HEMISPHERES N°22 – Un monde en images et représentations // www.revuehemispheres.ch

Les logements protégés impactent-ils positivement le vieillissement?

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Le maintien à domicile des personnes âgées, notamment grâce aux logements protégés, se situe au coeur des politiques sociales et sanitaires du canton de Vaud. Une étude souligne les forces et les faiblesses de ce modèle d’habitat.

TEXTE | Muriel Sudano

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Cette illustration est tirée du livre Young-Old: Urban Utopias of an Aging Society, qui examine les mutations architecturales et urbaines contemporaines apparues avec le vieillissement de la population. Elle montre les agencements spatiaux temporaires formés par des caravanes appartenant à des retraités, en Floride. | © YOUNG-OLD, LARS MÜLLER PUSISHERS

Vivre et vieillir à la maison le plus longtemps possible. Qui ne le souhaite pas? Alternatives à l’EMS lorsque la santé se dégrade, les logements protégés (LP) tentent de répondre à ce souhait, en préservant l’autonomie et l’intégration des aînées et des aînés dans la société grâce à des appartements adaptés, situés à proximité des commerces et des transports publics. Dans le canton de Vaud, où ce modèle d’habitat constitue l’un des piliers de la politique médico-sociale en faveur des seniors, l’offre est en pleine expansion depuis une dizaine d’années. Ces logements répondent-ils à leur objectif ? Permettent-ils de retarder l’entrée en EMS? Une étude, menée à l’Institut et Haute École de la Santé La Source – HES-SO sur mandat de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) du canton de Vaud, souligne les forces et les faiblesses de ce dispositif.

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La Costa del Sol, située dans la province de Malaga en Andalousie, représente un paradis pour nombre de retraités des pays nordiques. Cette image révèle un maillage territorial qui suit des parcours de golf, loisir prisé des retraités. | © YOUNG-OLD, LARS MÜLLER PUSISHERS

«Notre enquête a été menée auprès de plus de 1’000 Vaudoises et Vaudois de plus de 65 ans – la moitié vivant en LP, l’autre pas –, indique en préambule Marion Droz Mendelzweig, professeure à La Source et coresponsable de la recherche. Elle confirme que la question du logement n’est pas indépendante de celle de la santé, c’est d’ailleurs souvent la première motivation pour déménager. L’efficacité des LP est reconnue par les locataires, qui ont le sentiment de retarder leur entrée en EMS. Mais nous constatons que ce type d’habitat est peu connu par les personnes qui vivent encore dans un logement ordinaire.»

Des logements associés à des lieux médicalisés

Les LP sont encore fréquemment assimilés à des lieux médicalisés, au grand regret de Maria-Grazia Bedin, également professeure à La Source et coresponsable de la recherche. Avec sa collègue, elles constatent que le locataire type est une femme seule de 81 ans à la santé fragile (44% des locataires en LP recourent aux centres médico-sociaux (CMS), contre 29% de leurs pairs en logements ordinaires). Cette vision négative prétérite la transition résidentielle. Malgré la conscience du besoin, plus ou moins immédiat, de disposer d’un appartement plus adapté, le pas reste difficile à franchir. Le terme «protégés» est vécu comme stigmatisant. D’autre cantons, comme celui de Neuchâtel lui préfèrent d’ailleurs la dénomination «Appartement avec encadrement». Pour les deux chercheuses, une meilleure information sur ce modèle d’habitat s’avère indispensable. «Un tiraillement s’opère chez les personnes en processus de fragilisation, constate Maria-Grazia Bedin. Malgré une représentation des risques, les intentions de déménager sont faibles chez les gens très âgés. Il est donc important de mieux accompagner la prise de décision.» Le logement représente une question extrêmement identitaire. «Le chez-soi est une conjonction d’imaginaire et de biens matériels, complète Marion Droz-Mendelzweig. Déménager implique un renoncement à un logement où les souvenirs pèsent plus dans la balance que les mètres carrés abandonnés.» Maria- Grazia Bedin souligne néanmoins que «celles et ceux qui ont fait le pas estiment se sentir chez eux dans leur nouveau logement. Ce sont des locataires à part entière, autonomes et libres de participer ou non aux activités communautaires.»

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Pour comprendre si les logements protégés vaudois répondent à leurs objectifs, les chercheures Marion Droz- Mendelzweig et Maria-Grazia Bedin ont mené une enquête auprès de plus de 1’000 Vaudoises et Vaudois de plus de 65 ans. | © FRANÇOIS WAVRE, LUNDI13

Pour les deux expertes, il s’agit de penser le vieillissement dans une logique de continuité et de favoriser le déménagement en LP des «jeunes seniors». Les interactions sociales, la convivialité et les animations proposées par la référente sociale, un métier féminin pour sa grande majorité, comptent parmi les points positifs relevés par les locataires en LP. Sa présence est également rassurante. Valoriser davantage ce modèle d’habitat contribuerait à modifier l’image stéréotypée des LP dans l’opinion publique. Une plus grande mixité générationnelle et sociale favoriserait aussi l’entraide entre les locataires et renforcerait la cohésion. Des initiatives dans ce sens, comme la location de certains LP à des étudiant·es ou à des familles, sont déjà à relever.

Renforcer le rôle de la référente sociale Pour les chercheuses, la pièce maîtresse des LP est la référente sociale. Son rôle devrait être mieux formalisé pour que les aînés bénéficient pleinement de sa présence. Une professionnalisation s’avère toutefois nécessaire: harmonisation des profils et des cahiers des charges, formation continue pour traiter de situations complexes comme la fin de vie ou les problématiques psychiatriques. «Il faudrait aussi une meilleure collaboration entre le CMS et la référente sociale, qui peut observer des fluctuations au niveau de la santé d’une personne, relève encore Maria- Grazia Bedin. Si la DGCS prévoit un échange d’informations entre les deux parties, le système en place est parfois compliqué en raison du secret médical.» Le taux d’engagement de la référente est aussi un élément à améliorer. Lors des entretiens, le manque de présence de cette personne a plusieurs fois été relevé. «Ce sont des emplois à temps partiel dont il faudrait augmenter le taux, indique Marion Droz-Mendelzweig. Pour éviter que cela ne se reporte sur le loyer, le mode de financement du poste serait à reconsidérer.» Si les auteures de la recherche concluent que le modèle LP a un impact positif en termes de santé communautaire, il serait aussi important, selon elles, de travailler la question de façon interdisciplinaire. Notamment pour améliorer l’accessibilité des LP en termes financiers.