Un groupe d’étudiant·es en cinéma a réalisé huit séries de trois épisodes autour de l’idée de «confins», en collaboration avec le quotidien Le Temps. Résultat: des visions du monde en quarantaine entre cinéma et journalisme.
TEXTE | Marco Danesi
Le projet « Visions des confins » regroupe huit mini-séries de trois épisodes chacune, réalisées pendant la période de semi-confinement en Suisse, entre les mois de mars et de mai 2020. Elles sont le résultat d’une collaboration entre des étudiants et des alumni de la Haute école d’art et de design – HEAD – Genève – HES-SO avec le quotidien Le Temps.
Ces vidéos de confinement sont «des objets de cinéma tournés vers l’autre, la vision des auteurs étant au service de la parole des gens», précise le cinéaste et enseignant à la HEAD Basil Da Cunha, qui a supervisé l’atelier. En même temps, elles répondent à des contraintes de format journalistique, et développent des sujets en trois mouvements, suivant les trois semaines de fermeture des écoles et de la HEAD prévues au départ. Ensuite, la fermeture a été prolongée, mais l’idée de triptyque est restée.
Ainsi, les productions, diffusées exclusivement sur internet et adaptées aux petits écrans, constituent à la fois des oeuvres et des témoignages de mondes en quarantaine aux prises avec le Covid-19. À la croisée de l’art et du reportage, du je et du nous, on y rencontre des youtubers, des gamers, des complotistes, la voix d’un adolescent colombien, une famille entre Genève et le Japon, un croisiériste amoureux. On disserte sur la distance sociale, on compare l’avant et l’après-virus. Les réalisateurs ont pisté le web, les réseaux sociaux. Ils ont inventé des tournages à distance. Ils ont démonté, remonté, scénarisé des milliers d’images, de sons, pour aboutir à des aperçus confinés du confinement. Des anticorps cinématographiques au Covid-19.
«Confinement-sur-mer»
de Joséphine Berthou et Lucie Goldryng
«Au départ, nous voulions faire des vidéos avec des jeunes en prison, doublement confinés. Mais c’était compliqué et nous n’avions pas assez de temps. Ensuite, nous avons découvert sur les réseaux sociaux beaucoup de vidéos de gens bloqués sur des bateaux de croisière. Via Instagram, nous avons contacté une de ces personnes, un jeune garçon. Membre de l’équipage d’un paquebot, il a accepté de tourner pour nous. Nous avons imaginé qu’il envoie à son amoureuse (fictive) des missives filmées de ses journées sur le bateau. Nous avons écrit les textes et nous l’avons dirigé à distance. Au montage, nous avons également utilisé des images provenant d’autres sources. La série navigue de cette manière entre fiction (l’histoire d’amour) et réalité (les images documentent la vie en mer).»
«Dans les yeux d’Aki, ma soeur médecin»
de Sayaka Mizuno
«J’ai choisi de suivre ma soeur Aki, qui est médecin aux urgences des HUG pour documenter son quotidien et celui du personnel des urgences. Pour traiter le sujet et pour préserver leur anonymat, je me suis intéressée aux mains. Les mains, qui en disent long sur les métiers du prendre soin. Il s’agit donc des mains du personnel de l’hôpital, des mains de ma soeur qui tape sur le clavier et qui écrit sur WhatsApp pour prendre des nouvelles de la famille, des mains de ma mère qui cuisine des gyozas, les raviolis japonais, les mains enfin des personnes qui applaudissent par les fenêtres et que l’on entend. Je voulais ainsi montrer les gestes du quotidien, les gestes de secours, de solidarité et d’amour, loin des images sensationnalistes qui régnaient dans les médias durant cette période. Paradoxalement, j’ai voulu filmer les mains car c’est aussi par ce biais que le virus pouvait facilement se transmettre. Je dirais que ma vision des confins, c’est peut-être le Japon. Mais également une autre limite, celle entre la vie et la mort – que j’ai voulu représenter par cette image dans la troisième vidéo: le bloc opératoire dans la nuit et son lit vide éclairé par un néon.»
«The Invisible Enemy»
de Valentin Lebeau, Benjamin Goubet et Alexandre Haldemann
«On nous a incités à nous ouvrir sur le monde extérieur. À nous ancrer dans le monde réel. Les trois, nous nous sommes demandé où les événements liés à la pandémie étaient les plus exacerbés. Les États-Unis se sont imposés assez vite. Nous avons compulsé, exploré, décortiqué internet. À partir de là, nous nous sommes concentrés sur trois cibles: les complotistes, les quartiers noirs et les survivalistes. L’idée était de donner du temps d’écran à des gens et à des comportements moins visibles en Suisse. Nous avons rassemblé des matériaux et les avons montés en trois épisodes indépendants, comme une cartographie du confinement aux USA. Il s’agit à la fin de micro-récits, informatifs en même temps, destinés aux réseaux sociaux et à YouTube, qui doivent accrocher en un clin d’oeil le public et être facilement lisibles.»