HEMISPHERES no14 le stress des musiciens

Stress: les psychologues au secours des musiciens

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Les musiciens professionnels connaissent des moments angoissants durant leur carrière, lors de concerts ou de concours. Mais, contrairement aux sportifs d’élite, ils ne bénéficient pas d’un encadrement pour gérer leur trac. Des chercheurs développent des méthodes pour les aider.

TEXTE | Thomas Pfefferlé

Plus de 100 candidats surentraînés et seulement une ou deux minutes pour convaincre un jury d’experts. Telles sont les conditions habituelles dans lesquelles les jeunes musiciens issus des grandes écoles tentent leur chance pour intégrer un orchestre professionnel. La compétition est particulièrement forte, notamment en raison du peu de places disponibles. Et elles sont toujours plus rares, car les subventions diminuent et la concurrence internationale s’accroît entre les orchestres professionnels.

Un climat de pression intense

Dans ce climat de pression intense, la gestion du stress constitue un enjeu central pour les candidats virtuoses. Le trac canalisé contribue à améliorer la concentration et à donner un regain d’énergie. Mais il peut également, lorsqu’il prend des proportions trop importantes, générer des croyances négatives qui anéantissent en quelques secondes des mois d’efforts et de répétition. Pour y remédier, la Haute Ecole de Musique de Lausanne-HEMU – HES-SO s’est associée à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (UNIL). Objectif: proposer un accompagnement aux jeunes musiciens dans le but d’améliorer leur gestion du stress. S’il est encore peu proposé dans la musique, ce type de suivi s’avère déjà courant dans le monde du sport d’élite. Pourtant, qu’il s’agisse de se dépasser lors d’un effort physique en compétition ou de jouer son instrument à la perfection le jour J, la manière dont les croyances liées au stress influencent les performances se trouve être tout à fait comparable.

«Dans le monde de la musique, le trac re­présente un sujet paradoxal, précise Angelika Güsewell, professeure et responsable de la recherche au sein de la HEMU. Tout le monde est évidemment conscient de son existence et du problème qu’il peut poser. En même temps, personne n’ose véritablement en parler, ni avouer en être sujet.»

S’inspirant du coaching sportif, Angelika Güsewell a fait appel il y a deux ans à Roberta Antonini Philippe, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences du sport de l’UNIL. Une alliance intelligente qui permet d’offrir aux étudiants en musique la possibilité de participer à des cours de gestion du stress. Encore peu fréquentées, ces classes ont néanmoins été suivies par une dizaine d’étudiants depuis leur ouverture. Consciente de la problématique du stress depuis longtemps, la HEMU propose également depuis plusieurs années des sessions de simulation de concours d’orchestre. Avec ces nouveaux cours, l’institution compte non seulement aider les étudiants à canaliser leur trac mais aussi aller plus loin en abordant et explicitant enfin un sujet resté trop longtemps tabou.

«Les musiciens sont nombreux à associer des croyances négatives au trac qu’ils peuvent ressentir avant une échéance importante, relève Roberta Antonini Philippe. Dans ce sens, le stress perturbe la performance en faisant croire aux personnes concernées qu’elles vont mal jouer durant leur représentation. La psychologie vise justement à travailler sur ces croyances négatives pour les transformer et leur conférer une connotation positive.»

Visualiser, se parler et planifier

HEMISPHERES no14 le stress des musiciens
Le célèbre pianiste Vladimir Horowitz (1903-1989), ici au Carnegie Hall à New York en 1966, souffrait tellement du trac qu’il a cessé de donner des concerts à certaines périodes de sa vie. © Granger historical picture archive/alamy stock photo

Pour venir en aide aux musiciens, la chercheuse en psychologie propose d’explorer différentes techniques élaborées afin de travailler sur les mécanismes internes qui interviennent en situation de stress. Parmi elles, la visualisation. Le principe: revoir mentalement les bonnes performances atteintes auparavant et se focaliser sur les sensations positives que l’on a pu ressentir durant ces prestations réussies. «L’idée de cette technique, amplement utilisée par les sportifs de haut niveau, consiste à réactiver ces bons souvenirs et les sensations agréables qui les ont accompagnés pour se retrouver dans sa zone de confort», ajoute Roberta Antonini Philippe.

