«Ces portraits reflètent ma propre métamorphose » // www.revuehemispheres.com
Pendant trois ans, le photographe Anoush Abrar a réalisé des portraits d’étudiants en art. Une démarche sans objectif précis au départ, qui lui a permis de revisiter son propre cheminement.

« Ces portraits reflètent ma propre métamorphose »

publié en

,

Anoush Abrar a photographié des étudiants en art durant trois ans. A travers ces confrontations d’une dizaine de minutes, il a voulu saisir l’essence de chaque individu.

TEXTE | Geneviève Ruiz
IMAGES | Anoush Abrar

Une centaine de portraits pris en un peu plus de trois ans. C’est le travail réalisé par le photographe Anoush Abrar, professeur à l’ECAL/école cantonale d’art de Lausanne – HES-SO, entre 2013 et 2016. «Tout a commencé par une envie instinctive. J’enseigne depuis près de quinze ans à l’ECAL où je côtoie les étudiants au quotidien. J’avais envie de révéler un peu de leur être. Mais je ne pensais pas à un projet concret, encore moins arriver à 100 portraits!» Anoush Abrar a mis en place un petit studio et invitait des étudiants à venir s’y faire photographier le temps d’une pause. «J’avais en moyenne entre cinq et quinze minutes à disposition. C’était un défi! Il fallait trouver une position, sentir la personnalité… J’ai pris beaucoup de plaisir à ces interactions. La photographie représente pour moi une manière de rentrer dans la vie des gens. J’ai donc continué.» Pour choisir les bonnes personnes parmi les 600 étudiants de l’école, le photographe se promenait dans les couloirs en observant: «Tout à coup je remarquais un visage, une coiffure, un style… Et je demandais à cette personne si elle accepterait de participer.»

L’école d’art comme seconde naissance

Si Anoush Abrar a mis autant d’énergie dans ce travail, c’est que les étudiants en art le fascinent. «Pour se retrouver ici, ils ont dû faire un choix, passer un concours, se battre… Le passage dans une école d’art métamorphose. Les étudiants doivent laisser quelque chose d’eux-mêmes dans leurs travaux. Ils s’exposent, se retrouvent à nu. C’est souvent difficile, accompagné de frustrations et de souffrance.» Mais avant toute chose, ces jeunes tendent un miroir à Anoush Abrar, pour qui le passage sur les bancs d’une école d’art a représenté une seconde naissance. «Mes études en graphisme, puis en photographie, ont sans doute représenté la période la plus intense de ma vie. Je suis né en Iran et ma famille s’est installée en Suisse lorsque j’avais 5 ans. Je n’ai pas du tout grandi dans un milieu artistique et ma voie d’ingénieur était toute tracée. Après des études en électronique, j’étais si malheureux que je me suis inscrit en secret dans une école d’art. Quand il l’a appris, mon père était très fâché.» Un peu perdu au début, le jeune homme s’accroche et travaille d’arrache-pied. D’abord timide, il réussit à s’ouvrir et à s’exprimer. «Je suis devenu moi-même. Mes vingt premières années me paraissent désormais vides.»

Une série en forme d’éloge

Anoush Abrar ressent dès lors une forte empathie et de l’admiration pour ces jeunes qui ont fait le choix de la voie artistique. «Ces photographies représentent une sorte d’éloge. Mes professeurs m’ont d’ailleurs toujours dit que pour faire un bon portrait, il fallait soit aimer, soit détester la personne.» Le résultat final de ce travail est rassemblé dans un livre intitulé Young Creatives, publié en 2018. Doublé d’un site web (The-young-creatives.com), il expose une mosaïque de portraits en noir et blanc. Il est apparu important au photographe d’indiquer, sous chaque visage, un nom et une filière. Il considère que cela représente une aspiration figée, sous laquelle se dissimulent des doutes ou des luttes personnelles. «Au final, cette série forme un tout. Le tout, c’est une métamorphose commune derrière tous ces visages. Cette génération possède la particularité d’apprendre énormément de choses grâce aux réseaux sociaux. Par conséquent, son niveau technique et artistique est élevé. Ces jeunes sont très curieux, mais fragiles aussi.»