La reproduction schématisée de la réalité en laboratoire ne permet pas toujours de rendre compte des conditions du terrain. C’est le cas pour les tests de marche ou d’équilibre. Une expérience qui a mesuré la mobilité d’une centaine de visiteurs dans un musée d’art l’illustre bien.
TEXTE | Stéphany Gardier
L’activité physique sur ordonnance existe déjà pour les patients atteints de certaines maladies chroniques. Mais si demain votre médecin vous prescrivait une visite au musée? Au Canada, c’est possible ! La visite muséale sollicite les fonctions cognitives et motrices: elle pourrait donc être bénéfique dans différents types d’atteintes ou être prescrite à titre préventif. Avant d’élargir cette pratique, il est essentiel de comprendre en détail comment une visite muséale agit sur la mobilité. Pour apporter quelques éléments de réponse, une équipe de recherche a réalisé une expérience originale au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Elle a été menée par Sylvie Nadeau, professeure de physiothérapie à l’Université de Montréal, en collaboration avec Anne-Violette Bruyneel, professeure assistante à la Haute école de santé HEdS Genève – HES-SO. «Cette question n’intéresse pas que les chercheurs, raconte Anne-Violette Bruyneel. Les responsables du musée étaient aussi très enthousiastes. Ils ont conscience que déambuler dans un musée une à deux heures peut représenter une épreuve physique pour certains visiteurs. Nos recherches peuvent donc aussi les aider à améliorer l’expérience de leurs visiteurs et à attirer plus de personnes dans leurs institutions.»
La nécessité de sortir des laboratoires
Rassemblés à Montréal pour un congrès en 2019, les scientifiques ont investi le MBAM pour y réaliser diverses expériences, grâce à la participation de 110 visiteurs volontaires âgés de plus de 65 ans. Ceux-ci se sont prêtés à différentes mesures et observations tout au long de leur visite. Mais, pour que les résultats reflètent le plus possible la réalité d’une visite muséale, le MBAM est resté ouvert et les volontaires ont évolué au milieu des autres visiteurs. «Le vrai challenge a été d’installer notre matériel de laboratoire et de le calibrer en deux heures seulement, se souvient Anne-Violette Bruyneel. Nous avons également dû trouver des systèmes optimisés adaptables aux contraintes muséales pour équiper les volontaires sans que cela ne perturbe leur visite.» Défi relevé, puisque plus de 80% d’entre eux ont rapporté ne pas avoir été gênés par les différents capteurs dont ils étaient équipés.
Mais pourquoi avoir choisi d’aller faire déambuler 110 personnes dans un musée ouvert alors que ce type d’expérience aurait pu être réalisé en laboratoire? «Il est très difficile de reconstituer toutes les contraintes environnementales d’une visite muséale en laboratoire, observe Anne-Violette Bruyneel. La luminosité, la scénographie, les particularités du parcours, les interactions sociales, le fait de devoir naviguer entre les personnes… La liste des éléments à prendre en compte est longue. Il est aussi certain qu’aucun laboratoire ne peut reproduire la taille d’un musée!» À l’heure où tous les grands musées mondiaux ont mis leurs collections en ligne, on pourrait imaginer qu’une expérience utilisant la réalité virtuelle simplifierait la tâche des chercheurs. «Ce n’est pas aussi simple, précise Anne- Violette Bruyneel. La réalité virtuelle n’est pas un bon outil si les personnes présentent des troubles de la vision ou vestibulaires, ce qui est fréquent chez les seniors. Par ailleurs, la réalité virtuelle demeure statique et exclut toute interaction sociale. Or c’est un élément important de la visite muséale.»
Imaginer des visites plus dynamiques
Ce projet au MBAM a révélé que les visiteurs font en moyenne 7000 pas pour une visite de deux heures, ce qui constitue une activité physique non négligeable pour les personnes habituellement sédentaires. «Il est assez intéressant de constater qu’après une visite certaines personnes se disent moins fatiguées, qu’elles marchent même plus vite et ont un meilleur équilibre. Cela souligne l’effet bénéfique de la visite muséale sur le mouvement, mais aussi de la contemplation des oeuvres, qui masque la fatigue», souligne Anne-Violette Bruyneel. Les chercheurs ont montré que l’observation d’oeuvres en 2D (peintures) ou en 3D (sculptures) induisait des postures différentes. «On constate que le réflexe au musée est encore de ne pas bouger, de rester ‹statique› devant l’oeuvre, c’est très culturel. Il faut remettre en cause cela pour offrir des visites encore plus dynamiques. Ce serait plus confortable pour le visiteur et augmenterait l’aspect physique de l’activité, tout en permettant de découvrir différemment les oeuvres», propose Anne-Violette Bruyneel. Cette expérience menée au MBAM a permis de tester le protocole et de confirmer sa faisabilité, ce qui permettra de le reproduire dans d’autres musées, afin de collecter une quantité plus importante de données. Le musée de l’Ariana à Genève s’est déjà prêté au jeu dès la fin de l’été 2020, en co-contruisant des visites guidées avec la HEdS-GE pour solliciter la mobilité de personnes en situation de fragilité.
«Scenes of engagements», de l’artiste belge Wesley Meuris en 2017, est une installation qui exacerbe les principes de conduite que les architectes impriment aux lieux publics au moyen de l’aménagement intérieur: celui-ci valorise certains contenus, oriente les regards ou les déplacements des corps. Ces dispositifs peuvent s’avérer finalement assez autoritaires, selon l’artiste. © Juliette Géron / Atelier Yette