Au travail, la musique rend-elle plus motivé, plus performant? L’adage dit qu’elle adoucit les mœurs. Et les neurosciences qu’elle libère, dans notre cerveau, de la dopamine. Qu’en est-il? Une recherche a souhaité le découvrir, en organisant des concerts dans l’open space d’une banque.
TEXTE | Muriel Sudano
Une vitre cassée. Des clefs oubliées. Un moment d’échange autour d’un piano à queue. Il n’en fallait pas moins pour donner naissance au projet de recherche appliquée Ondée musicale, mené à la Haute école de Musique de Lausanne – HEMU – HES-SO par Catherine Imseng Ruscito. Son objectif: offrir une série de mini-concerts de musique classique sur un lieu de travail et évaluer son impact sur les employés. La professeure de musique réfléchit depuis longtemps à l’impact de la musique en live sur les êtres, à la façon dont elle porte les émotions ou favorise l’aptitude à apprendre. Et puis, ce qui la passionne le plus, ce sont sans doute les moments de partage autour de la musique. Alors, quand deux malheureux ouvriers venus réparer sa fenêtre se retrouvent coincés derrière sa porte le temps qu’elle remette la main sur ses clefs, c’est naturellement qu’elle leur propose un petit concert dans son salon en guise de dédommagement. «J’ai eu envie de réitérer cette expérience et d’amener la musique classique hors des salles de concert, confie-t-elle. De l’offrir et de la faire découvrir à un public qui n’en a pas l’habitude.»
C’est dans l’open space de la Banque alternative, dans le quartier du Flon à Lausanne, qu’a eu lieu cette recherche. Durant six mois, 29 étudiants – violonistes, violoncellistes, harpistes, flûtistes, joueurs de hautbois ou encore chanteurs d’opéra – se sont succédés pour partager quelques pages de leur répertoire, lors de 20 concerts de six minutes. Autant de parenthèses musicales au sein de la banque. Comment ont réagi les employés?
Musique, bien-être et productivité
Les neurosciences montrent que la musique stimule la production d’hormones dans notre cerveau, à commencer par la dopamine, un neurotransmetteur qui augmente l’endurance, mais également la sécrétion accrue de cortisol, l’hormone du stress, si on ressent de l’aversion pour la musique à laquelle on est exposé. Dans ce contexte, les préférences personnelles se révèlent très importantes. C’est ce que précise d’ailleurs Clara James, professeure et responsable de la coordination de la recherche à la Haute école de santé de Genève – HedS – HES-SO: «En gros, une musique bien-aimée, surtout pratiquée, mais aussi écoutée avec attention, active le système de récompense dans le cerveau, tout comme c’est le cas dans d’autres situations biologiques, telles que la consommation de nourriture ou les activités sexuelles. En outre, le rythme agit sur une partie de notre cerveau, qu’on appelle les ganglions de la base. Il peut ainsi renforcer et améliorer l’effort physique ou mental. Dans le cas d’un travail épuisant, la sécrétion d’analgésiques endogènes, provoquée par l’activité musicale, peut diminuer les douleurs ou l’épuisement.»
Catherine Imseng Ruscito n’entendait pas faire une étude sur la productivité à proprement parler. Elle s’est plutôt intéressée au bien-être que des interventions de musique en live peuvent procurer sur un lieu de travail, ainsi qu’à l’impact de ces instants musicaux sur la présence des employés et les échanges interpersonnels. Des questionnaires d’évaluation, avant et après l’expérience, ainsi que des entretiens individuels, ont permis de collecter des données sur ces aspects et ainsi apporter une réponse aux questions posées.
Un cadeau unanimement bien reçu
Certains employés ont changé leur agenda pour ne pas manquer ces rendez-vous musicaux, d’autres ont relativisé leur importance. Tous disent avoir apprécié ces pauses hors du commun. «C’était, certes, un moment programmé dans la semaine, commente Catherine Imseng Ruscito. Mais aussi, à chaque fois, la surprise de découvrir les musiciens, les instruments et les pièces jouées.» S’il a été difficile d’évaluer l’effet de cette expérience au niveau de leur bien-être, plusieurs employés ont relevé un changement dans leur motivation à reprendre le travail après cet interlude. Le sentiment d’appartenance à l’entreprise a également été positivement impacté: ces petits concerts ont été perçus comme un cadeau original de l’employeur.
Pour Catherine Imseng Ruscito, la dimension du live a joué un rôle important. Elle souligne l’importance de l’humain dans cette expérience. «Les employés ont été touchés par le fait que de jeunes musiciens viennent leur faire ce cadeau, se réjouit-elle. Et de découvrir, en vrai, un trombone, c’est quelque chose aussi!» Quant aux neurosciences, elles confirment l’importance de la musique en live par rapport à une écoute individuelle plus passive: «Le sentiment du bonding s’ajoute, commente Clara James. Vivre la musique en direct et en groupe augmente son effet. Il ne faut pas oublier que le berceau de la musicalité humaine était constitué de manifestations autour de situations festives, lors d’obsèques, de guerres ou de catastrophes naturelles.» A cet égard, les manifestations de solidarité musicale durant la pandémie de Covid-19 ne sont pas étonnantes.
Une expérience à poursuivre
Projet pilote, Ondée musicale va se poursuivre dans trois nouvelles entreprises lausannoises, sous le nom de Musicdrops@work. Ce dernier sera mené sous la direction d’Angelika Güsewell, directrice de la recherche à l’HEMU, et grâce à un financement du Fonds national suisse. Catherine Imseng Ruscito s’en réjouit: «C’est un projet pédagogique, aussi bien pour le public, à qui l’on fait découvrir la musique classique et le métier de musicien, que pour les étudiants appelés à s’adapter à des audiences inhabituelles dans des entreprises et des lieux très différents. Ça va être passionnant!» Une partition à suivre, donc…
Illustration: en 2017, un concert particulier dans un centre commercial de Berlin. Il s’agit du concept Symphonic Mob qui réunit 1’300 musiciens, professionnels ou amateurs passionnés de tous âges et horizons musicaux. ©Adrian Schulz