Des bruits à étouffer ou à capter, des voix à rechercher ou qui apaisent, des sons à recréer ou avec lesquels s’amuser : telles sont les ambitions de cinq témoins, surfant avec aisance sur les vibrations sonores, entre pratiques artistiques et professionnelles.

TEXTE | Anne-Sylvie Sprenger
IMAGES | Hervé Annen


« J’ignorais tout de l’acoustique avant de créer ma start-up »

HEMISPHERES no28 A la recherche de ses sensations auditives Boris Heritier

Boris Héritier, 26 ans
Cofondateur de la start-up Texup, qui transforme les déchets textiles en solutions acoustiques, Sion

« Rester sur les bancs de l’école, ce n’était pas pour moi », confie Boris Héritier, jeune chef d’entreprise valaisan. Après un gymnase vécu péniblement, c’est sans regret qu’il renonce à un cursus à la Faculté des hautes études commerciales à Lausanne pour se rediriger vers la filière économie d’entreprise à la HES-SO Valais-Wallis à Sierre : « J’avais besoin d’action et d’aller me confronter au terrain. » Dans le cadre de cette formation, il développe avec un collègue la start-up Texup, qui crée des panneaux acoustiques à base de textile recyclé. « On est partis de la problématique des déchets textiles et de comment on pouvait leur donner une seconde vie », explique-t-il. Orienté solution, il creuse le sujet avec son camarade et découvre les propriétés phoniques que recèle ce matériau. Du jour au lendemain, il se met à explorer ce domaine dont il ignore tout. « Ce qui est passionnant dans la création de start-up, c’est de partir de zéro et d’aller chercher un peu partout les informations. » Boris Héritier affectionne « l’idée de pouvoir suivre un projet de A jusqu’à Z », de la conceptualisation à la réalisation du produit fini, en passant par sa mise en place sur le marché et les retours clients. « Quand on est entrepreneur, aucune journée ne se ressemble », se réjouit-il. Aujourd’hui Texup fournit différentes entreprises en solutions acoustiques, notamment pour des open space, des salles de réunion ou encore des cafétérias.


« On s’attache à une voix comme on peut y être allergique »

HEMISPHERES no28 A la recherche de ses sensations auditives Isabelle Albanese

Isabelle Albanese, 51 ans
Directrice de la Bibliothèque sonore romande, Lausanne

« Si tu aimes lire, tu ne seras jamais seule. » Ces mots prononcés par sa maman, alors qu’elle était enfant, résonnent encore dans la tête d’Isabelle Albanese. « Je ne souffrais pas spécialement de solitude, mais c’est vrai qu’avoir un bouquin dans son sac, ça change la vie. » à la tête de la Bibliothèque sonore romande, la Lausannoise s’attelle précisément à rendre la lecture accessible à une majorité de personnes, que celles-ci soient malvoyantes, dyslexiques ou souffrant de troubles de l’attention. « Pour certaines personnes, ces lectures sont la dernière chose qu’elles peuvent faire de manière autonome », expose-t-elle.

A l’entendre parler de sa mission, difficile d’imaginer que cette licenciée en histoire et journalisme est arrivée en 2001 dans cette structure par hasard, au détour d’une petite annonce pour un poste au service du prêt. Cinq ans plus tard, cette passionnée reprenait les rênes de la maison, où près de 120 lecteurs bénévoles assurent l’enregistrement d’environ 700 titres supplémentaires chaque année. « Le lien entre nos bénéficiaires et lecteur·trices est parfois très émotionnel, souligne-t-elle. On s’attache à une voix comme on peut y être allergique. Celle-ci peut alors prendre le dessus sur le contenu. » Qu’importe, la lecture et le partage qu’elle peut susciter favorisent les rencontres et créent des liens avec ceux qui nous entourent.


« Le ton qu’on utilise influence la patiente »

