Une enquête a cartographié les lieux où il est possible pour les jeunes résidant dans le canton de Genève d’apprendre la musique. Si le centre de l’agglomération est bien desservi, les zones périphériques souffrent d’une certaine pénurie.

TEXTE | Marco Danesi

Les cours de musique extrascolaires pour les jeunes sont-ils répartis de manière équilibrée sur l’ensemble du territoire du canton de Genève ? Autrement dit, les élèves genevois ont-ils, à proximité de leur école (moins de quinze minutes en transports publics ou à pied, selon le principe de la ville du quart d’heure) la possibilité de rejoindre facilement en dehors de leurs horaires scolaires des structures d’enseignement de la musique subventionnées et non subventionnées (écoles de fanfare, écoles privées, particuliers identifiés) ? Par ailleurs, les projets Artex Musique, menés par des écoles de musique dans le cadre scolaire et qui visent à stimuler l’apprentissage musical de type Orchestre en classe (OEC) 1Les Orchestres en classe (OEC) à Genève sont implantés dans le Réseau d’éducation prioritaire (REP). Les élèves des classes concernées bénéficient de cours collectifs de musique instrumentale, inscrits à leur programme scolaire, pendant deux ans. Les instruments (cuivres, bois, cordes, percussions) leur sont prêtés., sont-ils implantés là où on les attend ?

Ce sont les questions auxquelles a voulu répondre le projet Cartographie, mené par Carine Tripet Lièvre, professeure en sciences de l’éducation à la Haute école de musique de Genève (HEM-Genève) – HES-SO. En collaboration avec l’Université de Genève et le géographe Jacques Michelet, il a permis de géolocaliser – selon le registre fédéral des bâtiments et des logements – les lieux d’enseignement existant jusqu’à fin 2023.

« Nous avons identifié les aires d’accessibilité de chaque offre et défini les zones peu ou pas desservies, où se rencontre toutefois un public d’élèves potentiels », note Carine Tripet Lièvre. Résultat : les 245 structures répertoriées se regroupent plutôt au centre de l’agglomération urbaine genevoise. Plus on s’en éloigne, à l’exception de la commune de Versoix, plus elles se raréfient, même là où il y aurait des populations qui pourraient fréquenter des cours ou intégrer des OEC.

Faciliter l’accès à la pratique musicale

Depuis une vingtaine d’années, tant au niveau international qu’en Suisse, la démocratisation de l’apprentissage de la musique figure en bonne place dans les déclarations officielles, voire dans les législations. En septembre 2012, le peuple et les cantons helvétiques ont accepté à une grande majorité l’Arrêté fédéral sur la promotion de la formation musicale des jeunes. Cet acte législatif est destiné à renforcer la formation musicale, notamment des enfants et des jeunes. Pourtant, aujourd’hui encore, il n’est pas rare que l’on critique l’élitisme et le manque de diversité dans le milieu musical, notamment en ce qui concerne la mixité sociale ou le genre. À Genève, plus particulièrement, en 2019, un rapport de la Cour des comptes recommandait au Département cantonal de l’instruction publique de « revoir le dispositif » en place qui, à ses yeux, ne favorisait pas l’accès aux études musicales.

Sur la base de ce constat, la HEM-Genève a lancé ce projet inédit où a été cartographiée l’accessibilité géographique des lieux destinés à l’apprentissage ou à la pratique de la musique à Genève, hors du cadre scolaire. Au niveau suisse, une autre étude, publiée en 2022, sur les offres et les prestataires de formation musicale extrascolaire de l’Association suisse des écoles de musique, avait proposé des mesures combler les lacunes observées : diversification de l’offre, collaboration entre l’école obligatoire et les prestataires extrascolaires, flexibilisation et décentralisation des offres pour les enfants en âge préscolaire, essor du numérique, etc. Par contre, elle n’abordait pas de front la question de la localisation par rapport à la répartition géographique des populations cibles, objectif déclaré du projet de la HEM-Genève.

Les indicateurs résultant du projet – et qui devraient être disponibles à partir de l’automne 2025 sur le géoportail du Centre d’analyse territoriale des inégalités à Genève (CATI-GE) – permettront surtout, indique Carine Tripet Lièvre, de mieux orienter l’implantation de nouvelles offres de cours afin de les rapprocher des populations mal desservies. Jacques Michelet souligne, de son côté, le caractère exploratoire de la méthodologie développée. En fonction de demandes spécifiques, l’outil sera perfectionné et « des cartes ad hoc pourront être réalisées dans d’autres contextes territoriaux, pouvant même s’appliquer à d’autres services ou infrastructures ».

Le projet Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale (Démos), lancé en 2010 par la Philharmonie de Paris, vise à rendre la musique classique accessible aux enfants de 7 à 12 ans issus de quartiers prioritaires ou de zones rurales. Pendant trois ans, ces jeunes bénéficient d’un apprentissage instrumental en groupe, encadrés par des musiciennes et des musiciens professionnels ainsi que par des travailleuses et des travailleurs sociaux. À ce jour, plus de 12’000 enfants ont participé à Démos, répartis dans une cinquantaine d’orchestres à travers la France. | © CORENTIN FOHLEN

Adapter l’offre aux populations locales

Avec l’intégration des indicateurs dans le géoportail du CATI-GE, il serait possible de savoir si la localisation de l’offre favorise ou défavorise, par exemple, les personnes à revenu modeste. Ou encore, on pourrait identifier avec davantage de précision les lieux où implanter des projets pédagogiques accessibles du point de vue financier et répondant aux attentes des jeunes résidantes et résidants. Dans ce contexte, une expérience pilote, associant musique, danse et travail collectif (inspirée du gumboot 2Le gumboot (botte de caoutchouc en français), parfois nommé gumboot dancing ou gumboot dance, est un type de danse africaine percussive se pratiquant à l’aide de bottes de caoutchouc. En général, les danseuses et les danseurs portent tous ce type de bottes et effectuent une chorégraphie sur un rythme de percussions et de chants.(Wikipédia)), a été lancée au printemps 2025 sous l’égide de l’équipe de la HEM-Genève et en collaboration avec l’École des musiques actuelles de Genève. Elle s’inscrit dans ce champ de recherches prospectant des voies originales, adaptée aux différents contextes locaux, encourageant l’apprentissage et la pratique de la musique. Carine Tripet Lièvre souligne que « cette expérience illustre comment nous pouvons nous appuyer sur notre cartographie pour lancer des projets pédagogiques adaptés à des publics potentiellement concernés ».