La simulation a pris une grande importance dans la formation des soignants. Alors que certains étudiants passent désormais l’équivalent de 10% de leurs stages en simulation, cette tendance va-t-elle croître à l’avenir?
TEXTE | Geneviève Ruiz
ILLUSTRATION | Pawel Jonca
Les espaces dédiés à la simulation se sont multipliés dans les hautes écoles de santé romandes depuis une dizaine d’années. On y reproduit des laboratoires, des unités hospitalières ou encore des appartements pour les soins à domicile. Les objets dérivés des nouvelles technologies, tels les mannequins haute-fidélité, sont les dispositifs qui attirent le plus l’attention. Ils sont capables de respirer, de saigner, de transpirer. Ils peuvent accoucher, reconnaître des médicaments. À côté, on trouve des outils de réalité virtuelle grâce auxquels les futurs professionnel·les de santé répètent des gestes comme les transfusions sanguines. Sans parler des serious games qui permettent d’entraîner des compétences aussi bien techniques que relationnelles.
«Ces dispositifs sont devenus un must have, on ne peut tout simplement plus s’en passer», souligne Donald Glowinski, vicedoyen à la Simulation à l’Institut et Haute École de la Santé La Source à Lausanne – HES-SO. Cet engouement s’explique notamment par le manque de places de stages. La simulation représenterait ainsi une alternative permettant aux étudiant·es de se confronter à la pratique. Son succès provient aussi de l’idée qu’elle permet de réduire les risques et d’améliorer la sécurité, selon l’exigence éthique «Jamais la première fois sur le patient·e».
La simulation s’apparente à une prédiction
Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on simule? «La simulation peut s’apparenter à une prédiction, précise Donald Glowinski. On souhaite anticiper les situations auxquelles seront confrontés les apprenant·es et les préparer pour leur avenir professionnel. Parfois, il s’agit de scénariser des situations qui n’existent pas encore, mais vers lesquelles on veut tendre. Je pense notamment à l’interprofessionnalité ou à des prises en charge particulièrement complexes.» Le but est aussi de préparer les étudiant ·es à la gestion de situations de crise peu courantes, auxquelles ils n’auront pas l’occasion de se confronter lors d’un stage. Pour Sylvain Boloré, maître d’enseignement à la Haute école de santé (HEdS-Genève) – HES-SO, la simulation prend appui sur une mise en situation pour la dépasser: «Je la considère avant tout comme une approche pédagogique. Elle permet de mobiliser des savoirs cognitifs et relationnels et de les combiner pour développer des compétences professionnelles».
Concrètement, une simulation débute toujours par un briefing lors duquel la formatrice ou le formateur précise le cadre, les objectifs et les rôles de chacun. Puis vient la simulation proprement dite, qui peut concerner d’innombrables situations: détresse respiratoire, accouchement difficile, annonce d’un diagnostic, consultation avec une personne démente, collaboration entre divers services ou professions… «Pratiquement tout peut être simulé, explique Sylvain Boloré. À part des incendies ou des tremblements de terre bien sûr. Mais même dans ces cas-là, on peut reproduire des conditions emblématiques pour faire vivre l’événement. On peut comparer l’exercice à une pièce de théâtre: la réalisatrice ou le réalisateur peut concevoir une scène avec plus ou moins d’objets et de détails.» La phase de simulation proprement dite dure rarement plus de quinze minutes. L’étape suivante, l’analyse, prend trois fois plus de temps. Il s’agit de tirer des enseignements de ce qui s’est passé.
Simuler comporte de nombreux avantages: les étudiant·es deviendraient plus efficaces et gagneraient en confiance. Les méthodes immersives permettent de retenir davantage d’informations que les cours magistraux. Actuellement, les étudiant·es des hautes écoles passent environ 10% de leur temps de pratique dans des ateliers de simulation. Ce pourcentage va-t-il augmenter, comme c’est le cas dans certaines écoles américaines, dans lesquelles les étudiant·es sont autorisés à consacrer 50% de leur temps de stage en simulation? La question de la place de la simulation dans les cursus et de savoir dans quelle mesure elle peut remplacer les stages fait encore débat en Suisse. Les connaissances quant aux effets concrets des formations immersives sur les compétences des apprenant·es et sur leur ressenti restent lacunaires.
Documenter les effets de l’immersion
C’est dans ce contexte qu’une équipe de la Haute École de Santé Vaud (HESAV) – HES-SO, composée notamment de Séverine Rey, maître d’enseignement, et de Céline Schnegg, adjointe scientifique, a lancé une étude portant sur l’expérience de la simulation immersive. Financée par le Fonds national suisse, elle débutera en 2023 et comprendra des enquêtes ethnographiques dans plusieurs institutions romandes. «Face au succès de la simulation, il est indispensable de se poser des questions et de documenter ses effets, considère Céline Schnegg. Pourquoi on simule? Qu’estce qu’on simule? Qu’en est-il de l’expérience des apprenant·es?» Pour la chercheure, la prudence s’impose: ce n’est pas la même chose de travailler avec un mannequin que dans un service. «Des études montrent qu’une première fois avec un ‹vrai› patient·e reste toujours une première fois. On aimerait tout simuler de la manière la plus réaliste possible. Mais on peut s’interroger sur la nécessité d’une telle ambition.»
