La géologue Anne Sauron considère que la préparation aux tremblements de terre est capitale. Dans ce domaine, la Suisse fait plutôt figure de mauvaise élève par rapport à d’autres pays.
TEXTE | Lionel Pousaz
A Sion, le Centre de compétence pédagogique prévention séisme (CPPS) propose au public d’éprouver physiquement un tremblement de terre avec le plus grand simulateur pédagogique d’Europe. Conçu par la HES-SO Valais-Wallis, sous mandat du Canton du Valais, il offre une formation pour mieux comprendre, se préparer et réagir. Sa fondatrice, la géophysicienne Anne Sauron, professeure à la HES-SO Valais-Wallis – Haute École d’Ingénierie – HEI, explique que la Suisse est une région sismique qui s’ignore trop souvent.
Il y a plusieurs zones sismiques en Suisse. Mais la fréquence des tremblements de terre reste sans commune mesure avec celle du Japon ou de l’Indonésie. Les gens ont-ils conscience des risques ?
En Suisse, on compte une moyenne d’un tremblement de terre d’une magnitude supérieure à six par siècle. Un siècle, à l’échelle humaine, cela représente plus de temps qu’une vie ! Mais il est certain qu’il y aura d’autres séismes importants à l’avenir dans le pays. L’aléa sismique est lié à la collision des plaques africaine et européenne, qui se déroule très lentement, depuis plusieurs millions d’années, et continuera de se dérouler pendant plusieurs millions d’années. Cela dit, il est vrai qu’en termes de prévention, on ne peut pas communiquer et prévenir de la même manière qu’au Japon, où la population subit régulièrement de forts tremblements de terre.
La différence de temporalité change-t-elle l’approche de prévention ?
Les Japonais·es doivent surtout savoir comment réagir en pratique parce que, dans tous les cas, ils sont certains de traverser des tremblements de terre importants dans leur vie. Ils sont aussi presque certains d’en faire l’expérience dans des bâtiments extrêmement bien construits du point de vue sismique. Lors du tremblement de terre de la côte Pacifique du Tōhoku le 11 mars 2011, qui affichait une magnitude de neuf, c’est le tsunami qui a provoqué plus de 90% des victimes. S’il n’y avait eu que le séisme, quasiment tout le monde aurait été épargné. En Suisse, nous partons d’une autre histoire. Nos bâtiments sont souvent mal construits, la plupart du temps à cause de l’inexistence de prescriptions sismiques au moment de leur construction.
Les normes sismiques de la construction, c’est le point faible de la Suisse ?
Pas seulement. Quand on parle de tremblement de terre, on pense généralement à un événement unique. En Valais, on se souvient surtout du dernier séisme important, datant du 25 janvier 1946. Son épicentre était situé dans la région du Wildhorn. On oublie que, cette même année, il y a eu quatre tremblements de terre d’une intensité supérieure à cinq, ainsi que 517 « petits ». Du point de vue de la construction, une maison en brique peut tenir debout après avoir été secouée par des ondes sismiques. Mais elle peut se fissurer et finir gravement endommagée si elle subit ensuite une série de secousses secondaires. La géologie du Valais accentue ce problème. Une grande partie du canton consiste en une vallée encaissée, avec en son centre le Rhône qui a déposé au cours du temps des couches de sédiments qui peuvent varier de 400 à 1000 mètres d’épaisseur. Dans cet environnement particulier, la modification de l’amplitude et de la durée des ondes sismiques peut aggraver les répercussions sur les bâtiments. Les sédiments peuvent également perdre leur cohésion lors d’un séisme s’ils sont gorgés d’eau. C’est ce qu’on appelle le phénomène de liquéfaction : les voitures et même les maisons s’enfoncent dans le sol. Un cas d’école illustrant ce phénomène est le tremblement de terre de Christchurch, qui a eu lieu le 21 février 2011 en Nouvelle-Zélande. Le canton du Valais présente aussi de nombreuses caractéristiques géologiques à l’origine d’autres risques secondaires, comme les éboulements de terrain.
Vous êtes à l’origine de la création du CPPS. Comment avez-vous convaincu les autorités locales de la pertinence de votre projet ?
L’intérêt de notre démarche est clair. La plupart des études montrent que si la population est préparée, le nombre de victimes peut baisser d’environ 30%. Le problème du canton du Valais est le temps de récurrence entre deux séismes importants. Il peut fluctuer sur une période de cent ans, d’où l’aspect fondamental de la prévention. Supposons que le tremblement de terre frappe à trois heures du matin, vous sortez de chez vous en courant, votre maison est aux trois quarts détruite. Les personnes bien préparées auront à leur disposition un kit de survie, une trousse médicale facilement accessible. Elles seront en mesure de s’entraider, de s’organiser. Cette autonomie les aidera à protéger leur famille et à faire en sorte qu’il y ait le moins de blessés et de morts possible.
La population suisse est-elle suffisamment sensibilisée ?
Nous y travaillons avec une approche spécifique. Nous souhaitons faire comprendre comment la Terre s’est formée, pourquoi des tremblements de terre se produisent, comment estimer la magnitude, comment il faut construire les bâtiments. Au Japon, où les séismes sont fréquents, il existe de nombreux centres d’entraînement, mais on y apprend surtout à réagir en cas de séisme. Par exemple, les écolières et les écoliers apprennent à se mettre en sécurité sous leur bureau.
Pourquoi ce parti pris pédagogique ?
Pour apprendre, vous devez vous engager dans une démarche, et pour vous engager, il faut un moteur. Dans notre centre, le moteur, c’est la compréhension du phénomène. Les gens aiment apprendre, ils apprécient de mieux saisir un problème. C’est pourquoi le premier module est dédié à la compréhension au travers d’expériences ludiques et interactives. Par exemple, les élèves apprennent à faire le calcul pour évaluer la magnitude d’un tremblement de terre, sur la base d’un jeu interactif. Le second module permet de vivre, de ressentir un séisme. Il s’agit également de se préparer pour les exercices de mise en sécurité, par exemple quand on se met en position de protection sous une table pour se prémunir des bris des vitres qui explosent, des faux plafonds qui tombent et des objets projetés. Enfin, le dernier module est consacré à l’apprentissage des premiers secours.
Que nous reste-t-il à faire en attendant le prochain grand séisme ?
De manière générale, pour prévenir les risques, il faut vérifier que son habitat est sécurisé, qu’il est construit selon les normes parasismiques. Il s’agit aussi de préparer un kit de survie et un plan de regroupement familial pour se retrouver et s’entraider. Le plus important, dans la préparation, c’est d’être le plus autonome possible le jour J. C’est la manière la plus efficace pour être en mesure de s’entraider. Moins de dommages humains seront à déplorer, plus vite le canton pourra commencer sa reconstruction.