance d’une information neutre aux parents de la part des professionnel·les afin de favoriser des choix qui ne soient pas tributaires des idéologies sur la surdité ». Un projet de guide à l’intention des parents a été proposé avant d’être abandonné récemment : « Il y a tellement de conflits et d’enjeux entre les tenants des implants et les tenants de la langue des signes que nous n’avons pas réussi à travailler ensemble », regrette Geneviève Piérart. L’intensité de ces oppositions est liée à leur longue histoire : « À la fin du XIXe siècle, un mouvement eugéniste a conduit à l’interdiction pour les personnes sourdes d’utiliser la langue des signes, poursuit Geneviève Piérart. En réponse à cette restriction, les années 1950 et 1960 ont marqué un réveil identitaire, durant lequel les personnes sourdes ont commencé à revendiquer leur droit à communiquer selon leurs propres modalités. » Dans les faits, aujourd’hui, le français oral est privilégié par la majorité des familles de parents entendants, tandis que du côté des parents sourds, la langue signée est souvent choisie comme la langue de la famille.
Une prise en charge insuffisante à l’école
Une autre difficulté à laquelle sont confrontés les parents est celle du suivi éducatif de leur enfant. En effet, lors de la scolarisation, c’est souvent le lieu de vie de la famille qui sera déterminant. « En Suisse romande, il n’y a que deux écoles spécialisées en surdité. Si l’enfant ne vit pas dans un de ces cantons (Fribourg et Genève), il pourra difficilement accéder à ce type d’établissement », note Amélie Rossier. Du côté de l’école inclusive, prônée dans tous les cantons, les retours du terrain soulignent une prise en charge insuffisante, en lien avec des difficultés à accéder à des prestations d’intervenant·es spécialisés dans le domaine de la surdité. « De nombreux parents signalent qu’ils ont dû se battre pour obtenir ces aides, rapporte Amélie Rossier. Certains enfants souffrent de solitude dans les classes ordinaires. Ils n’ont souvent que quelques prestations par semaine. Le reste du temps, ils doivent se débrouiller. » Si des défis communs se présentent à tous les parents d’enfants malentendants, que ces derniers le soient également ou pas, ils ne sont cependant pas tous égaux face à ce handicap. « Les ressources psychologiques et sociales des parents ont leur importance, indique Luana Ferracin. Elles leur permettent de s’investir pour défendre les droits de leur enfant ou de batailler pour accéder à une prestation. » Face à ces difficultés, la directrice du centre Les Chemain’S tient à rappeler le message d’espoir qu’elle communique aux parents qu’elle rencontre : « On fait toujours le mieux possible avec les connaissances et les moyens qu’on a. Certes, ce handicap fait peur, mais il faut faire confiance à ces enfants : ils ont leurs propres capacités de résilience. »
Trois questions à Hadja a Marca-Kaba
Hadja a Marca-Kaba, éducatrice spécialisée, vit avec une surdité profonde de naissance. Elle a lancé le projet Franchir le mur du son, en collaboration avec la Haute école de travail social et de la santé Lausanne – HETSL – HES-SO, pour développer une plateforme numérique soutenant l’emploi des personnes en situation de déficience auditive.
Quel a été le déclic pour la création de cette plateforme ?
HMK J’ai longtemps été confrontée à la problématique de la discrimination à l’embauche. Malgré mon diplôme d’éducatrice spécialisée, j’ai eu beaucoup de difficultés à trouver un emploi. Quand on a une déficience auditive, cela se transforme vite en parcours du combattant.
Quelles sont les difficultés typiques rencontrées par les personnes sourdes ou malentendantes dans leur recherche d’emploi ?
La méconnaissance de ce handicap a tendance à susciter beaucoup de craintes du côté des employeurs. Ils imaginent que travailler avec une personne ayant une perte d’audition sera forcément compliqué. Qu’il faudra prendre plus de temps pour la former à l’interne, que la communication ne sera pas fluide et que l’entreprise perdra en efficacité. De fait, il leur apparaît souvent plus simple d’engager une personne dite « valide ».
Comment votre plateforme peut-elle faciliter l’embauche de personnes en situation de déficience auditive ?
Cette plateforme sera ouverte à la fois aux personnes en recherche d’emploi et aux employeurs potentiels. Elle fournira à ceux-ci l’opportunité d’accéder à des informations claires sur ce handicap, leur permettant ainsi de dépasser leurs préjugés. Ils y trouveront également le témoignage d’employeurs qui ont franchi le pas et ne l’ont pas regretté. Les recruteurs n’en sont pas conscients, mais les personnes souffrant de déficience auditive possèdent leurs propres atouts : elles vont moins se laisser déconcentrer par les bruits ambiants et conversations avoisinantes et sauront fournir une attention soutenue.