Au moment de la nidification, les oiseaux ont besoin de sécurité. Afin de mieux les repérer et les protéger des activités humaines, des chercheurs ont développé des capteurs pour les localiser au moyen de leurs chants.

TEXTE | Clément Etter

HEMISPHERES N°22 – Un monde en images et représentations // www.revuehemispheres.ch
Cette carte indique l’évolution de la présence de six nicheurs prairiaux (caille des blés, râle des genêts, alouette des champs, pipit des arbres, pipit farlouse et tarier des prés) par carré, entre les périodes 1950-1959 et 2013-2016.

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Le pipit farlouse est une espèce qualifiée de vulnérable par la Liste rouge des espèces menacées. Environ 700 couples de ces oiseaux seraient encore présents dans le pays. Leurs effectifs ont décliné d’environ 40% ces dix dernières années. | © WOLFRAM RIECH

L’habitat dans lequel les oiseaux vont se reproduire et élever leurs petits est crucial pour leur survie. Mais certains milieux sont également occupés par des activités humaines, ce qui laisse moins de chance aux parents pour trouver abri, nourriture et sécurité. «Pendant la période de reproduction, les oiseaux qui nichent au sol peuvent être menacés par les exploitations agricoles et les fauches précoces et répétées, explique Marc Vonlanthen, professeur associé à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg – HEIA-FR – HES-SO. Ceux qui se réfugient dans les cavités des vieux arbres en trouvent de moins en moins en raison des activités forestières. Un moyen de protéger ces volatiles le temps de la nidification consiste à les localiser rapidement afin de prendre des mesures pour préserver leur habitat.» Mais les moyens d’observation actuels ne permettent pas aux ornithologues de repérer les oiseaux avec efficacité et d’agir en conséquence, car les informations sont lacunaires ou arrivent trop tard. Sur la base de la demande d’une association ornithologique, Marc Vonlanthen et son équipe composée notamment de Francesco Carrino et Richard Baltensperger, a cherché à développer un moyen efficace pour repérer les chants d’oiseaux en utilisant des capteurs acoustiques. Ils ont collaboré pour cela avec la HES-SO Valais-Wallis et la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud – HEIG-VD ainsi qu’avec l’Office fédéral de l’environnement.

Le placement idéal du capteur

Afin de capter les chants émanant d’une forêt ou d’un champ, il est essentiel de s’assurer que, pour la zone souhaitée, les capteurs acoustiques couvrent la plus grande surface sonore. L’objectif consiste en effet à ne pas passer à côté de l’oiseau rare. Dès lors, où placer ces capteurs? Les milieux naturels sont hétérogènes: arbres de tailles diverses, plus ou moins denses, points d’eau, collines, fourrés… Autant d’obstacles à la propagation uniforme du son, qui multiplient les chances de manquer un signal. Le chant des oiseaux va en effet se diffuser dans l’espace, par exemple en se répercutant sur un arbre comme un écho, ou en s’évanouissant dans les hautes herbes et le sol. «Afin de pallier tous ces paramètres, qui compliquent la stratégie de positionnement des capteurs acoustiques, nous avons d’abord dû créer un modèle de propagation du son en utilisant des bases de données existantes, détaille Francesco Carrino, actuellement professeur assistant à la HES-SO Valais. Nous souhaitions prédire comment le son pouvait se diffuser en fonction de la topographie.»

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Le chercheur Francesco Carrino fait partie d’une équipe qui développe un outil pour repérer les chants d’oiseaux en utilisant des capteurs acoustiques. | © BERTRAND REY

L’équipe a ensuite mis au point un algorithme, c’est-à-dire un ensemble de règles et d’instructions fixes qui permet de fournir une solution à un problème. «À partir des informations que nous donnons à l’algorithme, soit le nombre de capteurs à placer et les divers paramètres du lieu défini, comme la hauteur des arbres, il va prédire où se situent les meilleurs emplacements afin que la probabilité de manquer un son soit la plus basse possible», poursuit Francesco Carrino. Cet algorithme est dit «génétique», parce qu’il a été développé à partir d’un modèle inspiré des lois de la sélection naturelle. Parmi un ensemble de solutions générées aléatoirement, ne sont sélectionnées que celles s’approchant le plus d’un optimal. L’algorithme procède ensuite à une étape de «reproduction», où les solutions sont recombinées et des mutations aléatoires ajoutées, pour donner une nouvelle génération de solutions plus performantes. Au fil des générations et des sélections, l’algorithme fait des propositions s’approchant de plus en plus de la solution optimale.

Le modèle de propagation du son et l’algorithme étant désormais établis, l’équipe de recherche doit à présent les tester sur le terrain pour vérifier si les prédictions concordent avec la vie réelle. Il s’agira ensuite de les adapter en fonction de ce qui a été observé. «Nous avons choisi un lieu à mi-chemin entre une forêt et une zone agricole dans la région de Neuchâtel, car les ornithologues pensent y trouver des oiseaux protégés comme le râle des genêts et la chouette chevêche, raconte Marc Vonlanthen. Ce premier déploiement devrait voir le jour au printemps 2022.» Le but est que toute personne intéressée puisse s’emparer de cet outil pour l’appliquer facilement et déterminer où placer les capteurs.

Identification des espèces cibles

À l’avenir, les capteurs pourront être configurés afin d’identifier les espèces cibles, car ils sont capables de reconnaître leurs fréquences spécifiques, ou «empreintes sonores». Ils pourront également localiser précisément les oiseaux afin de délimiter leur territoire. Avec cette technologie, appelée «surveillance acoustique autonome», le capteur analyse les sons en continu pour fournir des observations denses et fiables, ce qui permet d’informer régulièrement sur les lieux où nichent les oiseaux et de surveiller les espèces à protéger sur le long terme.

Un autre développement à suivre, mené à la HEIG-VD, concerne l’interface entre le capteur et les personnes qui veulent connaître la position des oiseaux. Les ornithologues, mais aussi les autorités et les exploitants agricoles ou forestiers, pourront recevoir un signal dès qu’une espèce cible sera détectée et ainsi mettre en place un plan de protection. «À plus long terme, le système pourrait être appliqué à d’autres domaines, ajoute Marc Vonlanthen. Comme la lutte contre la pollution sonore ou contre les braconniers, au moyen de la détection des coups de feu.»