Une équipe de recherche a réalisé un panorama de l’enseignement des musiques actuelles pour les amatrices et les amateurs en Suisse romande. Il en ressort une grande diversité de sites et de genres, qui souffre parfois d’un manque de cohérence.
TEXTE | Jade Albasini
Enfant, ado ou adulte, nombreux sont celles et ceux qui pratiquent un instrument de musique sur leur temps de loisir, ou qui rêvent de chanter les tubes de leurs artistes préférés. Si on compte beaucoup de personnes passionnées de classique ou de jazz, l’engouement pour les musiques actuelles est de plus en plus palpable du côté du public romand, que l’on considère le nombre croissant de festivals dédiés ou celui de personnes jouant ce type de musique. Les musiques actuelles, ou MUA comme on les appelle dans le jargon, englobent le rock, les musiques afro-américaines comme le rap, les musiques électroniques ou encore les chansons de variété. Depuis vingt ans, les propositions d’enseignement de ces styles dans les écoles et conservatoires institutionnalisés se sont beaucoup développées en Suisse romande.
Par contre, la définition de cette famille protéiforme n’a pas encore trouvé de consensus sur le terrain. « À titre d’exemple, une école que nous avons interrogée disait ne pas enseigner les musiques actuelles », raconte Carole Christe, chercheuse à l’HEMU – Haute École de Musique – HES-SO et cosignataire de l’étude Elemana-Preprosuro : états des lieux de l’enseignement des musiques actuelles de niveau amateur à préprofessionnel en Suisse Romande. « Mais elle proposait un projet sur la création de bandes originales de films. Est-ce que cela entre dans notre échantillon ? Les opinions divergent. Nous avons opté pour le non. » Publiée en 2024 sous la direction du musicien et pédagogue François Vion, cette étude a ciblé les offres de cours dites de « loisir ». « Notre postulat était d’analyser le paysage romand en échangeant avec les directions, le corps enseignant et les différents services de la culture, précise Carole Christe. Il s’agissait de faire un point de situation fouillé des ressources existantes et de ce qu’il manque. À noter que nous n’avons pas questionné les élèves directement. Nous n’avions pas le temps nécessaire au vu de leur nombre. »
De nombreux sites d’enseignement
Parmi les données recueillies, certaines ont particulièrement retenu l’attention de l’équipe de recherche. À commencer par le chiffre de 191 sites d’enseignement des MUA recensés en Suisse romande. « Le nombre d’écoles et leur concentration dans certains cantons nous ont surpris, explique la sociologue. C’est notamment le cas de Neuchâtel, où la densité de lieux d’enseignement est remarquable au regard de la taille du territoire ou de sa population. »
Cette particularité s’explique en partie par l’ancrage historique des MUA dans la région, et plus particulièrement à La Chaux-de-Fonds, où la pratique s’est d’abord développée de manière informelle. Depuis vingt ans, le canton abrite d’ailleurs une école entièrement dédiée à ces musiques, La Boîte-à-Frap’ !. « Lors des entretiens, nous avons découvert que des élèves venaient spécialement pour suivre les cours d’un professeur de metal », relève Carole Christe, qui souligne aussi la diversité des apprentissages proposés.
Si la diversité des offres au sein des institutions est perçue comme positive, des inégalités dans le contenu des formations persistent néanmoins. « Pour les amatrices et les amateurs, il n’existe pas vraiment de politique culturelle liée à l’enseignement des MUA en Suisse, contrairement à la France où tout est centralisé par l’État, indique la chercheuse. Et comme il n’y a pas de ligne directrice cantonale ou fédérale, nous avons parfois constaté un manque de cohérence. Chez nos voisins, on trouve tout un dispositif de soutien, en termes de ressources financières et de visibilité, pour les jeunes artistes qui souhaiteraient passer à l’étape suivante. » L’uniformisation ne représente néanmoins pas forcément la solution : « Pour les profils loisirs, c’est important de conserver le plaisir. Mais il faut être vigilant pour les personnes qui choisissent de s’orienter vers une formation professionnalisante : la pluralité romande ne doit pas être excluante. » Carole Christe fait référence ici aux possibles disparités entre des élèves issus de régions périphériques, qui n’auraient pas les mêmes trajectoires pour la préparation des concours d’entrée que les musiciennes et musiciens formés dans les centres urbains.
En ce qui concerne l’HEMU, la répartition géographique des étudiantes et des étudiants en 2025 s’avère plutôt équilibrée. « La nouvelle volée en MUA est principalement composée d’élèves de l’École de Jazz et de Musique Actuelle (EJMA) à Lausanne, de l’École des Musiques Actuelles (eMa) à Genève, et de Ton sur Ton dans le canton de Neuchâtel, explique Yvan Jaquemet, adjoint de direction responsable des Musiques actuelles à l’HEMU. Mais nous comptons aussi des étudiantes et des étudiants qui n’ont pas suivi de parcours institutionnel, qu’il s’agisse d’écoles ou de conservatoires. » Il mentionne également la collaboration étroite entre les directions des institutions préprofessionnelles et des hautes écoles, qui oeuvrent ensemble pour créer des synergies et partager les nouvelles tendances du secteur.
Nouvelles aspirations et formation en ligne
Parmi ces tendances, l’étude dévoile notamment l’attrait grandissant pour les apprentissages du rap, du DJing, du beatboxing ainsi que pour la musique assistée par ordinateur (MAO). Mais dans les faits, ces filières ne sont encore pas assez répandues dans les enseignements loisirs : « Cette lacune est en lien avec la dévalorisation de ce type de musique par certaines personnes, explique répond Carole Christe. Celui-ci repose pourtant sur un ensemble de maîtrises et de compétences spécifiques. » Ce goût pour les sonorités électroniques trouve par contre un écho dans les formations professionnelles : « Il y a aujourd’hui une place en digital audio workstation réservée par volée dans nos classes, précise Yvan Jaquemet. Évidemment, quand on se lance dans ce type de spécialisation, c’est toujours important d’avoir des bases solides dans un instrument plus classique. » Le souhait des élèves de s’initier à l’improvisation est aussi ressorti durant les échanges avec les professeur·es. « Là aussi, les avis divergent quant aux possibilités d’un tel enseignement chez des amateurs, observe la chercheuse. Certains membres du corps enseignant considèrent qu’il s’agit d’une technique fondamentale à transmettre. Pour d’autres, il faut avoir atteint un niveau élevé avant d’y être initié. »

Un type d’enseignement qui n’a pas été analysé dans ce riche panorama est celui des cours en ligne. « Sur ce point, il faudrait une étude à part entière, considère Carole Christe. Nous avons récolté quelques témoignages de professeur·es qui mentionnent que leurs élèves ont parfois commencé en autodidacte sur internet. En général, c’est plutôt pour signaler qu’ils ont acquis de mauvais réflexes. » Ces sessions numériques peuvent-elles court-circuiter les propositions d’enseignements officielles ? Pour Yvan Jaquemet, « il y a de la concurrence avec les formations en ligne. Mais cela ne peut remplacer ni la présence d’expertes et d’experts avec un suivi personnalisé, ni le fait de jouer ensemble dans la même pièce. »
Au final, Elemana-Preprosuro relève aussi, parallèlement à la richesse de l’offre d’enseignement, combien les MUA sont vivantes et appréciées par le public et combien elles ont conquis une place de choix dans de nombreux lieux de diffusion et festivals en Suisse romande. Ce vivier pluriel de musiciens amateurs ou professionnels promet de grandir et de se développer. Et avec cette croissance, il est certain que de nouveaux styles et sous-groupes enrichiront encore cette gamme de productions musicales.

