Développé par une équipe de recherche pluridisciplinaire, composée de soignants, de musiciens, de sociologues et d’ingénieurs, un dispositif d’écoute musicale améliore le vécu des patients en soins intensifs de psychiatrie.
TEXTE | Muriel Sudano
En psychiatrie, les chambres de soins intensifs (CSI) sont des espaces fermés et aménagés avec du mobilier sécurisé. On y place des patient·es en état de décompensation psychique et de dangerosité pour soi-même ou pour les autres. Impliquant une restriction de liberté, le recours temporaire à ce type de structure est non seulement sujet à controverse, mais aussi souvent mal vécu par les patient·es. En outre, il a été constaté que la contention rendait difficile toute relation de dialogue et de confiance. Dans ce contexte, des équipes soignantes ont souhaité imaginer des solutions pour contribuer à un mieux-être. Ainsi, au Centre de psychiatrie du Nord vaudois, on a imaginé déposer une radio derrière la porte de la chambre. L’idée est bonne et appréciée, mais comporte une faille: le patient·e n’a aucun contrôle sur l’écoute et dépend du bon vouloir du personnel. Pour réfléchir à cette problématique, une équipe de recherche pluridisciplinaire se constitue en 2012 autour de Gilles Bangerter, infirmier en psychiatrie et maître d’enseignement à la Haute École de Santé Vaud (HESAV) – HES-SO, et de sa collègue de l’époque, Alexia Stantzos. Quatre ans plus tard, avec l’aide de Cédric Bornand, ingénieur à la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud – HEIG-VD et d’Angelika Güsewell, musicienne et psychologue à l’HEMU – Haute École de Musique, d’Émilie Bovet, socio-anthropologue à HESAV et de Matthieu Thomas, sociologue à l’Université de Lausanne, un dispositif d’écoute musicale, spécialement conçu pour s’intégrer dans le mur des CSI et permettre au patient·e d’en avoir le contrôle, voit le jour. Une recherche-action menée entre 2018 et 2020 s’est ensuite concentrée sur l’accueil réservé à ce dispositif par les patient·es en CSI, sur son effet sur les patient·es en crise et sur l’éventuel impact du dispositif sur la communication entre patient·es et soignant·es.
La musique pour faire taire des pensées envahissantes
«Nous avons tous fait l’expérience d’écouter de la musique pour réguler notre vie affective, pour souligner ou prendre le contre-pied d’une émotion, relève Angelika Güsewell. Pour notre playlist, nous avons donc choisi des morceaux instrumentaux répondant à quatre catégories émotionnelles: le calme, la joie, la tension et la nostalgie.» Des musiques aux styles variés et pas forcément connues, ce qui pour Gilles Bangerter a son importance car «si le patient·e écoutait sa propre playlist, il pourrait s’enfermer dans son propre monde, ce qui restreindrait les opportunités de dialogue». Malgré un choix audacieux, les chercheur·es ont constaté que le dispositif musical était apprécié par la majorité d’entre eux. Durées et moments d’écoute, catégories musicales privilégiées et même le volume sonore, tout a soigneusement été enregistré et analysé par l’équipe de recherche. À ces données quantitatives, se sont ajoutés des éléments qualitatifs recueillis lors d’entretiens individuels menés après le passage en CSI.
«Les résultats, extrêmement variés d’une personne à l’autre, sont très positifs, relève Angelika Güsewell. Les patient·es ont utilisé le dispositif selon leurs besoins et leur ressenti, pour passer le temps, se défouler ou faire de l’exercice, mais aussi pour se calmer, se détendre, combler le vide ou faire taire des pensées envahissantes.» Les chercheur·es ont en particulier observé une amélioration sur le plan de l’autonomie: «Les patient·es ont le sentiment d’avoir le contrôle sur quelque chose, ce qui les aide à ne pas perdre pied, souligne Gilles Bangerter. Ils ont souvent fait une lecture très fine de leur écoute et de leur expérience, alors que sur d’autres aspects de leur vécu en CSI, les propos étaient confus.»
Des échanges mitigés
Les chercheur·es espéraient que la musique dans les CSI devienne davantage qu’une distraction et qu’elle facilite les échanges. Mais l’objectif n’a pas été atteint. La raison? La réticence des patient·es, parfois en crise de paranoïa, à se confier ou à partager une expérience qu’ils ou elles désirent garder pour eux. «Les soins infirmiers représentent un métier de chevet, commente Gilles Bangerter. Il faut être créatif car la rencontre favorise la prise en charge. J’aime dire aux étudiant·es qu’ils sont des ingénieur·es de la santé, qu’ils se doivent d’être ingénieux pour entrer en relation avec les patient·es. En psychiatrie, il est difficile d’entrer en relation avec les patient·es, de poser des questions directes. Nous avons postulé que la musique pouvait servir de support au dialogue, mais cela n’a fonctionné qu’avec les soignant·es les plus expérimentés.»
Malgré ces limites, la plus-value du dispositif d’écoute musicale a été reconnue. Plusieurs unités de psychiatrie, en Suisse et en France, s’en équipent petit à petit. Pour les chercheur·es, il est important que les équipes soignantes soient formées à l’utilisation de ce nouvel outil et se l’approprient complètement: des tutoriels et des rencontres pour échanger conseils et bonnes pratiques sont donc en cours de mise en place. Et l’histoire ne s’arrête pas là. En janvier 2022, le groupe de recherche a présenté un ouvrage collectif qui rend compte de réflexions et de pratiques innovantes sur l’utilisation de la musique en psychiatrie. Dans la perspective d’un soutien par Innosuisse, l’équipe travaille également à la création d’un jeu permettant aux adolescent ·es et jeunes adultes confrontés à un premier épisode de maladie mentale d’entrer en contact via la musique. Enfin, Gilles Bangerter espère que le dispositif d’écoute musicale développé pour les CSI puisse trouver sa place dans d’autres institutions de soins, notamment dans les EMS.