Le postulat selon lequel une bonne simulation devrait être la plus réaliste possible est aussi remis en cause. En effet, paradoxalement, plus le mannequin est fidèle à la réalité, plus cela peut poser problème: «Ce phénomène s’appelle ‹la vallée de l’étrange›, précise Donald Glowinski. Lorsqu’un mannequin devient trop humain, il peut provoquer un sentiment d’étrangeté, voire de malaise.» Céline Schnegg corrobore: «Quand ils entrent en simulation, les étudiant·es hésitent parfois entre la terreur et le fou rire face aux mannequins. Il faut bien les préparer, sinon ils risquent de ne pas entrer dans le scénario.»
De manière générale, lors d’observations préliminaires, l’équipe de l’HESAV a observé que certains apprenant·es ont de la peine à entrer dans les scénarios. Alors que d’autres ont tendance à s’y surinvestir émotionnellement, au point de vivre beaucoup de stress. «Nous cherchons à comprendre ce qui motive ces différents profils et ce qu’ils ressentent. Nous nous interrogeons aussi sur la transférabilité des savoirs appris dans ces réalités artificielles. Qu’est-ce qu’on y apprend vraiment?»
Le fantasme d’un apprentissage entièrement virtuel
De son côté, Sylvain Boloré a mené une recherche pour évaluer les perceptions des participant·es suite à une simulation. «Il s’agissait d’une formation continue pour des soignant ·es de diverses professions. Durant la simulation, ils se sont retrouvés face à des situations de détérioration clinique de patient·es. Six semaines après ces immersions, les compétences perçues des participant·es en matière de sécurité des patient·es avaient crû de 10% et leur sentiment d’efficacité face à ce type de situations de 20%. Ce n’est pas négligeable. Néanmoins, cette évolution a eu tendance à diminuer douze semaines après la formation.» Conclusion du chercheur: les sessions de simulation doivent se répéter régulièrement pour être efficaces et être articulées avec d’autres types d’activités pédagogiques.
Si des interrogations subsistent quant aux modalités et aux effets de l’apprentissage immersif, les expert·es semblent d’accord sur leurs limites : «L’idée qu’on peut devenir infirmier·ère en s’entraînant avec un casque et une manette relève du fantasme, affirme Donald Glowinski. Ces dispositifs sont attrayants et ont encore beaucoup de potentiel à développer, mais ils ne pourront jamais remplacer des stages pratiques.» Céline Schnegg, de son côté, s’interroge: «Parfois, les étudiant·es peuvent se contenter de fils de pêche et de morceaux de tapis de yoga pour s’exercer aux points de suture. Ils n’ont pas toujours besoin de la reproduction parfaite d’un environnement hospitalier. Dans le domaine de la simulation, une perspective d’‹innovation frugale›, développée notamment par mes collègues Raquel Becerril et Pierre-André Favez à l’Unité d’enseignement par simulation, plus écologique et moins coûteuse, ne devrait-elle pas plus souvent être envisagée?» Sa recherche ethnographique, dont les résultats sont prévus d’ici à 2027, proposera certainement des réponses.
Simuler la vie biologique après la mort
Les techniques d’imagerie ont transformé la médecine légale. L’angiographie permet de réactiver la circulation sanguine, plaçant le corps dans une zone intemporelle.
Déterminer les causes de décès d’un corps pour faire émerger la vérité: les médecins légistes interviennent sur demande du Ministère public dans les cas d’homicides ou de morts suspectes. Depuis une vingtaine d’années, les techniques d’imagerie médicale ont transformé leur quotidien. Ils utilisent désormais le CT-scanner, l’angiographie et l’imagerie par résonance magnétique en complément de l’autopsie. Avec ces techniques, ils peuvent localiser des lésions invisibles à l’oeil nu, par le biais notamment de l’angiographie qui «réactive» le système cardiovasculaire grâce à une pompe. Cette réactivation permet de visualiser les lésions de manière dynamique. En rétablissant la circulation sanguine, l’angiographie place, d’une certaine manière, le corps à la frontière entre la vie et la mort, le passé et le futur, le réel et le virtuel.
Ce point a intéressé Céline Schnegg, Séverine Rey et Alejandro Dominguez, respectivement adjointe scientifique et maîtres d’enseignement à la Haute École de Santé Vaud (HESAV) HES-SO dans le cadre d’une étude ethnographique intitulée La Preuve par l’image? Analyse socio-anthropologique de l’expertise médicolégale à l’heure de l’imagerie forensique visant à saisir l’impact des nouvelles technologies sur les pratiques médico-légales. «Pour fascinante qu’elle soit, cette situation flottante entre la vie et la mort n’est pas thématisée par les médecins légistes, commente Céline Schnegg. Ils discutent le caractère révolutionnaire des techniques radiologiques surtout pour rappeler l’importance de l’attestation des lésions par l’oeil du légiste.» Sur le terrain, la chercheure a observé que les légistes utilisent l’imagerie pour préparer les autopsies, mais qu’il leur est impératif de vérifier sur le corps ce que les images ont révélé : «Si l’autopsie ne parvient pas à confirmer une lésion observée à l’écran, un doute va subsister. Les légistes se sentent très investis dans leur mission d’établir la vérité pour rendre justice au défunt·e. L’autopsie permet de mener des examens rigoureux, car ils peuvent toucher le corps. Aucune ‹simulation› ne peut changer cela.»