Nous avons tous besoin de proximité. Une retraitée très active, un cuisinier historien, une designer devenue forgeronne, un serial entrepreneur et une enseignante en soins infirmiers racontent cette valeur retrouvée.
TEXTE | Sabine Pirolt
IMAGES | Hervé Annen
«J’accepte les mandats bénévoles qui peuvent enrichir mes liens sociaux»
Monique Bolognini, 78 ans. Retraitée active, Pully
C’est dans le salon-salle à manger de son deux-pièces que Monique Bolognini nous reçoit. Radieuse dans son pull-over jaune, cette retraitée active raconte sa jeunesse. Un père qui travaille chez Kodak, une mère secrétaire, elle se lance dans des études de sciences politiques. Sa devise? Créer des liens: «J’ai toujours aimé les relations sociales. Je me suis investie dans des associations d’étudiant.es. Par la suite, j’ai été membre du Conseil communal de Lausanne et de Pully.»
Ancienne responsable de l’Unité de recherche du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.e du canton de Vaud, elle a consacré beaucoup de son temps libre à créer de la proximité dans le quartier où elle vivait avec sa fille unique, son mari étant décédé jeune d’un cancer. «Dans les années 1980, beaucoup de familles avaient emménagé dans le quartier des Bossons à Lausanne. Nous nous arrangions pour garder les enfants et avions créé une halte-garderie.» Lorsque sa fille a 19 ans, elle emménage dans les habitations regroupées des Liaudes, dans les hauts de Pully. «J’ai fait partie du groupe qui a élaboré le projet. Aujourd’hui encore, nous gérons tout nous-mêmes, du fonds de rénovation à l’entretien des lieux.» La retraite venue, la Vaudoise a continué à cultiver des liens de proximité, histoire de «rester vivante et de se sentir utile». Depuis quinze ans, elle participe aux activités d’Innovage Suisse romande, une association de seniors qui mettent bénévolement leurs compétences à disposition de projets d’utilité publique. «J’interviens dans des associations proches de chez moi, en collaboration avec d’autres seniors.» Et quand cette grand-mère ne garde pas son petit-fils, elle travaille à La Main Tendue, une vingtaine d’heures par mois.
«Je suis hyper-implantée dans ma région»
Bertille Laguet, 32 ans. Forgeronne et designer, Chexbres
Pousser la porte de la forge de Chexbres, c’est plonger dans un monde hors du temps. Enclumes, collections de pinces et de marteaux, stocks de barres en métal, le regard ne sait plus où porter. Non loin de l’impressionnante cheminée où crépite un feu, une jeune femme en bleu de travail. Ici, la patronne, c’est elle. Bertille Laguet raconte comment tout a commencé. «Il y a cinq ans, je ne savais même pas que le métier de forgeron existait.» Née dans le Jura français, elle se lance dans des études d’ingénieure avant de bifurquer vers le design. Elle obtient son Bachelor en design industriel à l’ECAL/école cantonale d’art de Lausanne – HES-SO en 2012, et se met à son compte. «Dur ! J’ai dû faire des jobs alimentaires.»
Le père d’un ami lui présente Philippe Naegele, le forgeron de Chexbres, à l’occasion du traditionnel apéro du village. «L’odeur, l’atmosphère, tout m’a fascinée dans sa forge. J’ai demandé si je pouvais essayer une journée. Le lendemain, à 17h, je posais mon premier portail. Au bout d’un an, le forgeron m’a dit: ‹Soit tu dégages, soit tu reprends la forge›.» Elle accepte le défi. Pour cette artisane, la proximité n’est pas un concept : 90% de ses clients se trouvent entre Lausanne et Clarens. «Je suis hyper- implantée dans cette région viticole. Les jeunes vignerons viennent avec de vieux outils, ils me demandent de refaire les mêmes.» C’est également elle qui a fait les armes et les couronnes de la Fête des vignerons 2019. «Je suis aussi le cordonnier du village. On vient me trouver pour souder un panier en métal, réparer un pied de canapé…» Design et ferronnerie, la jeune femme apprécie l’alliage de ses deux activités. «Je crée les produits de A à Z. Pour une designer, c’est un rêve.» Bertille Laguet est lauréate de nombreux prix et ses créations ont été exposées de Milan à Mexico, en passant par Miami. Et quand elle
ne forge pas, elle danse le swing, une autre passion.