HEMISPHERES no28 A la recherche de ses sensations auditives Medja Vyankandondera

Medja Vyankandondera, 55 ans
Sage-femme, Genève

Aîné d’une famille de 11 enfants, Medja Vyankandondera se souvient d’une enfance placée sous le sceau de la responsabilité. « Il y avait toujours des pleurs à la maison. Je laissais tomber ce que je faisais pour aller consoler », se rappelle ce Burundais, arrivé en Suisse à l’âge de 24 ans. Il se souvient avoir été marqué par ce « phénomène mystérieux » de la naissance, et de s’être même demandé, à force de voir la famille s’agrandir : « Mais quand cela va-t-il s’arrêter ? » Medja Vyankandondera n’en a pas fini d’accueillir de petits êtres au monde. Et pour cause : il est devenu « homme sage-femme », le premier de Suisse d’ailleurs. Après une formation de technicien de santé au Burundi, Medja Vyankandondera se retrouve à pratiquer des actes médicaux au milieu de la brousse. Alors que la guerre éclate, il échappe de peu à la mort lorsqu’une femme s’écrie : « Ne le touchez pas, il a mis au monde mon enfant ! », raconte-t-il. Exilé en Suisse, il décide de se former à cette spécialité. En salles d’accouchement, il apaise les craintes des futures mères. « Le ton que l’on utilise dans ces moments influence énormément leur bien-être. » à la place de jeux, il arrive que certains parents le reconnaissent. « Quand mon enfants court vers moi pour me dire que j’ai accouché son copain, je suis rempli de fierté, confie-t-il. Et je mesure le chemin parcouru. »


« Le son ne respecte aucune frontière »

HEMISPHERES no28 A la recherche de ses sensations auditives Olga Kokcharova

Olga Kokcharova, 38 ans
Artiste sonore, Genève

Les souvenirs d’Olga Kokcharova – et de sa Sibérie natale – sont faits d’empreintes sonores. « Dès que j’ai pu manipuler le magnétophone, j’ai commencé à enregistrer mon environnement. » à l’âge de 16 ans, Olga et sa famille s’installent à Lausanne. Une période difficile pour l’adolescente qui passe d’une « vie sociale exubérante, pleine d’amis » à un contexte de « silence verbal ». Au gymnase, elle a la chance d’avoir un accès illimité à une salle équipée d’un piano. « J’y ai passé des heures à jouer. C’est à cette période que je me suis mise à improviser, détachée de tout ce que j’avais appris jusque-là. » Suivront des
formations aux Beaux-Arts de Genève, puis d’architecte paysagiste. Au fil des collaborations, elle s’affirme en tant qu’artiste sonore, entre ses projets personnels et différents mandats : prises de son, concerts, installations sonores et composition de musique, bandes-son pour le cinéma ou le théâtre. « J’aime le son dans toute sa diversité. Il n’y a pas un endroit que je n’irais pas
explorer. » Ce qui la séduit ? « Son côté indomptable : le son touche directement aux émotions, sans passer par le rationnel. Et sa liberté : il ne peut pas être contenu dans une boîte, il ne respecte aucune frontière et ne suit que ses propres règles. »


« J’ai été happé par le cor des Alpes »

HEMISPHERES no28 A la recherche de ses sensations auditives Valentin Faivre

Valentin Faivre, 44 ans
Professeur de musique au Conservatoire de musique neuchâtelois, Le Locle

« Il y a quelque chose dans le son du cor des Alpes, sa chaleur mais aussi sa richesse en harmoniques, qui m’a littéralement happé », confie Valentin Faivre, professeur de musique au Conservatoire de musique neuchâtelois. Formé dès le plus jeune âge à la pratique de la trompette, ce natif de La Chaux-de-Fonds avoue même avoir été, au début, « presque gêné par l’imaginaire un peu populaire que renvoie le cor des Alpes ». Par curiosité, il tente l’aventure et découvre avec bonheur que cet instrument « va bien au-delà du répertoire traditionnel, et s’adapte très bien aux pièces classiques, jazz et contemporaines ». Il explore cette diversité notamment à partir de 2007 avec son quatuor « Dacor ». D’ailleurs, Valentin Faivre se réjouit de voir l’évolution de ces dernières années, qui ont vu « ces instruments se démocratiser et se défaire de leur étiquette un brin folklorique ». Dans ce même désir d’ouverture, le musicien a participé avec le FabLab de Neuchâtel à l’élaboration d’un cor des Alpes imprimé en 3D à partir de produits recyclés. Il faudra de nombreux essais pour réussir à recréer une sonorité presque similaire aux instruments en bois fabriqués de manière traditionnelle : « Une note nous échappe d’ailleurs encore », confie-t-il. Pour autant, si ces « Cors des Labs » en PET s’impriment en 24 heures et ne coûtent qu’une trentaine de francs en matière première, Valentin Faivre l’assure : « Le but n’est pas de se lancer dans un marché concurrent, mais de mener des expériences qui pourraient à terme servir à l’innovation de différents prototypes dont les artisans pourraient s’inspirer dans leur fabrication de vrais cors en bois. »