De nombreuses personnes souhaitent orienter leurs projets professionnels en lien avec la durabilité. De leur côté, les entreprises se retrouvent face à la nécessité d’innover de façon responsable. Clotilde Jenny, adjointe scientifique du domaine de compétences Ressources humaines et Développement organisationnel de la Haute École de Gestion et d’Ingénierie du Canton de Vaud – HEIG-VD – HES-SO, conçoit des outils pour les soutenir.

TEXTE | Geneviève Ruiz

HEMISPHERES N°22 – Un monde en images et représentations // www.revuehemispheres.ch
Selon Clotilde Jenny, le Manager environnemental se voit de plus en plus sollicité pour des missions stratégiques au sein des entreprises. | © HERVÉ HANNEN

Que signifie, pour une entreprise, une politique de management durable?
Selon la définition du Programme des Nations Unies pour l’environnement, le management durable tient compte de l’équité sociale, qui entraîne une amélioration du bien-être humain tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources. Lorsqu’une entreprise s’engage dans un tel processus, on parle de réorientation: il ne s’agit pas seulement d’une optimisation des modes de production, mais d’un changement radical dans les manières de produire.

Comment une entreprise peut-elle entamer ces changements?
Elle peut obtenir divers labels en lien avec la responsabilité sociale. Puis elle devra se focaliser sur son impact environnemental en réduisant ses déchets ou en utilisant rationnellement les ressources naturelles, voire en les réutilisant. Elle peut s’inspirer de concepts comme l’économie circulaire, l’écologie industrielle ou encore l’approche «zéro déchet».

Tous ces concepts ne relèvent-ils pas d’une utopie?
Non, ce n’est pas une utopie, mais une réalité à laquelle les entreprises doivent faire face! Les exigences environnementales sont en augmentation: je pense notamment aux législations de protection de l’environnement, aux normes ISO… En France, l’économie circulaire est entrée dans la législation en 2020, avec l’introduction d’un indice de réparabilité de certains équipements électriques et électroniques. Les entreprises doivent y répondre pour rester concurrentielles. Puis il y a aussi les attentes des clientes et des clients qui évoluent. Prenez le secteur des cosmétiques où la demande des consommatrices et des consommateurs pour une exemplarité environnementale est très forte. Face à cela, les entreprises ont entamé une transition qui s’étend à toutes les phases du cycle de vie du produit. Par ailleurs, la recherche montre que les organisations avec un management durable ont une identité plus forte sur le marché, aussi bien auprès des investisseuses et des investisseurs que des clients.

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La start-up zurichoise Mr. Green a fait de la gestion des déchets et de l’économie circulaire ses spécialités. Dans plusieurs villes alémaniques, elle propose des abonnements pour les privés et les entreprises qui peuvent ainsi jeter leurs déchets en vrac dans un sac que Mr. Green vient ramasser pour en trier méticuleusement le contenu. Dans la mégapole de Nairobi au Kenya, la start-up recycle plusieurs tonnes de plastique par jour et revend ce matériel à des producteurs locaux. | © MR. GREEN

Vos recherches montrent l’importance du rôle de «Manager environnemental» pour la transition…
Ce métier a beaucoup évolué ces dernières années. Il y a quinze ans, il s’agissait d’une fonction support dédiée à des activités de mise en conformité ou de certification. Aujourd’hui, la ou le Manager environnemental se voit de plus en plus sollicité sur des missions stratégiques, notamment en lien avec le développement des produits et le marketing. Il devient un acteur qui contribue à la création de valeur pour l’entreprise. Toutefois, sa position reste encore marginale par rapport à d’autres fonctions, comme la qualité ou la sécurité. Nos recherches ont montré une grande disparité des Managers environnementaux, tant en termes de ressources, de cahier des charges que d’intégration. Un besoin émerge de disposer d’un outil pour mieux appréhender le métier et ses bonnes pratiques, afin de le faire évoluer efficacement.

C’est précisément à partir du constat du manque de pouvoir des Managers environnementaux que vous avez lancé une formation continue?
Pas vraiment. Il s’agit plutôt d’offrir des outils aux professionnel·les qui cherchent à retrouver plus de sens dans leurs activités, en lien avec les valeurs et les outils pour une transition écologique, économique, sociétale… Il s’agit d’un Certificate of Advanced Studies (CAS) baptisé ECO2LIBRI, pour écologique, économique et libri, qui vient de liberté. Il s’adresse à celles et ceux qui souhaitent incarner le Manager porteur de plus de sens dans ses projets, ainsi qu’à toutes les entreprises qui s’engagent pour un changement durable dans leur manière de créer, produire, penser et agir. Les participantes et les participants intégreront différents outils leur permettant de travailler à une organisation motivante et résiliente, incarnant le changement durable.

La transition vers la durabilité passe-t-elle par une nouvelle quête de sens pour les entreprises?
Oui, et ce processus doit être incarné et crédible pour que chaque collaboratrice et collaborateur se sente engagé pour sa mise en oeuvre. Sinon, on risque de conserver le décalage entre les discours et les actes. Car on sait comment faire, mais on ne se mobilise pas encore suffisamment, en raison de la résistance au changement ou des fausses croyances. Alors nous proposons de faire comme le fameux colibri de la fable amérindienne: garder espoir et contribuer avec notre propre goutte d’eau à éteindre l’incendie de la Terre.