Les créations visuelles de la jeune artiste suisse Zoé Aubry explorent l’autorité, l’obéissance et la résistance. Son travail mêle images fixes et en mouvement, collages, textes ou encore réappropriation d’archives.
TEXTE | Matthieu Ruf
L’invisibilité de la pression sociale, le féminisme, les symboles et les visages du politique représentent autant de thématiques qui préoccupent l’artiste visuelle Zoé Aubry. Originaire d’une famille jurassienne, elle a grandi à Vevey et est désormais basée à Genève. à 26 ans, elle y complète sa formation par un Master en pratiques artistiques contemporaines à la Haute école d’art et de design – HEAD – Genève, après un Bachelor en photographie à l’ECAL/école cantonale d’art de Lausanne – HES-SO. Mêlant images fixes et en mouvement, collages, textes, réappropriation d’archives et de témoignages, ainsi que des processus chimiques, son travail incite à une réflexion sur les formes multiples de l’autorité.
Zoé Aubry, qu’est-ce que l’autorité pour vous?
Quelque chose de vertical, de non circulaire, que je m’attelle à déconstruire.
Votre projet le plus évidemment en lien avec l’autorité est Arrière (2017), une série de collages d’affiches altérées de la campagne électorale de la présidentielle française de 2017.
Oui, pour moi, c’est une sorte de prémice des «gilets jaunes»: inverser le rapport de pouvoir, repenser l’autorité depuis le peuple, c’est exactement ce qui se passait sur ces images, mais de façon visuelle. Face à des affiches qui cherchent à affirmer l’autorité d’un homme ou d’une femme politiques, le geste citoyen altère en particulier les yeux et la bouche, comme pour dire: je ne veux pas entendre ce que tu as à me dire, je ne veux pas que tu me regardes. C’est cette prise de position qui m’a intéressée.
Que peut faire l’art face à l’autorité politique?
Je pense que l’art peut beaucoup. Ma prochaine exposition, Noms inconnus, traite des féminicides sur le territoire français. On y voit des femmes, mais aussi des policiers en intervention. Il était important pour moi que le processus d’altération que j’ai appliqué à ces photos – une façon de réactiver les atrocités commises – touche autant les seconds, représentants de l’autorité, que les premières. Car les pouvoirs publics ont un rôle à jouer: dans d’autres pays, ils ont pris des mesures qui ont permis de faire baisser drastiquement le taux de meurtres conjugaux. Dans ce cas, l’art permet de donner une visibilité à une thématique qui me concerne.
En tant que femme artiste, vous sentez-vous faire partie d’un mouvement de résistance contre l’autorité masculine?
Complètement. Cela dit, mon art est politique, mais il doit aller de pair avec un engagement quotidien, à mon échelle, sinon ce serait de l’instrumentalisation. Je participe à des rencontres d’étudiantes pour repenser la formation dans les hautes écoles et ses références, principalement masculines. Plus généralement, le milieu artistique n’est pas plus avancé que d’autres, au contraire. Il y a une majorité d’étudiantes femmes dans les écoles d’art, pourtant les galeries et les institutions muséales représentent surtout des artistes masculins.
Votre projet Impact, en quête de révolution traite du combat autonomiste jurassien, dans lequel votre famille était impliquée. Quelle place vos origines ont-elles eue dans votre rapport à l’autorité?
Ce que m’ont transmis ma mère et mon grand-père, qui se sont battus avec des pavés pour l’autonomie du Jura, c’est la conscience de notre capacité d’agir et des résultats que ça peut engendrer! La lutte contre l’autorité a toujours été présente dans mon éducation. J’ai été élevée dans une famille très matriarcale et dans une école Montessori, où les élèves ont une grande liberté. Paradoxalement, malgré ces possibilités qu’on m’a données de m’en affranchir, je me suis toujours facilement soumise à l’autorité… Je la déconstruis donc maintenant, notamment par mon travail artistique. Pour moi, il ne s’agit pas de l’abolir, mais de changer sa répartition et son utilisation.
Vous avez remporté le Swiss Design Award, octroyé par la Confédération. Une artiste, pour exister et avoir un public, doit-elle chercher la validation de certaines autorités (commissions, jurys, collègues influents)?
Oui, et il y a là une grande ambivalence par rapport à la liberté qu’on recherche en tant qu’artiste. Je pense que tout être humain a besoin de validation, et encore plus dans ce métier où l’on se met à nu. Un prix ouvre des portes et donne une certaine légitimité. Ce qui est très problématique, c’est que la quête de validation auprès de ces autorités provoque une compétition et un individualisme qui font complètement partie du milieu artistique, mais qui ne sont pas, j’en suis convaincue, de bonnes manières de faire de l’art.