HEMISPHERES 26 Pour une horlogerie en libre acces teaser

Pour une horlogerie en libre accès

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L’association openmovement vient de sortir le premier prototype de mouvement horloger libre de droit. Mais ce genre d’initiative reste exceptionnel, le secteur étant rétif à partager ses secrets.

TEXTE | Maxime Garcia

Presque quinze ans. C’est le temps qu’il aura fallu à l’association openmovement, fondée en 2009 à La Chaux-de-Fonds, pour développer un mécanisme entièrement libre de droit, inspiré de la philosophie open source. Une première dans le secteur feutré de l’horlogerie. « Nous avons publié en 2021 les premiers dessins techniques en trois dimensions de notre mouvement baptisé OM10, puis le premier prototype de montre construit avec ce mécanisme a été présenté en juin 2023, se félicite Roman Winiger, horloger indépendant à La Chaux-de-Fonds et président de l’association openmovement. C’est le premier mouvement de montre open source au monde. »

Une première qui a mis longtemps à se concrétiser : « Ce n’est pas facile de faire un mouvement. Cela prend du temps, sourit Roman Winiger. Mais le principal frein a été l’argent, avec une question existentielle : comment financer un mouvement libre de droit en Suisse ? Certains producteurs et productrices de montres n’avaient pas envie de participer, par peur de contribuer au développement de la concurrence. Nous avons donc choisi de nous tourner vers des mécènes. » Ces derniers recevront les 20 premiers prototypes développés par openmovement. Ceux-ci seront assemblés dans un boîtier de montre spécialement conçu et imaginé pour l’occasion. Tous les plans du mouvement seront alors mis en ligne, téléchargeables gratuitement par tout le monde. « Les premiers prototypes fonctionnent très bien, mais il faut être prudent, précise Roman Winiger. Nous préférons être sûrs que le mouvement est parfait avant de publier les plans. Nous ne les diffuserons que lorsque tout sera vérifié en pratique. L’horlogerie constitue un secteur tellement spécifique et délicat. Une erreur d’un seul centième de millimètres peut faire que cela ne fonctionne plus. »

Craintes envers la concurrence chinoise

La publication des plans de l’OM10 constituera une petite révolution dans un domaine d’ordinaire peu enclin à partager ses secrets. « Historiquement, le partage entre horlogères et horlogers, c’est-à-dire la mise en commun des ressources, ne s’est fait que lorsque le secteur connaissait des pressions économiques fortes, rappelle Gilles Greub, professeur d’horlogerie à la HE-Arc Ingénierie – HES-SO, institution partenaire du projet openmovement. Actuellement, les groupes horlogers recherchent malheureusement plus une différenciation marketing qu’un travail communautaire dans le développement de produits de très haute qualité. » Ce, d’autant que « pas mal de personnes sont opposées à l’open source parce qu’elles redoutent que des entreprises chinoises ne copient leurs produits », renchérit Roman Winiger. Un argument qui ne convainc guère Gilles Greub : « Les horlogers suisses ne devraient pas avoir peur que les marques chinoises les imitent. Ils devraient redouter qu’elles fassent mieux qu’aux. Les sociétés chinoises investissent massivement dans la recherche, ce qui est moins le cas ici. »

Pour ses promoteurs, au contraire, l’open source pourrait apporter beaucoup à l’horlogerie suisse. « Le premier bénéfice de la philo­sophie open, c’est de mettre en commun les ressources, ce qui réduira les coûts », explique Gilles Greub. Openmovement compte actuellement 60 membres, principalement des horlogères et des horlogers indépendants et des entreprises de l’industrie horlogère, mais aussi des passionné·es. Avec ce projet, l’association entend soutenir les petits producteurs de montres, la formation et encourager le partage et la collaboration au sein de la communauté horlogère. L’objectif consiste aussi à libérer les acteurs les plus modestes d’une forme de dépendance.

« Depuis la crise du quartz, qui a fait dis­paraître un grand nombre de fabricants, puis la concentration du marché, les maisons indépendantes sont contraintes d’acheter leur mouvement terminé auprès de grands groupes, en particulier ETA, filiale de Swatch Group, et Sellita, raconte Roman Winiger. Résultat : ces petits horlogers ne sont plus des horlogers mais des assembleurs de montres. Leur donner les plans d’un mouvement gratuitement, c’est leur offrir de pouvoir fabriquer leurs propres produits et c’est préserver le savoir-faire suisse, voire même l’étendre en dehors des grands groupes, poursuit Roman Winiger. Nous ne sommes pas opposés à ces derniers, mais complémentaires. » Un avis partagé par Gilles Greub : « L’open source va donner la possibilité aux modestes entreprises, mais aussi aux passionné·es, qui n’ont pas les moyens de développer leur propre mouvement, d’en avoir un et de le perfectionner. Et tant mieux si cela stimule la concurrence. C’est dans l’intérêt des grands groupes que la qualité s’améliore chez les petits horlogers. Nous tirons à la même corde. Lorsque la concurrence augmente, la qualité globale progresse. »

Bénéfices pour les client·es également

Les client·es aussi devraient bénéficier de l’émergence de l’open source dans le secteur. « Actuellement, si un horloger indépendant vous vend un mouvement qu’il a fabriqué lui-même, vous n’avez aucune certitude qu’il sera réparable dans cinq ans. En effet, si le fabricant·e fait faillite, personne ne sera en mesure de s’atteler à la tâche, explique Gilles Greub. Avec un mouvement open source, n’importe qui sera capable n’importe quand de récupérer les plans sur internet et de réparer le mouvement. Les montres dureront ainsi plus longtemps. L’open source apporte donc de la qualité, de la transparence et de la pérennité. En tant que client, je suis prêt à payer plus cher si je suis sûr que le produit sera toujours réparable dans dix ans. C’est extrêmement important. » À terme, openmovement compte vendre des kits contenant les pièces qui servent à assembler le mouvement open source. « Ce sera une sorte d’industrialisation variable, explique Roman Winiger. Les produits ainsi fabriqués ne seront ni des mouvements hautement industrialisés, ni des pièces uniques. Nous nous placerons entre les deux. Nous livrerons les pièces brutes. Les PME horlogères, ainsi que leurs client·es, auront le choix de la finition, le soin de l’assemblage et la liberté de transformer le design des composants techniques ou d’apporter une complication. »