«Mon hyperactivité est devenue une force»
Nicolas Fontaine, 29 ans. Serial entrepreneur, Sierre
Être au four et au moulin. L’expression est faite pour Nicolas Fontaine, serial entrepreneur établi à Sierre. «C’est quelqu’un d’hyperactif. Il a 1’000 idées à la seconde, raconte Aurélie Nanchen, sa partenaire de projets, alors que nous patientons pour le rencontrer. Sa motivation n’est pas le profit personnel. Il fait des choses pour rassembler les gens.» Quand Nicolas Fontaine arrive, il annonce la couleur: «Lorsque j’étais petit, j’ai été diagnostiqué hyperactif. Aujourd’hui, j’en ai fait une force.» Un père infirmier en psychiatrie, une mère active dans une garderie, Nicolas Fontaine grandit à Nuvilly (FR). Son CFC de jardinier en poche, vient le temps du service militaire chez les grenadiers, à Isone (TI), où il se fait des amis valaisans. Son armée terminée, il s’installe à Sierre. À ses yeux, le Valais est une terre d’opportunité. En 2013, Nicolas Fontaine travaille comme paysagiste pour un patron ; un an après, il se met à son compte avec un collègue, à qui il finira par vendre ses parts. En 2016, il crée Dionysia, avec Aurélie Nanchen. Ils recyclent de vieux fûts en mobilier. Puis le duo lance l’association Satellite. En découlent l’atelier partagé Les Communs, le centre culturel et social le Stamm – qui comprend un repair-café – et des jardins communautaires. «On a six projets en tout. Il faut de tout pour plaire à tout le monde.» Actuellement, le jeune homme planche sur une ferme urbaine de 10’000 m2. «Je cours, j’écris à tout le monde, je vois des politicien.nes.» Pour gagner sa vie, il a rejoint PuraWorka – espace de coworking – et fondé Workshop 4.0, PME active dans la robotique, l’impression 3D, la découpe et la gravure laser. Le fameux Roboclette, c’est lui. Il est même allé jusqu’à Las Vegas avec, au Consumer Electronics Show. Au fait, qu’est-ce qui fait courir ainsi Nicolas Fontaine? «L’envie de faire!»
«La proximité prend toute son importance lors des phases importantes de la vie»
Boukar Falta, 40 ans. Maître d’enseignement en soins infirmiers, Fribourg
Rencontrer Boukar Falta en sortant de l’ascenseur à la Haute école de santé Fribourg – HedS-FR – HES-SO, c’est prendre une bouffée de printemps en plein visage. Robe à fleurs et énergie communicative: le parcours de cette Vaudoise reflète son dynamisme. Un père militaire, une mère enseignante, Boukar Falta a grandi au Cameroun. À 19 ans, son bac en poche, elle rejoint sa maman à Bâle, qui y avait épousé un Alémanique. «Je rêvais de faire médecine, mais je ne remplissais pas les critères.» Durant ses vacances, elle travaille à l’hôpital de Bâle: «J’observais les infirmières. Elles étaient plus proches de ma vision des soins.» Elle a trouvé sa voie. En 2008, trois mois après son diplôme à l’Institut et Haute école de la Santé La Source à Lausanne – HES-SO, elle accouche de son premier enfant. Elle se remet au travail dans une institution pour des personnes souffrant de troubles neurodégénératifs, avant de travailler à l’hôpital de Nyon. «J’aime la proximité que l’on trouve dans un petit hôpital. On sait qui travaille dans quel service.» En 2011, elle se lance dans un Master en sciences infirmières tout en travaillant comme assistante d’enseignement à la HEdS de Genève. Elle écrira son mémoire enceinte de son deuxième enfant. Si sa mère l’a soutenue après la naissance de son premier enfant, c’est une amie qui l’aidera pour le deuxième. «La proximité prend toute son importance lors des phases importantes de la vie: la naissance et la mort. Sans ce soutien, je ne m’en serais pas sortie.» Désormais, alors que Boukar Falta enseigne à la HEdS de Fribourg, toute la famille vit dans un village de la Glâne où elle découvre les bienfaits du voisinage. «Un grand-papa emmène ma fille à l’école avec son petit-fils, et les enfants vont jouer spontanément les uns chez les autres. Je suis heureuse que mes enfants grandissent dans cet environnement.»
«Il faut cuisiner les choux de Bruxelles avec amour»
Philippe Ligron, 55 ans. Responsable Food Expérience de l’Alimentarium de Vevey
Joyeux et accueillant, le cuisinier Philippe Ligron nous emmène admirer le jardin potager de l’Alimentarium de Vevey, à deux pas du lac Léman. «Ici tout est local. On est au taquet. Regardez, les choux de Bruxelles sont prêts. Il faut les cuisiner avec amour.» Et de pester contre le budget helvétique consacré à l’alimentation. «7%, c’est n’importe quoi! Où sont les priorités? Quand je pense à la publicité de certaines grandes surfaces qui font moins 30% sur de la viande étrangère! On flingue la production locale et c’est de la mauvaise qualité.» On l’aura compris, Philippe Ligron est aussi militant. Son combat? Les produits du terroir.
Ce cuisinier professionnel habite à Sarzens, un village de la Broye vaudoise. C’est dans cette région rurale qu’il a retrouvé un peu de sa Camargue natale. Le quinquagénaire en a gardé l’accent chantant et l’amour des chevaux. Il pratique régulièrement l’attelage. «Je suis le roi du monde en balade.» C’est dans le restaurant de ses parents que Philippe Ligron grandit. «En rentrant de l’école, je mangeais vite et après j’aidais en cuisine.» Il en fera son métier. Après son apprentissage dans le lycée hôtelier de Nice, il part pour Hambourg dans un restaurant gastronomique. Son parcours passera ensuite par l’armée, chez les parachutistes au Liban. De retour en France, une connaissance lui parle d’une place en Suisse. Il devient ensuite professeur à l’Ecole hôtelière de Lausanne – EHL – HES-SO durant vingt-six ans: «Plus de 100 cultures se côtoient, c’est un vivier incroyable.» Un monde cosmopolite qu’il décidera de quitter en 2016, pour éviter de devenir… «un vieux con». Aujourd’hui, sa fonction à l’Alimentarium ne l’empêche pas de lancer de nouveaux projets. Dans son collimateur: la production d’un ketchup moins sucré et celle de saucisses locales. Sa prochaine création? «Un pesto à base de pain sec pour sensibiliser les gens au gaspillage.»