Autre technique sur laquelle travailler: le discours interne. Les pensées doivent être maîtrisées et orientées de manière positive si l’on veut maximiser ses performances. À la manière d’une critique dévalorisante émise par une autre personne, les pensées négatives vont perturber la prestation des artistes. Il s’agit dans cette optique de se parler intérieurement en soulignant ses aspects positifs ainsi que ses forces.

Enfin, toute bonne performance résulte aussi et surtout d’une préparation intelligem­ment planifiée. «Je constate souvent que les musiciens passent des heures à répéter sans s’être organisés au préalable, précise Roberta Antonini Philippe. Alors qu’une bonne préparation doit inclure des objectifs clairs, à atteindre progressivement. Ce n’est pas facile, surtout dans le cadre de la musique. La performance artistique n’est pas mesurable mais jugée subjectivement. Cette planification doit donc être élaborée en collaboration avec les enseignants.»

Des techniques héritées des sportifs

D’abord issues de la psychologie du travail développée aux États-Unis ainsi qu’au Canada il y a une vingtaine d’années, ces différentes techniques de gestion du stress sont aujourd’hui largement exploitées par les sportifs d’élite. Très à la mode, la psychologie constitue également un atout supplémentaire dont on ne se cache pas du tout lors des compétitions. Au contraire: dans la rivalité intense qui règne au sein du milieu sportif, un athlète coaché sur le plan psychologique est perçu par la concurrence comme étant meilleur.

«En musique, nous n’en sommes pas en­core là, note Roberta Antonini Philippe. Les musiciens qui se font coacher pour gérer la pression n’osent pas l’avouer. La plupart craignent en effet que cela ne soit vu comme une faiblesse. Mais à mes yeux, la psychologie est en train d’intégrer progressivement la sphère de la musique. Le coaching artistique devrait donc devenir courant durant ces prochaines années. Surtout que les techniques de gestion du stress issues de la psychologie du travail et du sport s’appliquent facilement à la musique. L’adaptation nécessaire réside dans la connaissance approfondie qu’il faut avoir du musicien et de son environnement.»

À noter que la Suisse se trouve à la traîne dans le domaine de la gestion du stress par rapport à ses voisins français, allemands et italiens. Et ce, déjà dans le domaine du sport: lors des derniers Jeux olympiques, les délégations mentionnées étaient accompagnées par de nombreux psychologues du sport, alors que la délégation helvétique n’en comptait qu’un seul.


«Devant ses futurs collègues, l’erreur n’est pas envisageable»

Natalia Urbanelli connaît bien l’influence du stress sur la per­formance musicale. Jouant du hautbois ainsi que du cor anglais, cette étudiante de Master au sein de la HEMU a déjà accompagné l’Orchestre Sinfonietta de Lausanne, l’Orchestre Symphonique de Bienne Soleure ainsi que le Bochumer Symphoniker en Allemagne. Son objectif: intégrer un orchestre pro­fessionnel pour vivre de sa passion une fois ses études terminées.

«Le hautbois et le cor anglais figurent parmi les instruments les plus complexes techniquement dans un orchestre, explique Natalia Urbanelli. Classifiés comme étant très difficiles, ils sont beaucoup utilisés pour les mélodies lyriques et nécessitent un travail intense et continu pour parvenir à en extraire un son propre. Outre le stress lié à la pratique de ces instruments, il faut également gérer le trac des représentations devant un public ou lors des concours d’orchestre. Mais à mes yeux, le plus stressant consiste à réussir un sans-faute devant les autres musiciens professionnels qui jouent au sein d’une troupe. Car devant ses futurs collègues, si l’on veut pouvoir intégrer définitivement l’orchestre, l’erreur n’est pas envisageable.»

Après avoir suivi les cours de gestion du stress proposés au sein de la HEMU, la jeune virtuose a pu développer des techniques qu’elle appliquait parfois déjà de manière spontanée. «Sans le savoir, j’utilisais la visualisation et le discours interne depuis plusieurs années. Ces cours m’ont permis d’être plus confiante quant à l’utilité de ces méthodes, tout en apprenant à les maîtriser et à les appliquer encore mieux.»