De plus en plus répandus, les produits ultra-transformés présentent un risque pour la santé, concluent plusieurs études. Décryptage avec la spécialiste Maaike Kruseman.
TEXTE | Sophie Gaitzsch
Pizzas congelées, soupes en sachet, plats thaïlandais ou indiens à réchauffer, céréales croustillantes pour le petit-déjeuner: les aliments ultra- transformés, ou AUT, ont envahi les supermarchés. II n’existe pas de chiffres pour la Suisse. Mais en France, ils constituent désormais 50% de l’offre des grandes surfaces. La recherche se penche depuis plusieurs années sur les effets que ces produits provoquent sur la santé. Le constat est sans appel: les AUT sont associés à de nombreuses maladies, dont le cancer, explique Maaike Kruseman, ancienne professeure associée de la Filière Nutrition et diététique de la Haute école de santé Genève – HEdS-GE – HES-SO.
Qu’est-ce qu’un aliment ultra-transformé ou AUT?
Maaike Kruseman: Il s’agit d’un aliment qui comporte plus de cinq ingrédients et qui a subi une transformation industrielle. Cette définition utilisée par la communauté scientifique est toutefois débattue car elle est peu nuancée. Au-delà de la longueur de la liste d’ingrédients, il convient de se demander si on les connaît. Les AUT contiennent souvent des additifs – conservateurs, colorants, épaississants, sucres transformés ou graisses modifiées – dont le consommateur n’a jamais entendu parler. L’aspect de l’aliment et sa durée de conservation constituent d’autres signaux. Il faut utiliser son bon sens.
On trouve donc différents degrés de transformation…
MK Oui. Certains AUT sont fabriqués de toutes pièces. Ils sont composés d’un mélange d’ingrédients moulés et formatés pour ressembler à un vrai aliment. Comme les nuggets de poulet, dont on sait qu’ils ne contiennent presque pas de viande. à l’autre bout du spectre, des biscuits à base de cinq ou six ingrédients que l’on pourrait trouver soi-même en magasin se situent à la limite de la définition.
Il faut par ailleurs se méfier des plats qui ressemblent à une préparation toute simple, réalisable à la maison. Car certains contiennent jusqu’à 25 composants lorsqu’ils sont précuisinés. C’est par exemple le cas des röstis. Les plats pré-cuisinés affichent une densité énergétique très élevée: 100 grammes de röstis, achetés sous vide en grande surface, contiennent beaucoup plus de calories que 100 grammes de röstis maison.
Quels sont les principaux procédés de transformation utilisés par l’industrie?
MK Le plus emblématique est l’extrusion, une technique qu’il est impossible de répliquer dans une cuisine privée. Elle consiste en quelque sorte à faire exploser l’ingrédient de base pour lui donner de la légèreté et le rendre croustillant. Elle est utilisée en particulier dans la fabrication de céréales pour le petit-déjeuner.
Comment expliquer le succès des AUT?
MK L’industrie agroalimentaire cherche à répondre aux besoins des consommateurs, à leur simplifier la vie. Le mode de vie moderne laisse moins de temps pour les courses et la préparation des repas. Les compétences culinaires ont baissé. Le gain de temps représente un argument de vente important, mais c’est parfois un leurre. De nombreux aliments pas ou peu transformés ne demandent pas de préparation particulière. Au goûter, préparer du pain avec quelques carrés de chocolat n’est pas plus chronophage que remplir un bol de céréales industrielles, mais bien plus sain.
Quels risques les AUT présentent-ils pour la santé?
MK De nombreuses études réalisées dans différents pays ont montré que leur consommation entraîne une augmentation de certaines pathologies comme les troubles digestifs, l’excès de poids, l’hypertension artérielle et les dyslipidémies, des dérèglements du taux de graisse dans le sang associés aux maladies cardiovasculaires. Ces recherches indiquent que les aliments riches en sel et en graisses hydrogénées ou saturées, mais aussi l’huile de palme – largement utilisée par l’industrie pour sa stabilité à la chaleur et au froid ainsi que son coût peu élevé – sont particulièrement nocifs.
Qu’en est-il du risque de cancer?
MK Le lien entre AUT et cancer, en particulier le cancer du sein, est maintenant avéré. L’année dernière, une étude menée en France par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale sur près de 105’000 participants a conclu qu’une hausse de 10% de la part d’AUT dans l’alimentation provoquait une augmentation de 12% du risque global de cancer. L’étude ne détermine pas avec exactitude quelles substances sont en cause, mais on soupçonne les additifs, ou plutôt certains cocktails d’additifs. Le problème avec les AUT, ce n’est pas seulement ce qu’ils contiennent, mais aussi ce qu’ils ne contiennent pas. Ils sont peu riches en fibres, en antioxydants, en vitamines et en minéraux. Or nous savons que ces nutriments ont un effet protecteur, notamment contre le cancer.
Quel conseil donnez-vous aux consommateurs?
MK Il faut privilégier le plus souvent possible les aliments les plus bruts. Cela ne signifie pas qu’il faut se nourrir exclusivement de légumes cultivés dans son potager. Si l’on souhaite gagner du temps, il existe des produits préparés par l’industrie mais peu altérés, comme les salades en sachet et les pommes de terre ou les betteraves précuites. Les aliments en boîte, par exemple les tomates ou les légumineuses, sont souvent très proches de l’aliment de base s’ils ne contiennent pas de sauce. C’est le cas également des légumes surgelés.
Pourquoi le goût des AUT plaît-il tant?
MK De nombreux biscuits, snacks ou desserts ont une composition qui leur donne de la palatabilité, soit une texture et une saveur qui poussent à se resservir. Cette palatabilité provient d’un bon rapport entre graisse, sel ou sucre et croustillant. Les neurobiologistes ont observé que cet équilibre activait le système de récompense dans le cerveau. Il s’agit donc d’aliments qui ne sont pas nécessairement consommés pour combler la sensation de faim, mais pour le plaisir qu’ils procurent. La force de la réaction lors de leur consommation varie fortement d’un individu à l’autre, un phénomène qui n’a pas encore été élucidé.
Les enfants sont-ils particulièrement à risque?
MK Les enfants et les adolescents d’aujourd’hui grandissent avec des produits qui n’existaient pas auparavant. L’éducation joue un rôle énorme. Il est difficile de donner des flocons d’avoine à un jeune qui mange des céréales croustillantes fourrées au chocolat au petit-déjeuner. Il faut par ailleurs se montrer vigilant. Ce n’est pas parce qu’un enfant n’a pas consommé de sucre les deux premières années de sa vie ou que sa cantine affiche le label «Fourchette verte» que tout est gagné. Il acquiert de nouvelles habitudes à chaque étape de son développement, et ce, jusqu’à l’âge adulte.
Quelles catégories de population sont les plus touchées?
MK Les études montrent que les AUT sont davantage consommés par les personnes situées plutôt en bas de l’échelle socio-économique. Elles manquent de connaissances sur les effets des AUT et se trouvent plus exposées au marketing de l’industrie agroalimentaire. Elles perçoivent souvent ces produits comme étant des produits de luxe, ce qui est loin d’être le cas.
Les AUT font l’objet d’une importante attention médiatique. Peut-on parler de prise de conscience?
MK Malheureusement, non. Le consommateur suisse est soumis à des injonctions contradictoires. L’industrie agroalimentaire fait la loi, le marché est saturé d’AUT et la publicité n’est pas régulée. Dans le même temps, on lui répète que les produits qu’on lui propose à longueur de journée sont nocifs. Pour changer les comportements de manière fondamentale et avoir un impact sur la santé publique, informer ne suffit pas.